La mort annoncée de la superpuissance américaine

Compagnon

Moisés Naím, traduit par Micha Cziffra — 03.06.2017 - 13 h 45, mis à jour le 03.06.2017 à 13 h 45

Moisés Naím, chroniqueur pour de nombreux titres dont El Pais, Repubblica, The New York Times, The Financial Times, The Washington Post, est membre émérite de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Il a été le rédacteur en chef de Foreign Policy pendant 14 ans.
Il a été, avant l'arrivée de Chávez au pouvoir, ministre du Commerce et l'Industrie et directeur de la Banque centrale du Venezuela et directeur exécutif de la Banque mondiale. Il est l’auteur de plus d’une dizaine de livres dont Le Livre noir de l’économie mondiale: contrebandiers, trafiquants et faussaires (Grasset) et The End Of Power: From Boardrooms to Battlefields and Churches to States, why Being in Charge is Not What it Used to Be (Basic Books).

Les difficultés du gouvernement à prendre des décisions fondamentales sont intimement liées au déclin du rayonnement américain.

L’un des faits surprenants que les historiens étudieront pendant de longues années est le choix des États-Unis de renoncer à leur statut de leader mondial. Ils devront en outre expliquer à quoi tient cette décision unilatérale car, il faut bien le dire, personne n’a arraché à ce pays l’immense pouvoir qu’il avait bâti des siècles durant.

En réalité, cette abdication ne correspond pas à une décision claire dans ce sens, mais elle est le fruit d’un processus long et complexe. Et bien que l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche l’ait accéléré, cette cession de pouvoir s’est enclenchée il y a un certain temps déjà.

La polarisation politique des États-Unis et les difficultés du gouvernement à prendre des décisions fondamentales sont intimement liées au déclin du rayonnement américain. En 2015, Lawrence Summers, l’ex-secrétaire au Trésor, lançait cette mise en garde: la rigidité idéologique et l’incapacité qui en découle à obtenir des consensus affaiblissent le rôle international des États-Unis.

«Tant qu’un parti politique continuera de s’opposer systématiquement aux traités commerciaux avec d’autres pays et que l’autre parti rechignera à financer les organismes internationaux, les États-Unis ne seront pas en mesure de modeler le système économique mondial.»

Larry Summers faisait alors référence à tous les maux que s’auto-infligeait l’Amérique à chaque fois que le Congrès refusait d’adopter des réformes, auxquelles il répugnait, destinées à renforcer certaines institutions comme le Fonds monétaire international (FMI). Le FMI, comme la Banque mondiale, font partie d’un ordre mondial important qui profite aux États-Unis. Leur solidité et leur pertinence devraient être au cœur des priorités de Washington, mais étonnamment, il n’en est rien.

La cession unilatérale du pouvoir

S’agissant du FMI, 188 pays membres sur 189 ont adopté les réformes proposées. Pas les États-Unis. Or, sans leur vote, ces réformes n’ont pas pu être appliquées. Après avoir patienté cinq ans, dans l’espoir que le Congrès américain finirait par y consentir, le gouvernement chinois a décidé de créer un nouvel organisme financier international au sein duquel Washington n’aurait pas voix au chapitre. C’est ainsi qu’est née la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) qui compte aujourd’hui 57 États membres et que s’apprêtent à rejoindre 25 pays supplémentaires, dont le Canada et l’Irlande. Dès le départ, on a invité les États-Unis à adhérer à la BAII, une invitation qui est restée sans effet.

Autre exemple récent de cette cession unilatérale de pouvoir: la décision de Donald Trump de sortir du Traité transpacifique (TPP). Le TPP n’inclut pas la Chine; lorsqu’il l’a proposé, l’objectif de Barack Obama était de mettre en place un organisme permanent visant à rapprocher les États-Unis de ses alliés asiatiques. Naturellement, un tel partenariat avait aussi vocation à faire contrepoids à la suprématie chinoise dans cette région.

L’une des premières décisions de Trump en tant que président est de sortir du TPP. Immédiatement, la Chine s’est empressée de profiter cette rare aubaine: Pékin a pris contact avec les plus hauts responsables des 11 pays membres du TPP pour leur proposer un accord commercial attractif. Les États-Unis n’ont pas été conviés à y participer.

Mais Xi Jinping, le président chinois, a voulu aller plus loin, redonnant de l’élan à une initiative qu’il avait lancée en 2013: la nouvelle route de la soie. Invoquant le légendaire réseau de chemins qui reliait la Chine au reste de l’Asie débouchant sur la Méditerranée, Xi Jinping, a invité 64 pays à contribuer à un vaste projet de constructions d’axes routiers, de voies ferrées, de ports et aéroports qui connecteront la Chine à l’Asie, au Moyen-Orient, à l’Afrique, à l’Europe et même à des pays latino-américains comme l’Argentine ou le Chili. Avec la Chine, ces 64 pays représentent 60% de l’humanité et, ensemble, ils pèsent un tiers du PIB mondial.

