Chevaucher le vide...

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Flocon
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Oui, il existe au moins une dizaine de théories sur la question du statut de Confucius dans le Tchouang Tseu, et sur les propos qui lui sont attribués : certains sont clairement des parodies, d'autres paraissent très sérieux. De quoi s'y perdre... :lol:

Là, le propos paraît sérieux et renvoie à une méthode taoïste bien connue. Bizarre, vous avez dit bizarre? :?:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
lausm

Dans ce que j'ai appris de médecine chinoise, donc forcément teinté de culture taoiste, le qi est une énergie motrice.
On a le jing, substance plus matérielle, et le qi lui est un peu comme la force électrique d'un moteur : c'est une force qui a un effet dans le concret solide, mais qui se manifeste d'une façon non matérialisée, mais qui fait bouger la matière.
Un peu comme la vapeur sous le couvercle : ça a une force qui fait bouger le couvercle.
D'où cette possibilité de lier qi et vide : ce n'est pas quelque chose, mais ce n'est pas totalement rien non plus.
coeur ou esprit, c'est le caractère shen, c'est le coeur de l'etre humain.
Qi c'est le souffle, l'énergie.

En fait dans ce texte, il nous dit de ne pas s'identifier à la matérialité de ce corps, de ne pas prendre ce qu'on reçoit par les sens pour un objet solide, mais d'en percevoir la relativité.
Ca me fait grandement penser à l'usage bouddhiste des cinq agrégats, pour ne pas avoir une vision d'un ego solide fixe et substantiel.
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jules
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Bonsoir,

Je me permettrais une petite théorie sur le satut de Confucius, car c'est un truc qui m'a beaucoup interpellé.

Chez Tchouang tseu, ce qu'il nomme "les anciens" dont la condition idéale a été perdue à force de trop de complexification, de finesse, d'exaltation des multiples vertus au dépend d'une vertu unique, sont des hommes bruts, "qui ne sont pas taillés dans le jade", des hommes dirait-on d'avant un quelconque enseignement, n'ayant pas encore été pervertis par une recherche spirituelle quelconque.
Il existe donc un paradoxe inhérent à la philosophie de Tchouang tseu, qui en tant que philosophie et doctrine spirituelle trahit cette simplicité des anciens qu'elle exalte pourtant. C'est pourquoi, je me suis autorisé à penser que Confucius, dans cette oeuvre, pourrait être l'incarnation fictive de Tchouang tseu lui-même et de son échec en tant que philosophe. En effet, c'est en tant que philosophe précisément qu'il ne saurait être l'égal des anciens, de leur simplicité et de leur sacro sainte ignorance comparable à celle du nouveau né. C'est donc comme si Tchouang tseu nous invititait à dépasser son propre enseignement, c'est presque pour lui comme un suicide philosophique et comme si il avait tenté d'emporter dans cette mort symbolique, ce qui nous fît nous intéresser à lui, c'est à dire notre insatisfaction.
Bien sûr devant cette révélation, chaque personne qui repprendra le flambeau de l'enseignement, connaîtra ce même paradoxe et pourra se comparé à cet idiot de Confucius. ;-)


<<metta>>
boudiiii !

Très super chouette ce que tu dis Jules , et en même temps, tellement bien taillé que je me demande si je me fourvoie pas en m'enthousiasmant de la sorte. ::mr yellow::
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Flocon
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J'ai un peu creusé sur l'association Qi = vide, elle est bien classique, et commune à toutes les écoles, même si elle nous étonne à première vue. On la trouve chez plusieurs auteurs, par exemple Wang Bi ou Zhang Zai qui sont des confucéens stricts. En gros, pris dans ce sens (il en a bien d'autres, c'est l'un des termes les plus polysémiques du vocabulaire philosophique chinois), le Qi est le vide en tant que potentiel infini et indéfini, qui rend possible l'émergence des phénomènes définis.

