La Mort

chakyam

Posté le: 13/12/2009 18:58:47 sur un autre site - Sujet du message: La Mort

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Mort physiologique, mort biologique, mort passage, mort annihilation, mort relai … autant de phases longuement traitées … ailleurs et que l'on peut caractériser par le moment où notre corps-esprit commence à se décomposer, nous privant ainsi de toutes relations avec le monde.

Ce qui pose déjà un problème de définition : Selon EPICURE « la mort ne nous est rien. Quand nous sommes, la mort n'est pas là et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas » et selon WITTGENSTEIN « la mort n'est pas un événement de la vie. On ne vit pas la mort. Si l'on entend par éternité, non la durée infinie mais l'intemporalité, alors il y a la vie éternelle qui vit dans le présent

Pour le commun des mortels il semble évident que la Mort est en opposition à la vie dans la mesure où son advenue interdit « de facto » la continuation de nos activités habituelles et les explications « supposées savantes » de nos philosophies et religions ne changent pas ce vécu, en direct si je puis dire.

Cette impression et cette certitude « naturelle » sont d'ailleurs renforcées par la définition de la vie comprise entre deux évènements majeurs : la naissance et la mort précisément avec l'affirmation d'une identité personnelle qui suppose que, sur le fond, entre ces deux dates, c'est de la même individualité dont il est fait état.

Ceci admis se présente une interrogation cependant : qu'étions-nous avant l'accouchement ? Vivant ?... certes mais pas au sens légal du terme bien que le législateur ait reconnu un ensemble de droits à l'embryon, en tant qu'individu potentiel. Qu'étions-nous avant la constitution du foetus ? Et au moment où les gamettes des parents se sont rencontrées, qu'étions-nous ?

Nous étions vivants … en puissance de notre seul point de vue de notre vie actuelle mais totalement réels du point de vue de la Vie qui s'exprime à double face : latente/manifestée.

Il est donc logique et cohérent de tenir le même langage au sujet de la mort, à une différence près cependant. La vie latente qui pré-existe avant la naissance en direction d'un être manifesté, l'enfant, est ici réduite à ses éléments essentiels selon la philosophie chinoise : métal, eau, bois, feu et terre, en attente d'une nouvelle composition que les dits éléments constitueront.

En étendant notre regard, il semble bien que les concepts de vie et de mort s'élargissent au-dela des simples limites physiques que nos habitudes de raisonnement nous avaient imposées au point d'ailleurs de considérer qu'ils ne sont pas contradictoires entre eux. Il devient alors évident que la mort fait partie de la Vie en tant que condition du changement perpétuel qu'il est possible de désigner sous les vocables de l'apparaître et du disparaître.

Dans ces conditions, il apparaît que l'espèce humaine est soumise à la loi cosmique des mutations perpétuelles et que ce que nous vivons comme « disparition » n'est qu'une réduction phénoménologique liée à notre approche antropologiquement marquée par nos origines animales, sans rapport vrai avec le réel.

En effet, l'animal subit cette loi cosmique sans le savoir conceptuellement - bien qu'il sente sa mort prochaine – mais l'homme, outre qu'il la subit identiquement, la vit comme la disparition d'une chose qui lui appartiendrait en propre et la refuse. A bon droit disent certains mais sans sagesse diront d'autres, persuadés quant à eux que la crainte de la mort n'est pas seulement liée au fait physique mais à la « mythologie » qui y est associée.

C'est cependant cette mythologie – en tant que création de son Ego – qui va permettre à l'homme, par la Philosophie et la Religion, de sublimer sa mort au point d'en faire un événement parmi d'autres, banal en soi ou bien lieu de passage vers un paradis fantasmé supposé l'apaiser.

Cette sublimation va cependant se révéler pernicieuse par le risque d'exaltation de l'Ego et sa perpétuation au dela de la mort physique dans l'Espace-temps d'un Univers créé par un Dieu personnel avec nécessairement un commencement et une fin.

Il est également possible – car aucune des hypothèses n'est vérifiable – de supposer que l'Univers n'est jamais né et n'aura jamais de fin et qu'il manifeste, au travers des phénomènes qu'il contient, cette pérennité éternelle. Qu'en conséquence, l'Imaginaire humain qui construit l'individu avec un début et une fin est peut être dans l'erreur à l'instar de la vague qui vient s'écraser sur la plage et qui se dit « je meurs » tandis qu'elle retourne à l'océan toujours éternellement présent et que jamais elle n'a quitté.

