Comme promis, je vous livre mon témoignage de cette pratique.
Celle-ci s'est déroulée en février 1978 à Kagyu Ling. A cette époque, le centre était un vaste espace boisé avec le château de Plaige et quelques bungalows autour pour les retraitants. L'enseignement (collectif) avait lieu dans une des grandes salles du château et se poursuivait (individuellement) dans les bungalows.
Nous étions une dizaine de pratiquants. Le lama qui nous dirigeait était Lama Shérab secondé par deux traductrices. Les traductrices pratiquaient avec nous.
Durant la retraite (d'une semaine) nous ne devions pas parler (voeu de silence), même au réfectoire (où l'on procédait par gestes si l'on avait besoin de quelque chose).
Le texte de Powa lisible sur les feuillets ne comprend qu'un aspect de la pratique : les visualisations et récitations. La manière d'élever le Bindu (le grain "principiel" avec la syllabe HRI) dans le canal central est appuyée d'un cri, une sorte de "KAÏÏÏ...!" qui est poussé non pas avec sa gorge mais depuis le giron. Il est censé expulser le bindu vers le sommet du crâne. Lama Shérab nous dit que la manière de pousser ce cri est essentielle car d'elle dépend le déplacement du Bindu. Il nous montre à plusieurs reprises comment le pousser et nous devons faire de même. En groupe, ce n'est pas évident et c'est l'occasion de quelques fous rires. Lama Shérab nous dit que Kalou Rinpoche était capable, rien qu'en poussant ce cri, de provoquer un mouvement du corps d'un cadavre.
Il faut savoir en effet que Powa est une technique de transfert de conscience utile au moment de la mort. Son but est d'empêcher le pratiquant non seulement de sombrer dans des états infernaux, mais d'élever le "principe conscient" (c'était le terme — peut-être obsolète aujourd'hui — employé à l'époque pour parler de "l'esprit" du mourant) vers une renaissance meilleure. Dans notre pratique, cette renaissance meilleure devait se faire en "Dewatchène" qui est la Terre Pure d'Amithaba.
Une fois les initiations faites et l'enseignement divulgué, nous devions pratiquer dans nos bungalows, de jour comme de nuit, en poussant le cri aussi souvent que nécessaire. Imaginez la campagne bourguignonne en février 1978, silencieuse... avec des cris étranges dans la nuit

. Les champs sont couverts de neige et il fait un froid canard. Heureusement, nos bungalows étaient équipés de petits chauffages à gaz que nous devions bien sûr éteindre en notre absence (durant les enseignements quotidiens et les repas) et la nuit pendant notre sommeil. Nous pratiquions dans la posture assise, jambes croisées, le dos bien droit. Notre corps était visualisé comme étant celui du Bodhisattva Tchenrezi (Avalokitshvara), d'un blanc laiteux transparent (le canal central et le bindu doivent être clairement visualisés), avec le Bouddha Amithaba, de couleur rouge, dans la posture adamandine (qui est la posture assise sur un chaise), les deux pieds posés sur le sommet du crâne, là où se trouve l'extrémité supérieure du canal central.
Lama Shérab vient nous rendre visite l'avant dernier soir, individuellement, dans notre bungalow. Il parle mal le français, mais sait quelques mots. Il pose la main sur notre crâne et palpe le sommet. Il doit détecter un signe, une légère protubérance, qui se développe avec le cri. S'il ne sent pas cette protubérance, il considère que la pratique a échoué et le pratiquant en reste là. Sinon, il a droit à la suite (et fin) de l'enseignement.
Le lendemain, lama Shérab nous dit que les signes sont apparus chez nous tous. Il considère que c'est de bon augure et nous indique la manière de renaître en Déwatchène. Il décrit la Terre d'Amithaba comme une lieu de bonheur extrême, avec de bons fauteuils et de bons lits pour se reposer, et d'excellent mets. Il a un sourire malicieux quand il nous décrit Déwatchène car il sait que chacun se fait une idée personnelle de la Terre Pure, voire aucune idée du tout (ce qui était mon cas).
La suite et la fin de l'enseignement consiste à réciter un grand nombre de fois le mantra de longue vie : OM AMIDEOUA AYOU SIDDHI HOUNG
Mais surtout, chez soi, en quittant le monastère, le mantra d'Amithaba : OM AMEDEOUA HRI doit être récité 100 000 fois.
Comme tous les pratiquants, je dispose d'un mala, chapelet contenant 108 grains. Je me sers du mala pour compter le nombre de récitations du mantra d'Amithaba, dans la posture assise, avec les visualisations appropriées : Tchenrezi avec le canal central et le bindu et Amithaba au sommet du crâne.
Cette récitation me prend un peu plus d'un mois d'une pratique quotidienne, chez moi. A cette époque, je vis avec ma jeune épouse qui a aussi pris refuge avec Kalou Rinpoche mais n'a pas souhaité faire Powa. A la fin de la récitation des 100 000 mantras d'Amithaba, il se passe quelque chose d'indescriptible, d'une puissance inouïe. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais à cette époque, je pratiquais régulièrement le hatha yoga (avec André Van Lysbeth pour enseignant). J'avais lu, dans la Hatha Yoga Pradipika, la phrase suivante d'un yogi : "Un yogi n'a pas besoin d'une femme ; celle-ci est en lui". J'avais du mal, jusqu'alors, à imaginer une telle chose, et je supposais que les yogis refoulaient leurs désirs sexuels. En fait, depuis cette expérience, j'ai compris.