Erratum a écrit :L'oeuf ou la poule...

Très bonne remarque, Erratum, car elle souligne la question de savoir si on peut être heureux sans en avoir véritablement conscience. Personnellement, j'ai trouvé que la Voie médiane répondait définitivement à cette question: entre l'oeuf et la poule, aucun ne saurait préexister à l'autre puisqu'ils sont désigné en dépendance mutuelle, comme le père et son fils fait remarquer Shantideva dans son chapitre 9... ou encore comme la main droite et la main gauche.
A mes yeux l'éveil est une grande prise de conscience, le voile levé de l'ignorance de la nature profonde des choses... Je reste convaincue que l'état apaisé appelé "bonheur" est notre nature individuelle profonde, et que les pratiques sociales ont petit à petit voilé cette nature profonde en créant des besoins, dont l'insatisfaction a fait naitre de manière très artificielle donc, cette souffrance qui voile l'état apaisé...
Exposé limpide de notre situation. Très proche du
Malaise dans la société de Freud (avec une nuance quand-même puisque l'Eveil et sa possibilité impliquent une continuité plus vaste que cette seule existence).
Pour moi toute notion sujette à divergences d'interprétation, toute abstraction créé une distance entre son objet et notre ressenti, créé de la souffrance tôt ou tard ;
Il est possible de trouver des arguments contraires:
Une divergence d'interprétation a quelque chose de très instructif car ça rappelle le fait qu'il est difficile de trouver quoi que ce soit de réellement objectif. Le règne de l'intersubjectif, comme le souligne Djé Tsongkhapa.
Une abstraction ne crée pas forcément une distance entre son objet et notre ressenti:
a) parce qu'un objet est forcément ressenti (sinon il n'est pas objet),
b) parce qu'une abstraction peut être objet d'une conscience, comme l'impermanence subtile d'une tasse, la vacuité d'existence indépendante de quoi que ce soit, ou encore la différence entre une tasse et une table...
c) bien que certaines abstractions ne soient pas salutaires, d'autres font partie de la réalité conventionnelle et c'est alors le fait de les négliger au contraire qui crée de la souffrance tôt ou tard.

donc bien que certaines abstractions créent en effet de la souffrance parce que distordues par rapport à la nature des choses et nous distançant des objets d'engagement, d'autres sont des phénomènes généralement caractérisés et à ce titre des existants, des connaissables, sauf que leur mode d'appréhension n'est pas sensoriel, mais mental (en général, cela n'est pas certifié par la perception directe sensorielle, d'où la possibilité des illusions d'optique par exemple).
et au fond ce n'est pas en dissertant autour du bonheur qu'on arrivera à l'être mais en oubliant la notion trompeuse et en étant pleinement dans l'ici et maintenant.
Voilà ce qui pour moi est porteur de souffrance puisque nous ne sous intéressons pas à la question de savoir si le bonheur qu'on vit ou qu'on souhaite vivre est un véritable bonheur ou non (non-trompeur ou pas), voire si un tel bonheur existe (sinon à quoi bon y aspirer...). Notre situation est géniale car c'est justement grâce à notre faculté d'analyse que nous pouvons aller au-delà des simples apparences séduisantes ou repoussantes de la vie, et trouver ce qui ne trompe jamais (ce qui est infaillible; tib.
milouwa).
Pour l'ici et maintenant, je ne suis pas certain que nous ayons tous la même vision de ce à quoi ça ressemble. Parfois on peut sembler être dans l'ici et maintenant (dans le sens où on s'écarte de toute intellection, projection etc...), et être pourtant dans un flou intérieur vague et terne.
Ensuite, il y a d'autres exemples d'ici et maintenant frelatés: quand on contemple la beauté d'une fleur sans en humer le parfum d'impermanence inexorable.... ce qui fait sa vraie beauté, comme les ballets de nuances au crépuscule sur le Salève.
Et puis il y a aussi l'ici et maintenant quand la clarté limpide des cieux n'a que faire des variations climatiques plus ou moins conceptuelles...
L'homme a commis l'erreur de vouloir mettre des mots sur tout... le "bonheur" ne se résume pas en mot, il se vit...
L'erreur ne vient pas des mots, car ce sont eux qui font exister les choses, comme quand Atreyu lit la carte et fait apparaître les régions rien qu'en les nommant. L'erreur est celle que mentionnes: croire que les référents sont leurs désignation. Nagarjuna réfute cela en disant que si le feu était son nom, on se brûlerait la bouche en le disant le mot "feu".
Ce serait bien sûr mal interpréter la vue
prasangika qui dit que les phénomènes ne sont que des désignations conventionnelles.