Sinon, pour ce qui est de la figure de Confucius : j'aime bien la théorie de Billeter, qui pense qu'elle est, dans le Tchouang Tseu, une représentation du parfait philosophe, celui qui tend perpétuellement vers la Sagesse, joint au parfait pédagogue, celui qui n'enseigne qu'en apprenant continuellement. Billeter ne pense pas que Tchouang Tseu serait un anti-confucéen et se moquerait de Confucius, comme on le dit parfois trop vite, et je crois qu'il a raison. Ce n'est qu'un avis.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
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Kong Tseu
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Flocon
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Voici une autre traduction du passage par Jean François Billeter, qui explicite assez bien, je crois, la question du Qi/Vide. (Leçons sur Tchouang Tseu, page 96)
Qu’est-ce que le jeûne de l’esprit ? demande Yen Houei.
Unifie ton attention, n’écoute pas avec ton oreille mais avec ton esprit. N’écoute pas avec ton esprit, mais avec ton énergie. Car l’oreille ne peut faire plus qu’écouter, l’esprit ne peut faire plus que reconnaître, tandis que l’énergie est un vide entièrement disponible. La Voie s’assemble seulement dans ce vide. Ce vide, c’est le jeûne de l’esprit.
Je pense que c’est la traduction la plus claire des trois qui ont été citées (en plus d’être la plus proche du chinois). Elle ne résout pas tous les problèmes posés par le texte, naturellement, mais elle est intéressante et elle a l'avantage sur celle d'Anne Cheng de faire des choix pour le rendu de termes comme Dao et Qi.

En complément, voici un autre très beau passage où l’on retrouve ce thème du "vide", et qui pourrait être une description un peu différente du jeûne du cœur/esprit. Je cite toujours la traduction de Billeter. (Leçons sur Tchouang Tseu, page 100)
Ne te fais pas le réceptacle du renom, la résidence du calcul. Ne te comporte pas en préposé aux affaires, en maître de l’intelligence. Fais plutôt par toi-même l’expérience du non-limité, évolue là où ne se fait encore aucun commencement. Tire pleinement parti de ce que tu as reçu du Ciel, sans chercher à te l’approprier. Contente-toi du vide. L’homme accompli se sert de son esprit comme d’un miroir, qui ne raccompagne pas ce qui s’en va, qui ne se porte pas au-devant de ce qui vient, qui accueille tout et ne conserve rien, et qui de ce fait embrasse les êtres sans jamais subir de dommage.
Il faudrait peut-être commenter un peu ce qui est entendu par le Ciel dans le Tchouang Tseu (ce n’est pas une divinité supérieure, mais l’ordre naturel du monde, en simplifiant). Sinon le texte me paraît clair : là, on n’est pas dans le cadre d’une méditation formelle, plutôt dans celui d’une attitude générale face à la vie. En contexte, il s’agit de la description du mode de vie de Lie Tseu, qui « confiné chez lui, faisait la cuisine pour sa femme, nourrissait ses porcs aussi bien que des hommes, se désintéressait des affaires du monde. » Lie Tseu, un peu comme Confucius, est une figure de philosophe très valorisée dans le Tchouang Tseu quoique parfois ambiguë.
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Kong Tseu
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loveeeee jap_8 love_3 youpi_333 on en revient toujours à l'énergie .
Celui qui trouve la voie de l'énergie rit de tous les concepts sur l'homme neuronal :cool:
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Flocon
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Oui, dans le taoïsme, l'énergie est quelque chose de très important, incontournable. Le Qi est à la fois "énergie" et" vide" : c'est ce qui nous paraît sans doute difficile à saisir, surtout si l'on essaie de le faire avec des concepts. Mais de toute manière, mettre le taoïsme en concepts, bof... Autant vouloir mettre la vie en conserve. :lol:
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Kong Tseu
Sourire

En fait, ce qui m'étonne c'est la simultanéité de l'image de la vapeur et de celle du vide... Mais peut-être à tort, car en fait, je ne m'étonne indépendamment ni de l'un ni de l'autre
Or...
Sans vide, comment a vapeur pourrait-elle se déplacer ?

Les gaz remplissent les espaces laissés vides, quand on les libère, c'est bien connu.
Pas de vide. Pas de déplacement de la vapeur.
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Flocon
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Je crois qu'il ne faut peut-être pas trop se fixer sur cette histoire de "vapeur des céréales" : ce n'est qu'une image destinée à expliquer l'étymologie de l'idéogramme. Elle n'est pas acceptée par tous les linguistes, à ma connaissance, car l'histoire du caractère est problématique (on identifie mal sa source, et ses formes archaïques sont très rares). Et puis une image a toujours ses limites, comme un concept, elle ne fonctionne jamais complètement.
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Kong Tseu
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