Une fois pour toutes : c'est quoi la différence ?

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jules
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Zopa : Il y a peut être plusieurs manières de le comprendre.
Et ce qui me concerne, je comprends ainsi la phrase " le Tathagata n'est pas trouvable en cette vie" par : un Tathagata qui existerait de manière inhérente n'existe pas, c'est pourquoi même si on le recherche sur la base de ses cinq agrégats grâce auxquels il interagit avec les hommes ( "en cette vie" pouvant désigner ses agrégats psycho-corporels d'une vie spécifique), on ne le trouve pas.
Oui, cela concorde bien avec le sutra du coeur où il est dit que dans Ku, il n'y a ni forme, ni skandas, ni oeil, ni oreilles, ni nez, ni langue, ni corps, ni conscience etc.
Compagnon

Les mots sont porteurs de sens. On s’aperçoit qu’une personne qui ne connait pas bien une langue usera de multiple périphrases pour arriver à exprimer ce qui pourrait être dit en deux mots.

Pas faux. Là nous sommes au niveau de la connaissance linguistique. Une personne maîtrisant bien une langue aura en effet plus d'esprit de synthèse, connaîtra davantage de vocabulaire et de nuance. Et ce quel que soit le type de propos qu'elle cherche à faire passer. D'accord.

Les mots en effet sont porteur de sens. Toutefois nous ne leur donnons pas tous exactement le même sens, même en sein d'une même langue. Ainsi, si je prend le simple mot "chaise", quand nous le lisons, chacun a dans sa tête l'image d'une chaise particulière. Et nous n'avons pas tous la même image. La taille, la composition, la forme, le nombre, peut varier. Pourtant le "concept" de chaise semble simple, on peut se dire que tout le monde comprend quand on dit le mot "chaise". Mais si nous étions tous autour d'une table (assis sur des chaises ;) ), que chacun prenait un bout de papier, décrivait l'image qui surgit dans son esprit quand on le dit le mot "chaise", puis repliait le papier et le donnait à son voisin, il n'y aurait surement pas partout la même définition. Ce ne serait que détails peut être... mais prenez une phrase dite et entendue ou chaque mot employés est comme "chaise", ou l'idée globale est consensuelle mais ou les détails diffèrent d'un individu à l'autre ? Imaginez cette phrase prononcée devant 50 personnes, je doute que chacun soit en mesure de restituer le sens exacte de celui qui l'a prononcé. On peut ainsi de manière délibéré sortir des phrase "creuse", fourre tout, ou chacun remplira les mots avec le sens qu'il veut, pour lui. Nos politiciens sont devenus experts en la matière. Notre président actuel avait un slogan de campagne pour se faire élire qui était un chef-d'oeuvre du genre, et qui a d'ailleurs parfaitement marcher pour se faire élire. Pour gérer ensuite ce fut... fort différent.

Et je ne parle même pas des traductions d'une langue à une autre et du sens déformée. Prenez "Śūnyatā" pendant longtemps improprement traduit par "vide" et tout les malentendus et incompréhensions que cela a suscité ? De plus une langue "vit" et avec le temps le sens des mots peut changer, l'étymologie permet de retrouver le sens initial. Passez au crible plusieurs heures de programme TV de quelque nature que ce soit et comparer l'emploi des mots et leur sens initial, vous aurez des surprises croyez moi.

C’est une violence faite à soi-même je trouve, de se retrouver dans la situation de ne pas pouvoir s’exprimer.

Si l'on résume la capacité de s'exprimer d'un humain a sa seule parole. Ce qui est excessivement réducteur.
De plus il faut distinguer expression et communication. Est ce que s'exprimer c'est communiquer ?

En 1967 le professeur Albert Mehrabian (psychologue) a évalué le ratio suivant, dans la transmission d'un message verbal (donc basé sur la voix), employant une langue précise :
- le sens des mots ne compterait que pour... 7% !
- le ton de la voix pour 38%.
- l’impression visuelle (le langage du corps si vous voulez) pour 55%.

D'ailleurs plus d'un humoriste l'a remarquer, en faisant valoir par exemple que l'accent québécois manquait sérieusement de crédibilité quand on voulait tenir des propos tragique ou menaçants.