Les postures protectionnistes de l’administration Trump

Il y a peu, 44 chefs d’État ont assisté à un sommet organisé à Pékin, où ils ont signé un communiqué dans lequel ils affirment:

«Nous nous opposons à toute forme de protectionnisme (…) et nous défendons un commerce international universel et ouvert, fondé sur des règles, sans discrimination et équitable.»

Cette déclaration contraste bien évidemment avec les postures éminemment protectionnistes de l’administration Trump.


Washington perd de son influence sur la scène internationale dans bien d’autres domaines: la lutte contre le réchauffement climatique et la prolifération nucléaire, l’aide au développement et le contrôle des pandémies dans le monde, la lutte contre les crises financières, la régulation d’Internet, la gestion de l’impact des activités de l’homme sur les océans, l’air, l’espace ainsi que les pôles Arctique et Antarctique… Qui comblera cette vacance de pouvoir? La réponse à cette question définira le nouvel ordre mondial. Je peux d’ores et déjà vous dire que ce ne sera pas la Chine.

Slate.fr

A lire aussi : http://www.slate.fr/story/146424/admini ... e-cerveaux

Si ce n'est pas la Chine (j'aurais bien aimé qu'il dise pourquoi selon lui) je ne vois pas d'autre possibilité que la Russie. Cela rappel les romans d'uchronie de Norman Spinrad : L'automne américain, le printemps russe, le Printemps américain. Publié au début des années 1990 (bon sang cela fait plus de 25 ans ! )

L'auteur imagine une Union soviétique régénérée par la Perestroïka de Mickael Gorbatchev, qui aurait pu poursuivre son œuvre de libéralisation dans une URSS communiste, une Union européenne vivante et bloc de stabilité, avec en contrepoint des États-Unis s'enfonçant dans un régime ultra-libéral et semi-dictatorial. L'auteur oppose le dynamisme nouveau de l'URSS et de l'Europe au protectionnisme et au repliement des États-Unis.
Lotus Bleu

Intéressant ! on pourrait parler plus largement du déclin annoncé de la civilisation occidentale !!! j'invite à lire l'oeuvre personnelle de Michel Onfray : T1 Cosmos et T2 Décadence (T3 à venir). TOUT EST DIT !!!!
Compagnon

La notion de déclin est très relative. Pendant longtemps l'on a qualifié le Moyen Age occidental d'age sombre, jusqu’à ce qu'on revienne sur cette idée, parallèlement on ventait l'age d'or des civilisations arabo-musulmanes à la même époque jusqu’à ce que l'on se rende compte que leur réussite temporaire devait énormément à l'héritage grec, chrétien, zoroastrien et juif dans les terres conquises et non pas tant que cela à un quelconque "génie arabo-musulmans propre". De plus un nombre non négligeable de savants classés comme "musulmans" a cette époque étaient des convertis par interêt afin qu'on les laisse tranquille et non pas des convertis par le coeur. Mahomet et les siens étaient avant tout des marchand devenus un peu brigands par nécessités dans une péninsule arabique en situation de chaos politique et de déclin économique et non un pool de savants. D'ailleurs fait intéressant, Jésus lui aussi ne s'est pas entouré de savants parmi ses 12 apôtres, la plupart étaient des hommes du peuples illettrés et assez "frustres". Pas tout évidemment mais une majorité. D'ailleurs dans les évangiles Jésus se désole parfois du manque de compréhension, de finesse, de ses apôtres que pourtant il a lui même choisis.
De son coté le Bouddha aimait enseigner aux enfants quand l'occasion se présentait car leurs esprits étant encore assez vierges de tout un fatra de conditionnement et préjugés propres au adultes.

De toute façon à mes yeux comme tous les grands empires du passé, les Etats Unis ne sont pas éternels, ils tomberont un jour. C'est inévitable. Seuls inconnus : le quand, la vitesse et la violence de la chute (sans compter les vagues que cela provoquera partout). Les dégâts furent déjà ravageur en 1929 ou les USA étaient déjà le foyer de naissance de la 1ère crise économique mondiale et l'économie n'était pas aussi mondialisée qu'actuellement.
Lotus Bleu

Tout à fait d'accord. Onfray dans son Tome 2 (Décadence) ne dit pas autre chose... Il en dit beaucoup (un gros pavé à lire, comme toujours) mais il est sur cette ligne là... L'impermanence, toujours...
ted

