
Examinons comment et à quel titre Tsongkhapa établit la distinction ci-dessus. Cela nous permettra de traiter la question des diverses implications logiques et philosophiques de celle-ci. Dans le Gongpa Rabsel, Tsongkhapa fait allusion à une histoire figurant dans le commentaire de Buddhapālita sur le Mūlamadhyamakakārikā de Nāgārjuna. L’histoire raconte le désaccord entre deux personnes concernant la véritable identité d’une représentation peinte sur une fresque. L’un avance que la déité tenant un sceptre dans sa main droite est Indra tandis que l’autre affirme que c’est Viṣnu. Comme ils ne peuvent eux-mêmes résoudre le débat, ils abordent une troisième personne pour les départager. Mais l’arbitre résout le désaccord de la manière la plus invraisemblable : il conclut que, puisque l’objet en question est un simple dessin, ce n’est ni Indra ni Viṣnu et donc aucune des deux parties n’a raison ! Buddhapālita dit qu’en vérité c’est l’arbitre lui-même qui est dans l’erreur. La morale de l’histoire est celle-ci : en affirmant simplement que l’identité du sujet débattu est un simple dessin (donc, ni Indra ni Viṣnu eux-mêmes), l’arbitre est totalement passé à côté du problème. Que ce soit un dessin n’est pas la question ; c’est une assomption commune aux deux protagonistes du débat. La question est l’identité du personnage représenté dans l’image. Donc en un sens, l’arbitre a commis une erreur : il est sorti du domaine de leur discussion pertinente en associant deux perspectives distinctes. C’est pourquoi son affirmation, selon laquelle aucune des deux parties n’a raison, n’a simplement aucune place dans le cadre de la conversation en cours. Par conséquent, la question de savoir si le verdict qu’il a rendu est vrai ou faux ne se pose même pas.
Thupten Jinpa (Self, Reality and Reason; Rootledge & Curzon, p. 42).
Amitié