Pour l'écrit je suppose que c'est différent. A quel point là...

Il y a bien d'autres moyens de s'exprimer que la voix : les gestes par exemple, les expressions du visage.

La richesse du vocabulaire et donc la richesse des idées qui peuvent être véhiculées par là sont un gage de compréhension de soi-même et des autres à mon sens, un pas vers la clarté indispensable à la communication, une possibilité supplémentaire d’exercer la parole juste en somme.

Bien sûr que c'est une richesse, la diversité des langues, leur musicalité, les jeux de mots etc... toutefois il y a certaines choses qui ne peuvent être pleinement communiquer avec des mots, que ce soit écrits ou parlé. Il me semble que l'expérience de l'Eveil fait partie de ces choses. On pourra essayer de le faire, mais jamais pleinement efficacement.

Donc l'écrit ou l'oral, oui, c'est utile, c'est bien, mais il ne faut pas leur faire une confiance absolue. Prudence.
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Zopa2
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En tous cas, c'est amusant de constater que celui qui déclare qu'il n'est pas sage de faire confiance aux mots, est celui qui les utilise le plus ! loveeeee
Compagnon

Zopa2 a écrit :En tous cas, c'est amusant de constater que celui qui déclare qu'il n'est pas sage de faire confiance aux mots, est celui qui les utilise le plus ! loveeeee
J'ai dis prudence et non rejet absolu :)
J'aime lire, j'aime écrire, j'aime parler, mais je n'en reste pas moins lucide. Des années de pratique sur des forum me confirment que ce qui est écrit tout comme ce qui est dit est très souvent mal compris. Irl j'ai aussi compris que les gens se méprenaient souvent sur mes intentions.

Tu sais ce qu'on dit : ce sont les cordonniers les plus mal chaussés !
ted

Compagnon a écrit : "soi", "je", "conventionnel", "non conventionnel" "inhérent" et non "inhérent", "soi' et "non-soi"... ce ne sont que des mots.

Des signes géométriques en noir sur blanc sur un écran d'ordinateur auxquels nous donnons un sens.

Mais c'est nous qui leur donnons un sens, une valeur, une connotation, une signification, qui en plus n'est pas exactement la même d'une personne à l'autre.
Tu as tout à fait raison Compagnon.

Juste une remarque quand même :
Si du jour au lendemain, on décide qu'au volant, on passe au feu rouge et qu'on s'arrête au feu vert, ce ne sera qu'une convention, analogue à la précédente. Mais elle fera des milliers de morts de plus, avant que les gens ne désapprennent l'ancienne convention.

De même, à mon avis, vouloir continuer à utiliser le mot "soi", ou l'expression "soi conventionnel", pour désigner quelque chose qui n'a aucune des caractéristiques d'un soi, c'est induire des millions de gens en erreur, sauf si les personnes qui emploient ce terme le font entre elles, dans une école philosophique spécifique, constituée d'initiés.

On devrait éviter d'utiliser cette expression sur un forum grand public et surtout, ne pas laisser croire qu'elle est répandue et courante dans le bouddhisme. :roll:

Loin des joutes philosophiques spécifiques à des écoles particulières, ne serait-il pas plus simple de parler de "personnes" ou "d'êtres sensibles" ? En tout cas, d'utiliser un terme neutre de façon à ne pas permuter feux rouges et feux verts ?

Il est si facile d'induire un débutant en erreur en utilisant une terminologie issue d'une école particulière.
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Zopa2
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ted a écrit :
Compagnon a écrit : "soi", "je", "conventionnel", "non conventionnel" "inhérent" et non "inhérent", "soi' et "non-soi"... ce ne sont que des mots.

Des signes géométriques en noir sur blanc sur un écran d'ordinateur auxquels nous donnons un sens.

Mais c'est nous qui leur donnons un sens, une valeur, une connotation, une signification, qui en plus n'est pas exactement la même d'une personne à l'autre.
Tu as tout à fait raison Compagnon.