Lotus Bleu a écrit :
05 juin 2017, 13:47
Intéressant ! on pourrait parler plus largement du déclin annoncé de la civilisation occidentale !!! j'invite à lire l'oeuvre personnelle de Michel Onfray : T1 Cosmos et T2 Décadence (T3 à venir). TOUT EST DIT !!!!
Tout est dit si on accepte d'être défaitiste, non ?
Moi, je parie que l'islam va se diluer dans l'occident.
Faire l'amour quand on veut avec qui on veut.
S'habiller comme on veut.
Manger ce qu'on veut.
S'amuser quand on veut :
Aucune religion n'a mieux à proposer à la jeunesse. :???:

Le 21ème siècle sera spirituel en effet, mais pas religieux. Et cette nouvelle spiritualité, ce sera la virtualité.
Lotus Bleu

Je crains que ce soit l'occident qui se dissolve dans l'islam...
Je ne suis absolument pas optimiste (réaliste ?)
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yves
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soi-disant quand on espère on est pas réaliste

c'est le dogme ambiant: l'humain est mauvais par nature...

je crois que nous créons qui nous sommes et quand on adhère à une idée, on la devient ...

il faut bien choisir ce que l'on veut être :D
oui à ce qui est
tout change
tout est maintenant
être tout
amour
Compagnon

@Lotus bleu : aucune chance, l'Islam est bien trop divisé, on ne balaye pas en Occident des millénaires de pensée libertaire, de révoltes, de rébellion, de créativité, de soif de liberté, aussi simplement. L'Islam contient en germe les ferments de sa propre destruction. C'est comme les bonnes et les mauvaises graines dans le mental et le tréfonds. Actuellement les mauvaises graines sont beaucoup arrosées.
Si on ne prend que la France, nous sommes bien trop râleurs, bordéliques, chaotiques, indisciplinés, inconstants, attachés aux plaisirs de la vie (mode, bouffe, alcool, musique, arts divers, sexe etc..) pour accepter la version totalitaire et théocratique de l'Islam des fanatiques. C'est eux qui seront ramollis par les plaisirs de la vie qui sont partout dans notre société. Ils nous haïssent par jalousie. Ils n'ont aucune chance face à la pâtisserie, à nos bons vins, nos fromages, notre cuisine en général, notre lingerie, nos bibliothèques remplies de philosophes, de penseurs, d'écrivains, nos musés gavés d’œuvres d'art, etc...
Nous aimons la vie, l'idéal de djihadiste selon Daesh c'est la mort "glorieuse" dans l'auto-destruction en emportant des innocents au hasard autour de soi. La vie l'emporte toujours. Nous aimons la vie, ces fous aiment la mort.
Lotus Bleu

Compagnon : ton analyse semble correcte et j'aimerais que tu aies raison, mais... sans céder aux théories du grand remplacement (encore que...) partout où les musulmans d'Europe sont nombreux (Birmingham, Molenbeeck, Marseille, etc...) une frange non négligeable de leur communauté (salafiste, tabliq, etc...) donnent le LA et ces mêmes communautés, désocialisées, minées par le chômage, jalouses sûrement de notre liberté, n'osent dénoncer ces théories mortifères. Qui ne dit rien consent ? On peut le penser... On ne les a pas beaucoup vu (les musulmans) après Charlie Hebdo (ce n'est qu'un qu'un exemple). Ces gens sont de plus en plus nombreux, on continue, malgré le chaos social, d'en accueillir, les Molenbeeck demain, il y en aura partout en périphéries de nos villes de plus en plus invivables (pollution, insécurité, chômage), je suis très pessimiste. Que l'on ne me demande pas d'être souriant à la vie qui ne l'est pas. On m'écrit qu'il faut être ce que l'on désire devenir ? mais je ne suis pas hors sol ! Je vis ici, dans ces difficultés.
Petit bémol : il y a des musulmans très bien, qui s'adoucissent au contact de notre société, heureusement.
Sur ce sujet, comme pour beaucoup d'autres, je semble être en décalage avec nombre de forumistes.
C'est vrai que je suis plutôt Valeurs Actuelles et Causeur que l'Obs et Marianne, souverainiste qu'écolo (EELV), enraciné que mondialiste, liste non exhaustive...
Bref, toutes ces discussions n'aboutissent jamais à rien. Je songe arrêter.
Je ne suis pas cette caricature de néo-bouddhiste à l'occidentale fan de Jean-Claude Carrière dont mon ami restaurateur vietnamien Nguyen, qui a fui le communisme, monté son restaurant tout seul, sans jamais se plaindre, et qui n'aurait pas idée de voter autrement qu'à droite, dit le plus grand mal.
Namasté... à la menthe.
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yves
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Lotus Bleu a écrit :
07 juin 2017, 09:08
Petit bémol : il y a des musulmans très bien, qui s'adoucissent au contact de notre société, heureusement.
que dire des musulmans doux qui à cause du contacte de notre société se radicalisent!!
oui à ce qui est
tout change
tout est maintenant
être tout
amour
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