Deux citations issues du Monde comme Volonté et comme Représentation d'Arthur SHOPENHAUER viennent éclairer notre propos.

1ère citation : « L'individu meurt, l'espèce est indestructible; l'individu est dans le temps l'expression de l'espèce qui est hors du temps. La mort est pour l'espèce ce que le sommeil est pour l'individu, l'espèce représente un des aspects de la Volonté comme chose en soi; à ce titre elle représente ce qu'il y a d'indestructible dans l'individu vivant, elle contient tout ce qui est, tout ce qui fut, et tout ce qui sera »

2ème citation: « Quand nous jetons un regard vers l'avenir et que nous pensons aux générations futures avec leurs millions d'individus humains différents de nous par leurs moeurs et leurs costumes et que nous essayons de nous les rendre présents, cette question se pose : d'où viendront-ils tous ? Où sont-ils maintenant ? Où donc est ce riche sein du néant gros du monde qui cache les générations à venir ? Et où pourraient-ils être sinon là où toute réalité a été et sera ? Dans le présent et dans ce qu'il contient en toi même questionneur insensé qui, en méconnaissant ta propre essence, ressemble à la feuille de l'arbre qui se lamente sur sa propre mort et ne veut pas se consoler à la vue de la fraiche verdure dont, au printemps, l'arbre sera revêtu. Elle dit en pleurant « je ne suis plus rien » - Insensée ! Où veux-tu donc aller ? D'où les autres feuilles pourraient-elles venir ? Où est ce néant dont tu crains le gouffre ? Reconnais donc ton propre être dans cette force intérieure, cachée, toujours agissante de l'arbre qui à travers toutes les générations de feuilles ne connait ni la naissance ni la mort. Et maintenant ! L'homme n'est-il pas comme la feuille ? »

La mort individuelle est donc subblimée, magnifiée dans l'espèce humaine, voire dans l'Univers pour au moins deux raisons essentielles : la notion d'individu est une abstraction, une réduction par la pensée, de la réalité de l'espèce à la réalité individuelle donc une diminution d'être et cette constatation ne peut être effectuée que dans le présent de son effectuation.

C'est du moins ce que nous proposent nos trois philosophes et, modestement, je me sens honoré d'être en leur compagnie … par dela la mort que leur sagesse permet de qualifier de non-évènement.

FleurDeLotus Butterfly_tenryu
Iskander

Il est certain que nous n'avons pas vécu notre conception, et que nous ne vivrons pas notre mort (tout au plus vivons-nous notre agonie). Et comme tu le suggères, on peut envisager la mort sous divers prismes (processus naturel, phénomène banal, partie d'un tout).

Mais tout ceci n'enlève à la réalité de la mort. Nous ne pouvons pas constater notre propre mort, mais nous pouvons constater celle d'autres, et il n'est pas difficile de croire que d'autres constateront la notre.

La mort/conception n'est pas un non-évènement, puisque c'est quelque chose qui induit des conséquences (en nous décomposant nos constituants sont recyclés dans d'autres organismes, cela affecte l'existence de certaines personnes, et idem pour la naissance).

Que la mort nous terrorise, indiffère ou nous plaise, cela ne change pas son caractère réel et inéluctable. Et comme tu dis, notre naissance et notre mort est l'objet d'enjeux qui nous dépassent complètement, tout comme la création de la feuille et sa chute de l'arbre est un enjeu qui dépasse la feuille. Mais la feuille est créée, et elle fini par tomber, on ne peut pas lui rétirer ça.
jap_8
remind

Nous ne pouvons pas constater notre propre mort, mais nous pouvons constater celle d'autres, et il n'est pas difficile de croire que d'autres constateront la notre.
Yes ! Et comme quoi la mort est bien une invention des vivants !
:D
namgyal

bon fil...
Vie :CDI de faim de MOI
Mort: échéance de fin de MOI

FleurDeLotus
chakyam

C'est tout à fait exact Iskander ! Ce que je peux dire n'enlève rien à la réalité de la mort, mais notre « fonction » dans l'accomplissement du Dharma n'est-elle pas de désamorcer l'angoisse en explicitant sa réalité et la notre.