Juste une remarque quand même :
Si du jour au lendemain, on décide qu'au volant, on passe au feu rouge et qu'on s'arrête au feu vert, ce ne sera qu'une convention, analogue à la précédente. Mais elle fera des milliers de morts de plus, avant que les gens ne désapprennent l'ancienne convention.

De même, à mon avis, vouloir continuer à utiliser le mot "soi", ou l'expression "soi conventionnel", pour désigner quelque chose qui n'a aucune des caractéristiques d'un soi, c'est induire des millions de gens en erreur, sauf si les personnes qui emploient ce terme le font entre elles, dans une école philosophique spécifique, constituée d'initiés.

On devrait éviter d'utiliser cette expression sur un forum grand public et surtout, ne pas laisser croire qu'elle est répandue et courante dans le bouddhisme. :roll:

Loin des joutes philosophiques spécifiques à des écoles particulières, ne serait-il pas plus simple de parler de "personnes" ou "d'êtres sensibles" ? En tout cas, d'utiliser un terme neutre de façon à ne pas permuter feux rouges et feux verts ?

Il est si facile d'induire un débutant en erreur en utilisant une terminologie issue d'une école particulière.


Ce qui serait utile, c'est de définir clairement la notion de "soi conventionnel" ou de "je conventionnel" car tu as raison Ted de dire que ce "je conventionnel" ne possède pas du tout les caractéristiques d' un soi inhérent, auto-suffisant, existant de propre côté, indépendamment de tout reste, et substantiel. Ce "soi ou je conventionnel" est un simple nom, attribué par l'esprit, et qui est donc dépourvu des caractéristiques du soi qui existerait de manière inhérente. Voilà c'est peut être plus clair comme çà.


Tu proposes d'utiliser des mots plus neutres comme "personne". Je cite juste le passage suivant : " En général, "soi" (atman), "personne" (pudgala) et "Je" (aham) sont synonymes avec "personne" ou "être" (purusha). Cf. Meditation on Emptiness de Jeffrey Hopkins.Éditions Wisdom Publications-Boston. P. 175. Les sources de explications données dans cet ouvrage viennent presque entièrement de l'ordre Gelukpa du bouddhiste tibétain, notamment Tsong Khapa (1357-1419), Jamyang shay-pa (1648-1721) et d'un livre du Collège Gomang du monastère de Drepung à Lhassa. C'est juste une citation parmi d'autres puisqu'en écrivant " en général", Hopkins se réfère à des sources bien plus vastes.

Hopkins écrit également dans son introduction (p16-17) :

" Il devrait être clair à la fin de ce livre que l'interprétation traditionnelle (selon les Prasangika -Madhyamika), est en désaccord et même réfute les 32 positions suivantes". La 17 : " Il n'existe pas de "Je" du tout". La 32: " Les vérités conventionnelles sont niées par les vérités ultimes".

Mais bon, je n'insisterai pas sur l'usage du mot "soi" ou "je" ayant une existence conventionnelle, surtout si cela doit provoquer des accidents de la circulation et induire des ... Millions de personnes... en erreur :) , même si j'ai parfois l'impression que nous tous ici, utilisons le sens de ces termes, à chacun de nos messages. :) ce sujet donc clos en ce qui me concerne, je n'insisterai pas.

Il y a en revanche un point qui serait intéressant à aborder, à mon avis, dans toute réflexion sur la vacuité c'est :
De quelle manière existe la base d'imputation sur laquelle l'ignorance surimpose un soi qui existerait de manière inhérente ? ( non pas, de quelle manière existe ce soi qui est surimposé, existe-t-il ? N'existe-t-il pas ? Mais plutôt, de quelle manière existe sa base d'imputation ? )
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jules
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Zopa : Il y a en revanche un point qui serait intéressant à aborder, à mon avis, dans toute réflexion sur la vacuité c'est :
De quelle manière existe la base d'imputation sur laquelle l'ignorance surimpose un soi qui existerait de manière inhérente ? ( non pas, de quelle manière existe ce soi qui est surimposé, existe-t-il ? N'existe-t-il pas ? Mais plutôt, de quelle manière existe sa base d'imputation ? )
Il me semble qu’à proprement parler, ce serait une erreur de dire qu’il existe une base d’imputation sur laquelle l’ignorance surimposerait le soi, car en réalité, il m’apparaît plutôt que cette base d’imputation est déterminée concomitamment à la saisie du soi.

En effet, exprimer la chose tel que tu le fait revient il me semble à essayer de trouver cette base d’imputation indépendamment du soi ; ce serait ainsi considérer l’existence du soi intrinsèque du phénomène propre à la base d’imputation. Or le soi des phénomènes est aussi réfuté dans le bouddhisme.

Donc pour répondre directement à la question que tu soulèves, la base d'imputation existerait en dépendance de l'illusion du soi, et il ne serait pas possible de trouver une base d'imputation autre que celle relative à cette illusion.
J’espère avoir bien compris ta question.
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Zopa2
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Zopa2 a écrit :
jules a écrit :Pourrais-tu me donner la définition de base d'imputation ? j'ai des doutes là.
Si quelqu'un nommé Jules est à la fenêtre en train de regarder dehors et qu'une autre personne le voit de l'extérieur, une imputation mentale conceptuelle va automatiquement se produire en elle et lui faire dire ´c'est Jules là-bas'. Or, la façon dont cette pensée conceptuelle désignative impute Jules consiste précisément en la saisie de Jules en l'esprit. En l'occurence, la condition de l'imputation ou la base d'imputation est le visage de Jules qui apparaît à l'esprit.

De même, lorsque tu penses ´je suis heureux' , la base d'imputation à partir de laquelle est produite la pensée conceptuelle qui impute ´je ´ en l'esprit est précisément cette sensation de bonheur alors présente à la conscience.

Il en va de même pour tous les phénomènes extérieurs, quels qu'ils soient : lorsque naît la pensée conceptuelle qui les impute est tant que tel ou tel, c'est à la condition qu'une de leurs parties soit l'objet de l'esprit. La pensée conceptuelle d'imputation se produit alors et, parce que c'est elle qui impute, les parties des phénomènes que l'esprit a pris pour objet constituent la base d'imputation.

Le phénomène imputé et sa base d'imputation sont pourvus de trois propriétés caractéristiques (trois caractéristiques coopérantes) :

1) Lorsqu'à l'aide de techniques de raisonnement analytique on procède à une investigation sur le plan ultime pour déterminer si le phénomène imputé, quel qu'il soit, existe ou non du côté de sa base d'imputation, c'est cette base d'imputation sur laquelle repose l'analyse qui est la condition permettant de percevoir le mode d'existence ou la vérité - Dharmata (nature ultime) - du phénomène imputé.

2) En outre, dans les moments où l'on ne procède pas à une investigation sur le plan ultime à l'aide de raisonnements analytiques, la base d'imputation est la condition, le facteur coopérant, qui permet la production de la conscience conventionnelle qui perçoit la nature [conventionnelle] de ce même phénomène imputé.

3) Enfin, il ne fait aucun doute que les fonctions du phénomène imputé doivent correspondre aux fonctions de sa base d'imputation.

Je me permets de remettre ici une définition d'une base d'imputation.

On peut aussi rappeler, que lorsqu'on utilise cette expression, cela sous entend une distinction entre plusieurs facteurs :

1) la base d'imputation (également appelée base de désignation)
2) l'esprit qui impute ( l'agent qui impute et désigne)
3) l'action d'imputer elle même (lorsque l' ignorance saisit un soi qui existerait de manier inhérente).
4) l'objet qui est imputé sur la base d'imputation (ou ce que l'on impute, en l' occurrence, l'existence inhérente)
Compagnon

Juste au passage, je viens de remarqué quelque chose, dans la question il est dit "une fois pour toute", cela ne sous entend il pas la recherche de quelque chose de permanent ?
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jules
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@ Zopa,

Si tu précises la définition de base d'imputation, c'est sans doute que ma réponse te semble utiliser ce terme de manière inadéquate n'est-ce pas ? Pourrais-tu pour plus de compréhension et si tu le veux bien, reprendre ma réponse et montrer de manière directe ce en quoi elle révèle que je n'ai pas compris ce terme. Cela m'aiderait personnellement. Merci.
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