Je pense honnêtement que le Bouddha ressentait dukkha. Dukkha au sens large. C'est à dire non pas seulement la souffrance au sens français du mot mais toutes les facettes de dukkha. Walpola Raula conseil de ne pas traduire "dukkha" car quel que soit le mot que l'on emploi on opère aussitôt une réduction du sens qui est trompeuse. Qui induit en erreur sur le sens profond de toutes les formes/dimensions de dukkha.
Prenons la motivation, la motivation c'est ce qui, littéralement, nous "met en mouvement", nous incite à agir. (Et que dit-on du Bouddha justement ? Il "met en mouvement" la roue du Dharma !)
Qu'est ce qui incite Siddharta Gautama à tout quitter pour devenir ascète ? L'empathie/la compassion. Déjà il constate autour de lui l'omni-présence de la souffrance/insatisfaction au moins physique : on nait dans la douleur, on vit en connaissant les maladie, la vieillesse et la mort, la vie est courte. Et ce constat est terriblement douloureux pour lui, c'est une question existentielle, comment vivre, accepter de vivre, en sachant tout cela ? Comment être heureux dans cette vie en sachant tout cela ? Surtout quand comme lui on a père, femme, enfant et une mère biologique morte très jeune.
Donc il quitte tout pour trouver une réponse avec une détermination farouche, il est prêt à risquer une mort prématurée pour cela (cela lui arrivera presque d'ailleurs). Et il le fait par compassion pour lui et pour les autres. Il cherche la réponse pour lui même autant que pour sa famille et tous. C'est à la fois égoïste et altruiste. Et ni l'un ni l'autre indépendamment.
Et une fois l'Eveil atteint, si il n'avait plus perçu la moindre souffrance en lui ni autour de lui, si il était devenu insensible, "froid", comme le comprennent souvent mal les non-pratiquant, qu'est ce qui aurait pu le motiver pour rester en vie ? Rien.
Donc l'Eveil ne l'a pas rendu insensible. Au contraire.
Donc je pense qu'il ressentait forcément dukkha au moins chez autrui et que cela le dérangeait. Si il n'a pas céder à l'ultime tentation de Mara c'est que mourir immédiatement après son Eveil était une conclusion insatisfaisante, était dukkha. Et il n'a pu arriver à ce constat que si il ressentait encore dukkha en lui et autour de lui. Il avait d'ailleurs toujours un corps physique, il ressentait donc forcément les formes physiques de dukkha. Besoin de s'alimenter, d’exécrer, vieillesse, maladie, sensibilité au intempéries, besoin de sommeil etc...
D'ailleurs il a hésité à propager son message craignant de ne pas être compris malgré toute sa sagesse, il doutait qu'il y ai des personne susceptibles de comprendre. Et si il a hésité c'est par un constat insatisfaisant : risque de trop peu de gens susceptibles de comprendre. Il y a si peu de gens capable de comprendre, il le dit d'ailleurs lui même ouvertement il me semble, c'est un constat insatisfaisant, amer. Il est aussi peut être amer quand il cède aux femmes proches de lui en créant un ordre féminin, et en avertissant qu'a cause de cela, d'avoir voulu brusquer les choses car la société n'était pas prête, le Dharma sera oublié plus tôt que prévu. Guère satisfaisant vous ne croyez pas ?
Est ce que la trahison de Devadatta l'a laissé totalement impassible et indifférent croyez vous ?
Je ne vois pas comment on peut parler de la compassion du Bouddha si celui ci ne ressent plus la moindre dukkha.
Par contre il l'a maîtrise. Ou du moins il fait le choix d'accepter d'en ressentir. Sans se faire dominer.
Regarder l'idéal du bodhisattva, avec la légende de Kannon/Guanyin/Tchenrézi/Avalokiteshvara, ou une princesse incarnation de bodhisattva de la compassion meurt martyr et alors qu'elle s'élève au Ciel sujette à l'Eveil tourne son regard vers la terre, voit toute la souffrance et se refuse à abandonner les êtres restant à leur souffrance, elle renonce à sa propre libération pour revenir vers les êtres (et donc souffrir encore elle-même) pour les guider ? Cela n'est possible que si l'on est sensible à la souffrance d'autrui : que la souffrance d'autrui nous fait souffrir. Cum patior : souffrir avec en latin, à donner compassion. C'est précisément ce que fit le Bouddha lui même après l'Eveil. Il resta parmi les vivants. (PS : Jésus fit de même au passage... pas étonnant que certains bouddhistes fassent de lui un bodhisattva).
Donc bien sûre que oui selon moi le Bouddha ressentait dukkha, par choix, mais la puissance de sa volonté, de sa sagesse, lui permettait de n'être ni dominé ni abattu par elle mais au contraire d'y trouver une puissante motivation a sa compassion.
The Spirit of Compassion by Raynor Hoff (1894–1937), carved from marble on the South Australian National War Memorial, unveiled in 1931.
Spirit of Compassion (Doctor), one of the twelve life-size statues "Spirits of America" flanking either side of the 1,000 seat theatre in The American Adventure pavilion at Epcot theme park.
Guan Yin of the south Sea of Sanya
Toutes trois des femmes au passage... (sexisme inversé, comme si la compassion ne pouvait être incarnée que par une femme XD) - curieux, Jésus, le Bouddha... 2 hommes.
PS : la dernière représentation m'en bouche un coin a chaque fois que je la vois, vous verriez le décors... stupéfiant !