Cela étant, il demeure tout de même une évidence qui est celle présentée par ÉPICURE. Jamais nous n'expérimenterons la mort et ne la connaitrons que par la constatation que nous en ferons chez les autres, c'est-à-dire d'une manière médiane, ce qui déjà nous amène à poser sa représentation et non son expérimentation réelle.

Rappelons-nous la définition de l'être humain donnée par Victor FRANKL," totalité physique-psychique-spirituelle". Elle nous indique qu'à partir de la réalité physique, l'évolution permet l'advenue d'une réalité sensible douée de sentiments, d'esthétisme et de capacités conceptuelles de toutes natures régie par l'intellect. L'épigénèse nous enseigne qu'une capacité spirituelle se fait alors jour permettant aux individus humains de vivre une réalité normative que la nature ne contient pas bien qu'elle en permette l'actualisation. C'est le domaine de la philosophie et de la religion.

On devine de suite ce que cette totalité peut produire d'illusoire quand elle est soumise à ses affects et ses productions auto-centrées. Ainsi en est-il de la mort qui s'appuie sur la certitude de notre existence propre car seul ce qui existe peut mourir.

Un exemple pour illustrer. Un homme/une femme prend l'avion qui s 'écrase en forêt amazonienne. Officiellement aucun survivant alors que l'un des voyageurs en a réchappé et vit au sein d'une tribu sans pouvoir se manifester au reste du monde. Pour ses proches en attendant la reconnaissance officielle, il est mort et le certificat officiel n'en est que la confirmation... Pourtant, il vit tranquille au fin fonds de la foret sans aucune envie de la quitter.

Cet exemple souhaite démontrer la caractère fantasmé d'une mort qu'on ne peut même pas constater « de visu », à fortiori quand il s'agit de soi. Quand vient se greffer sur cet ensemble de certitudes la croyance en une main surnaturelle ou un destin inéluctable ou une accumulation de mérites octroyant la délivrance nirvanique ou un paradis à la droite d'un dieu immortel on attend le comble de la fantasmagorie qu'un bouddhiste se doit d'expliciter.

Alors viendra le temps de la réalisation que le naître et le mourir ne sont rien de plus que les modalités de l'apparaître et du disparaître de l'Univers en toutes ses composantes et que même, quand nous croyons vivre, nous apparaissons et disparaissons à chaque instant nous pliant, sans le savoir, à l'éternelle loi du changement perpétuel dite Impermanence.

Sans en faire une affaire.... alors continuons.

FleurDeLotus Butterfly_tenryu
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axiste
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Ce que la mort m'évoque (succinctement):
La vie -la mort comme une feuille de papier recto verso: deux évènements inséparables…parler de la mort c'est donc parler de la vie et vice versa …
Nous vivons parce que nous mourrons à chaque instant: en fait, impossible de dissocier les deux …sinon, pas de mouvements possibles. C'est en mourant à chaque instant que l'on vit, nous vivons de la mort...

( et comme dit Namgyal,
Vie :CDI de faim de MOI
Mort: échéance de fin de MOI Butterfly_tenryu )

Je n'est qu'une personne, dans un océan de vie-mort…
Pas possible de distinguer les deux en fait
C'est peut-être encore une fois le langage qui dissocie un même évènement…
Notre corps est un ensemble d'énergies et d'informations et il se renouvelle constamment en échangeant aussi avec l'univers.
Le poète W.Whitman dit: « Chaque atome vous appartenant m'appartient également. On ne peut pas dire véritablement: j'ai un corps, ce corps est à moi."
Alors arrivé là, il n'y a déjà plus rien...qu'est-ce ou qui est-ce qui meurt véritablement ?
(Bon, ce ne sont que des mots, bien entendu...mais on peut guérir la peur en comprenant qu'on ne comprend rien...que tous nos postulats sont faux probablement...)
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
namgyal

@ toutes et tous flower_333

Très difficile de parler de la mort. Sujet philosophique par excellence. Je ne crois pas que la mort soit un objet de conscience en soi. Désolé pour ce truisme...
Pour moi la mort ne peut s'appréhender que relativement à... dans la relation aux autres, à ceux que nous aimons, à ce que nous chérissons, à ce à quoi nous sommes attachés: nos biens,les activités qui font notre vie.
je prends un exemple. Quand nous songeons à notre propre mort, ce n'est pas la fin biologique, notre état de mort que nous nous représentons. Nous nous voyons mort, et ce qui nous fait statut de mort ( en songe), ce sont les vivants autour de nous, nos proches,leur regard, leurs larmes, leur chagrin, leurs parole, leur visage penché sur notre dépouilles. Ce qui nous fait statut de mort (en songe), c'est la peine, la douleur que nous fait éprouver cette représentation "onirique", c'est la séparation, la perte, la déchirure. la fin de la relation.
Ainsi pour moi, la mort est tout entière du coté des vivants, du coté de la vie.
la mort, oui échéance de fin de moi... Mais ce n'est pas la disparation de ce moi seule qui fait la mort, c'est la fin de tout ce qui constitue ce moi: le lien , la relation qui fait la mort. La fin de tous nos attachements.
Nous le comprenons au moment de la mort d' un être cher et que nous faisons l'expérience douloureuse et fondatrice du deuil. Expérience très personnelle certes : j'ai eu l'occasion (comme d'autres) de tenir dans mes bras le cadavre d'un être cher.Tout aussi choquant et traumatisant que cela puisse être, ni la vue ni le contact avec le mort, ne m'ont donné conscience de la mort, en général et de ma propre mort en particulier. C'est seulement le coup fatal porté à l'attachement, au lien affectif, et l'immense douleur qu'il provoque, la longue agonie du lien et de l'attachement qui m'a fait peu à peu prendre conscience de la mort, de ma propre fin.
donc oui...
dixit axiste
La vie -la mort comme une feuille de papier recto verso: deux évènements inséparables…parler de la mort c'est donc parler de la vie et vice versa …
la mort est pour moi une traversée de l'impossible, toute entière du coté de la vie... love3

pensées amicales
FleurDeLotus
Iskander

remind a écrit :Yes ! Et comme quoi la mort est bien une invention des vivants !
:D
La mort n'est pas une invention des vivants, mais c'est certainement un problème qui ne préoccupe que (certains) vivants.
ardjopa

La mort est un "sujet" essentiel pour ceux qui ont une quête spirituelle,
C'est même "la question centrale" pour certains pratiquants du zen, entre autres;

Recemment je marchais dans une petite ville à 1h du matin (!), un scooter passe dans la rue très près de moi, je n'y fais pas trop attention; Plus loin j'entends un choc assez brutal, je croyais que c'etait un camion qui déchargeait des affaires; En fait c'était le jeune sur son scooter (21 ou 22 ans...) qui venait de louper un virage, trop pris rapidement: les secours arrivent, pompiers, j'ai juste le temps de le voir emmené sur un brancard, et la porte de l'ambulance se referme; Le lendemain j'apprendrai dans un journal qu'il n'a pas survécu à ses blessures;
Le genre de choses qui fait réfléchir sur l'évanescence et la dérision de sa propre vie; Où son "esprit" est-il parti, une fois que la "vie" a quitté son corps, dans le "néant", nulle part, une autre sphère, le monde céleste ? A chacun de voir ou de croire
Mais il est aussi très facile d'oublier, d'occulter la mort, emportés par nos passions terrestres, et "notre "vie, peut-être aussi par peur de faire face à notre propre impermanence et notre dissolution terrestres ;-) ce qui n'est pas plus grave ni important, pas plus insignifiant non plus, que le papillon qui meurt à la fin de la journée, ou l'oiseau perdu quelquepart sur les restes de banquise, qui s'apprête à rejoindre l'éternité

Comme disait le Silencieux du clan des Sakya : La plupart des hommes oublient que nous mourrons tous un jour. Pour ceux qui y pensent, la lutte est apaisée.

Butterfly_tenryu
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jules
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ardjopa :
Comme disait le Silencieux du clan des Sakya : La plupart des hommes oublient que nous mourrons tous un jour. Pour ceux qui y pensent, la lutte est apaisée.
Dans l'indifférenciation de toute chose apparaissant dans notre esprit, tel que produit de notre esprit; penser à la mort ce serait comme penser à CECI ou à CELA, à telle chose ou à telle autre. Lorsque les conditions sont réunies, la mort revêtira telle ou telle forme, lorsque les conditions seront réunies il y' aura cessation de l'apparition de la mort sous telle ou telle forme, lorsque les conditions seront réunies, il y'aura à nouveau apparition de la mort perçue sous telle et telle forme.
Rien n'échappe à cette Loi, pas même l'édification de cette Loi.

FleurDeLotus
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