Omniscience ou liberté peut-on choisir ?

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Zopa2
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jap_8
C'est moi qui te remercie. