Dharmakaya

Dumè Antoni

Dharmakaya a écrit :le Dharmakaya qui ne se manifesterait pas: toujours selon le BT, un Bouddha est doué d'omniscience (sarvakarajñana) et peut donc connaître tout existant, c'est pourquoi un existant/phénomène est forcément un connaissable [pour une conscience omnisciente]: donc un Dharmakaya est suceptible de manifestation au regard des autres Dharmakayas
Sans vouloir polémiquer non plus, je pense — je développe un peu plus bas — qu'on commet une erreur si l'on considère le Dharmakaya comme un phénomène ou un existant, même s'il est reconnu par un Bouddha et que bien entendu il existe, sinon, on ne pourrait pas le réaliser. En fait, c'est ce par quoi le Bouddha se reconnaît lui-même ou sa propre nature. En d'autres termes, le Dharmakaya se reconnaît lui-même, en quelque sorte.

Pourquoi dis-je que le Dharmakaya n'est pas un phénomène ou un existant ? Parce que sa vacuité n'est pas de la même nature que celle qui est inhérente aux phénomènes (interdépendance). De fait, il n'est pas perçu ou reconnu selon le mode qui permet de reconnaître un phénomène ou un existant. J'ajoute que ce mode de perception du Dharmakaya a été analysé par D.T. Suzuki dans son ouvrage "le non mental selon la pensée zen" quand il étudie le caractère chinois associé au verbe "voir" (dans sa vraie nature). En effet, avant Huineng, le caractère associé au verbe voir était 看, qui se prononce Kàn qui veut dire "regarder" et qui suggère donc une dualité sujet/objet (le Dharmakaya est vu comme un phénomène ou un existant). Depuis Huineng, le 6ème Patriarche, le caractère qui prévaut pour "voir" (dans sa vraie nature) est 見, qui se prononce Jiàn. Ce second caractère, qui représente un oeil sur deux jambes, suggère le simple fait de voir (sans objectif) et est donc non duel. D'après Suzuki, le fait qu'on ait écrit 看 avant Huineng tendrait à démontrer qu'une erreur sémantique était commise, même si, dans les faits, les Patriarches ne commettaient pas d'erreur. Mais, toujours selon Suzuki, cette erreur sémantique s'est transmise dans certaines écoles du Zen, dont l'école du Nord (Shen Xiu, le "rival" de Huineng) notamment, ce qui aurait conduit à une compréhension erronée.

Cela étant précisé, je ne connais pas bien le BT (ne l'ayant pratiqué qu'au tout début de ma quête, et seulement deux années de suite avec Lama Shérab, à Kagyu Ling), et ne saurais donc dire s'il existe, selon le BT, différents types de phénomènes et que le Dharmakaya ferait partie d'un phénomène d'un genre particulier (précisément parce que sa vacuité ne résulte pas de l'interdépendance).
Dans le Dzogchen, il existe plusieurs types de rigpa (assimilé à "état naturel"), mais n'importe quel type de rigpa n'est pas le Dharmakaya, seul l'est le gzhi'i rig pa, le rigpa de la base. (Cf. les enseignements dzogchens de Sa Sainteté le Dalaï Lama).
Pour ce qui est du Dzogchen, mes seules connaissances résultaient de ce que j'ai pu apprendre de Yamantaka et de JL Achard dans leurs forums respectifs et ne saurais donc argumenter. D'après ce que j'en avais compris, Rigpa (qui signifie "discernement" selon JL Achard) est la reconnaissance de l'Etat Naturel et donc du Dharmakaya. Après, s'il existe différents type de discernements dans le Dzogchen, j'avoue que je n'en sais trop rien.
Dernière modification par Dumè Antoni le 17 février 2016, 17:46, modifié 1 fois.
Dumè Antoni

Fa a écrit :Pour ceux qui se noient dans cette forêt de concepts abstrus je recommande le Canoë-Kaya k anjalimetta
Je pense en effet que si l'on se réfère à Wikipédia pour comprendre, on se retrouve devant différentes propositions qui ne sont rien d'autre qu'un syncrétisme de définitions plus ou moins absconses. Mais si l'on pratique et que l'on a une certaine expérience de ce que signifie "voir dans sa vraie nature" — expérience attestée bien sûr par un maître qualifié —, alors on réalise que les Trois Corps ne sont pas des concepts abstrus ou abscons mais au contraire des réalités qui sont clairement établies et qui ne souffrent d'aucune ambiguïté. L'ambiguïté vient précisément d'une profusions de concepts mal compris, mal digérés, et qui, de fait, sont sans intérêt (quand ils ne sont pas des risques d'égarement).

Par ailleurs, que le Triple Corps ne soit pas reconnu par le Théravada n'indique certainement pas qu'il serait issu du Brahmanisme ni qu'il ne serait pas conforme à l'enseignement du Bouddha. Là encore, et sans m'engager dans une polémique à propos des sources scripturales les plus anciennes retrouvées qui seraient, paradoxalement, du Mahayana, j'affirme, en ce qui me concerne et selon la compréhension que j'en ai, qu'il y a une correspondance indéniable entre le Dharmakaya (ou la nature de Bouddha ou l'état naturel) et le Nirvana. Du reste, le fait que l'on traduise l'un (la nature de Bouddha) et l'autre (le Nirvana) par "Non-né", tend à montrer qu'il s'agit, en réalité, de la même expérience (du non-né) et que les dissensions associées à des définitions ne sont que l'expression de concepts mal compris (à cause, précisément, de cette profusions de définitions absconses) par des lettrés ou des intellectuels bornés.
FA

Bonsoir Dumé,

Comme tu as une bonne maîtrise de ces concepts, peut-être serait-il intéressant de développer, leur signification en relation avec l'approfondissement de la doctrine
de la vacuité. Puis de montrer quelle fut l'influence, de ces changements sur l'évolution des techniques méditatives.

Ainsi on comprendra sans doute plus aisément pourquoi le Bouddhisme Theravadin n'accorde pas de crédits aux concepts de Tri- Kayas...

La raison est sans doute doctrinale, et sans doute en lien avec la conception même de l'éveil, et des moyens méditatifs pour y arriver...

Fa
Dumè Antoni

Fa a écrit :Comme tu as une bonne maîtrise de ces concepts, peut-être serait-il intéressant de développer, leur signification en relation avec l'approfondissement de la doctrine
de la vacuité. Puis de montrer quelle fut l'influence, de ces changements sur l'évolution des techniques méditatives.
C'est un véritable travail d'universitaire que tu me demandes là, Fa. Je peux expliquer la différence entre la vacuité du Dharmakaya et celle de la doctrine de l'interdépendance, mais montrer l'influence de ces deux approches sur l'évolution des techniques méditatives, ça n'est pas trop mon truc. Ce que je peux dire c'est que la méditation sur la vacuité en se basant sur la notion d'interdépendance n'est pas de nature à atteindre la Vue du Dharmakaya car cette Vue consiste en un retournement de l'esprit sur lui-même dont j'ai expliqué plus haut qu'il s'agit de faire coïncider l'esprit avec lui-même (un peu comme on fait coïncider deux lentilles dans une paire de jumelles pour y voir clair), ce qui provoque ipso facto sa disparition (l'esprit reconnait sa propre vacuité). Cette disparition fait se manifester le Sambhogakaya. Ceci expliquerait (je mets ça au conditionnel parce que je ne suis pas dans l'esprit des représentants de tous les véhicules) qu'il y ait bien une manifestation de la nature de Bouddha, reconnue comme telle et donc pouvant s'assimiler, dans une certaine mesure, à une production phénoménale. Cependant, la manifestation n'est pas celle du Dharmakaya mais du Sambhogakaya. Dit autrement, l'expérience de la Vacuité permet la manifestation du Sambhogakaya. Ou pour dire les choses un peu autrement : l'expérience "la forme est le vide" est Dharmakaya et l'expérience "le vide est la forme" est Sambhogakaya. C'est, en quelque sorte, les deux faces d'une même pièce : on ne peut pas faire l'expérience du Dharmakya (vide) sans le Sambhogakaya (forme) et réciproquement. Bien évidemment, au Nirmanakaya est associée l'expérience "la forme est la forme et le vide est le vide", que tout un chacun peut reconnaître (c'est pour cela que le Nirmakaya apparaît aux êtres "ordinaires"). L'on voit donc que le Triple Corps embrasse tous les aspects de la réalité, au sens du Mahayana en tout cas.

Une fois que cette expérience est faite, la compréhension est parfaite et il n'y a plus aucune ambiguïté. L'on réalise que la Parole du Bouddha est cohérente dans tous ses aspects et qu'il n'y a pas à chercher ce qui différencie le Dharmakaya du Nirvana ou du Sambhogakaya ou du Nirmanakaya. Tous ces mots veulent en quelque sorte dire la même chose en ce que chacun peut le réaliser sans avoir à s'embêter avec des concepts qui ne sont là que pour expliquer des différences qui, dans l'expérience, n'apparaissent pas comme telles.
shalistamba

Quelqu'un affirme : « Le dharmakaya renvoie à la nature de bouddha, qui est la même pour tous les êtres. »

C'est généralement la façon de penser qui semble la plus fréquente et logique, mais elle n'est pas correcte.

Quand un moine demanda à Joshu : "le chien a-t-il la nature de Bouddha ?", Joshu répondit 無 (prononcer "moou") qui signifie "non, rien, néant, aucun...". Joshu voulait-il dire que le chien n'a pas la nature de Bouddha, contrairement à ce qu'affirme le Sutra du Nirvana, alors que Joshu était l'un des plus grands maîtres zen de tous les temps ? Ou voulait-il simplement dire que le chien n'est pas éveillé à sa nature de Bouddha (à cause de son mauvais karma) ?

Quand le moine demanda à Joshu, après que ce dernier lui a répondu 無 : "Pourquoi le chien n'a-t-il pas la nature de Bouddha ?" Joshu répond : "C'est à cause de son mauvais karma."

Voilà, on a la réponse : mauvais karma => pas de nature de Bouddha.
Dire que le chien n'a pas la nature du bouddha c'est passer complétement à côté du koan Mu. Dire le contraire, qu'il a la nature de bouddha c'est également passer à côté du koan et même de ce qu'est un koan. U signifie il y a et Mu signifie il n'y a pas. Dans le contexte du koan Mu signifie que le chien a bien la nature de bouddha mais négativement.

Un moine a demandé à Joshu : « Est-ce qu’un chien a ou pas la nature de bouddha ? »
Joshu a répondu : « Oui, il l’a. »
Un moine a dit : « Vous avez dit oui, mais pourquoi s’est -il glissé dans ce sac de peau ? »
Joshu a répondu : « Parce qu’il a sciemment commis un crime... »
Un autre moine a demandé : « Est-ce que le chien a ou pas la nature de bouddha ? »
Joshu a répondu : « Non, il ne l’a pas. »
Le moine a dit : « Tous les êtres sensibles ont la nature de bouddha. Pourquoi est ce que le
chien ne l’a pas ? »
Joshu a répondu : « Parce qu’il a encore une conscience karmique »
(Le livre de la sérénité, cas n° 18)
Donc on ne peut pas dire "Voilà, on a la réponse : mauvais karma => pas de nature de Bouddha."
En tant qu'être il a la nature de bouddha mais en tant que chien il ne peut s'éveiller à sa propre nature car il est limité par son karma de chien. Seul les hommes et les femmes peuvent s'éveiller. Il faut néanmoins être bienveillant avec les animaux pour les aider à se réincarner sous forme humaine.

Pourquoi n'est-il pas correct de dire que "la nature de Bouddha est la même pour tous les êtres ?" La nature de Bouddha est inséparable de l'expérience de s'éveiller à sa vraie nature, et cette expérience est strictement personnelle, intime, et ne peut être partagée. Si elle était la même pour tous les êtres, pourquoi ne pourrions-nous la partager ? On ne peut pas la partager parce que le Dharmakaya n'est pas unique. Il n'est pas unique parce qu'il est propre à chacun, et tout un chacun peut le réaliser si son karma est favorable.
Faire de l'éveil une affaire personnelle c'est faire du développement personnel (ce qui ne vaut guère mieux que du new age). On ne s'éveille jamais tout seul mais avec le bouddha, le Dharma et la Sangha autrement dit avec un maitre, une communauté et les soutras. La transmission implique que l'éveil est partageable.
Quand le Bouddha dit "tous les êtres ont la nature de Bouddha", il parle de sa propre expérience, quand il met fin à la dualité sujet/objet qui est le samsara. Il ne dit pas qu'il a réalisé quelque chose qui est propre à tous les êtres sensibles et qui s'appelle "la nature de Bouddha" comme si elle était une sorte de Dieu éternel qui serait là quand tout à disparu. Le Bouddha s'est éveillé tout seul, comme un grand, à sa vraie nature, c'est à dire à lui-même, le Bouddha et non à quelque chose qu'il partage avec d'autres, comme un gros gâteau.
Le dharmakaya désigne précisément selon le soutra du lotus ce que le bouddha partage avec les bouddhas du passé et ceux du futur. L'idée que "Le Bouddha s'est éveillé tout seul" est une histoire que l'on raconte aux enfants. Seul un éveillé avec un éveillé peut atteindre le dharmakaya.
Dumè Antoni

Shalistamba, je présume que tu es Stamba de Sangha forum (le "quelqu'un" dont j'ai relevé la proposition un peu plus haut). Pas la peine de te présenter ; tu as donné l'étendu de ton talent sur SF.

Et donc, tu nous racontes : "Dans le contexte du koan Mu signifie que le chien a bien la nature de bouddha mais négativement.", ce à quoi je t'invite à pratiquer un peu plus et essayer de donner des explications une fois que tu auras bien compris. Là, sans vouloir t'offenser, tu frises le ridicule.

Pour ta gouverne, le kôan Mu est le 1er kôan du Ou-mêm-kouan. Rien à voir avec ton "livre de la sérénité", dans le contexte (que tu n'as manifestement pas compris non plus).
En tant qu'être il a la nature de bouddha mais en tant que chien il ne peut s'éveiller à sa propre nature car il est limité par son karma de chien. Seul les hommes et les femmes peuvent s'éveiller. Il faut néanmoins être bienveillant avec les animaux pour les aider à se réincarner sous forme humaine.
New age !
Faire de l'éveil une affaire personnelle c'est faire du développement personnel (ce qui ne vaut guère mieux que du new age). On ne s'éveille jamais tout seul mais avec le bouddha, le Dharma et la Sangha autrement dit avec un maitre, une communauté et les soutras. La transmission implique que l'éveil est partageable.
C'est consternant d'avoir à lire ce genre de prose. Ta seule excuse, si je puis dire, c'est ton manque crucial de pratique et de compréhension. Mais contrairement aux débutants qui ont l'esprit ouvert pour apprendre, toi tu te comportes en donneur de leçons alors que tu n'as strictement aucune expérience digne de ce nom.
Le dharmakaya désigne précisément selon le soutra du lotus ce que le bouddha partage avec les bouddhas du passé et ceux du futur. L'idée que "Le Bouddha s'est éveillé tout seul" est une histoire que l'on raconte aux enfants. Seul un éveillé avec un éveillé peut atteindre le dharmakaya.
Essaye de comprendre de quoi retourne la Grande Affaire avant de venir troller ici.
shalistamba

Entre trolls on devrait finir par s'entendre. Tu ignores l’étendu de ma patience.
ted

Cool.
On a deux points de vue différents qui, pour une fois ne sont pas issus de Wikipedia.
Je lis Dumé et je me dis : "Waw ! Il a raison. C'est cohérent".
Et puis je lis Stamba et là, quand il parle de transmission, je réalise qu'on ne peut pas faire l'impasse dessus.

Bref, si vous réussissez à bien présenter vos points de vue, ça peut être très très instructif.
FA

Ce que je peux dire c'est que la méditation sur la vacuité en se basant sur la notion d'interdépendance n'est pas de nature à atteindre la Vue du Dharmakaya car cette Vue consiste en un retournement de l'esprit sur lui-même dont j'ai expliqué plus haut qu'il s'agit de faire coïncider l'esprit avec lui-même (un peu comme on fait coïncider deux lentilles dans une paire de jumelles pour y voir clair), ce qui provoque ipso facto sa disparition (l'esprit reconnait sa propre vacuité).
Bonjour à tous,

Dumé,

Réduire le concept de vacuité du Bouddhisme à celui d'interdépendance, est à de mon point de vue un gros contresens !!!
Dans ton analyse, tu mets sur un même plan, la doctrine, et les moyens habiles.

Tout le développement du Bouddhisme tourne autour de la vacuité, et de son approfondissement,
l'évolution de la compréhension de la vacuité, a à son tour modifié les pratiques méditatives,
et la conception même de l'éveillé...etc.

Bref ....
jap_8
Dumè Antoni

shalistamba a écrit :Tu ignores l’étendu de ma patience.
Et toi, tu ignores sans doute qui je suis et plus encore le Bouddhisme dont manifestement, au peu que tu donnes à en juger, tu ne comprends pas grand-chose pour ne pas dire rien. Je te prierais donc, gentiment mais fermement, de ne pas me faire perdre mon temps en intervenant dans mes fils avec si peu d'arguments et d'expérience, teintés de new age et de bouddhisme neuneu, sinon, je serais forcé de te placer dans la liste des membres ignorés. Contrairement à toi, j'ai très peu de patience avec les trolls, car je suis obligé de te considérer comme tel, au vu de ta contribution ici, dans ce fil, et au contenu de ta présentation sur SF. Libre à Sönam de te conserver sur son forum (tu ne serais pas le premier bouddhiste neuneu et partisan du new age à le fréquenter) et libre aussi aux admins de Nangpa de le faire de la même façon, mais ce sera alors sans moi. Chacun ici, qui me connaît, sait que je ne suis revenu sur Nangpa que parce que les neuneus et les trolls qui fréquentaient ce forum à une certaine époque, se sont heureusement éclipsé. Il ne reste plus grand monde, et c'est sur le fond regrettable, mais il vaut mieux un forum bouddhiste moribond qu'un forum qui se prétend bouddhiste et qui n'est que l'expression de la fange new age. C'est mon point de vue, en tout cas.

Cela étant précisé, je vais poursuivre mes explications — pour qui ça intéresse — relativement à la notion de Dharmakaya et, puisque tu es venu nous donner ton interprétation du kôan Mu, de la relation entre le moine, le chien, et la nature de Bouddha et le lien qu'ils entretiennent avec le Triple Corps.

Dans le kôan, la question ne porte pas, en réalité, sur la nature de Bouddha du chien. Le kôan ne s'intéresse pas au chien mais au moine et le moine demande en réalité à Joshu : "pourquoi, alors que nous avons la nature de Bouddha, est-il nécessaire de pratiquer pour la réaliser ?" En effet, si la nature de Bouddha était acquise de fait, pourquoi n'est-elle pas évidente ? Pourquoi doit-on pratiquer la Triple Discipline pour la réaliser ? C'est une question essentielle, dans le Bouddhisme Mahayana, car le sutra du Nirvana dit que tous les êtres sensibles, sans exception, ont la nature du Bouddha. Il y a donc ce qu'on appelle dans le Zen un "doute", non pas sur la nature de Bouddha, mais sur le fait qu'il existe une véritable incompréhension entre le fait d'avoir une telle nature, intrinsèquement, et le fait qu'il ne soit pas possible de la réaliser sans pratiquer. Ce doute est ce qui préoccupe le moine. C'est "l'esprit d'investigation" du moine.

Le "mauvais karma", en réalité, ne concerne pas que le chien ; le mauvais karma est tel qu'il nous faut tous pratiquer pour réaliser notre vraie nature.

J'ai dit plus haut que du chien, on s'en fout. Non pas par manque de compassion, comme semble le penser notre jeune padawan apprenti bouddhiste qui vient nous donner des leçons sur ce fil, mais parce que ce n'est pas du tout la question du moine, même si, par la façon dont elle est formulée par ce dernier, c'est ce que nous pourrions penser en première analyse. Pour comprendre pourquoi ce n'est pas du chien dont il s'agit, mais du moine, tout en considérant que le chien et le moine sont impliqués dans le kôan, il faut considérer la notion de karma.

Pour le karma, il existe en fait quatre formulations directement en lien avec le Triple Corps :

1) Le chien est le chien et le moine est le moine. C'est le stade Nirmanaka.
2) Le chien est le moine et le moine est le chien. C'est le Sambhogakaya.
3) Rien de tout ce qui précède : c'est le Dharmakaya
4) Tout de ce qui précède : c'est l'unicité du Triple Corps.

Il faut bien comprendre que sans "rien de tout ce qui précède", c'est à dire sans le Dharmakaya, le chien ne peut pas être le moine, et donc, il n'y aurait aucune possibilité pour le chien de connaître le stade humain (de moine) où il pourrait s'éveiller. Le Sambhogakaya est donc la reconnaissance, dans le monde, que nous avons tous la nature de Bouddha. Quand le Bouddha s'est écrié, sous l'arbre de la Boddhi, "tous les êtres ont la nature de Bouddha", il réalise que la sagesse du Dharmakaya est que le moine est le chien et le chien est le moine, c'est à dire que le chien, en quelque sorte, est sauvé, tout comme le moine. C'est le stade où la Compassion et l'Omniscience s'exprime en tant que Sagesse du Dharmakaya. Quand le Bouddha se manifeste au Bodisattva, c'est de sa Sagesse qu'il s'agit.

Mais bien sûr, le chien n'est pas le moine, dans la réalité. Le chien est le chien et le moine est le moine parce que c'est le karma qui l'impose. Le chien ne renaîtra jamais en moine ni le moine en chien. Le chien, n'ayant pas de réalité propre, ne peut espérer devenir un homme, et la compassion qui s'exerce envers lui ne vient pas du souhait qu'il devienne un homme, mais de ce qu'il est homme, dans un autre karma. C'est pourquoi la Compassion n'est pas un sentiment, une sensation, une empathie envers ou pour les autres dans le Bouddhisme. La Compassion est que nous sommes les autres en même temps que nous-mêmes ; cela est donc aussi Omniscience. Mais si nous n'étions que cela, c'est à dire les autres en même temps que nous-mêmes, nous serions définitivement perdus, car on aurait beau s'éveiller des milliards de fois, les animaux continueraient à copuler pour renaître indéfiniment. Fort heureusement, il y a "rien de tout cela", c'est à dire la nature de Bouddha qui est le Dharmakaya et aussi le Nirvana. Sans "rien de tout cela" (ou de ce qui précède), il n'y aurait aucune possibilité d'échapper au samsara.

Mais dans les faits, il n'y a pas que "rien de tout cela" ; il y a "tout de tout cela", c'est à dire qu'il y a des chiens et des moines, des chiens qui sont des moines, des chiens qui ne sont ni des chiens, ni des moines, et le nature de Bouddha (ou le Dharmakaya) qui transcende cela (rien de tout ce qui précède).
Il faut bien comprendre aussi que sans "le chien est le moine et le moine est le chien", dans le Sambhogakaya, il n'y aurait ni Compassion, ni Omniscience.
Répondre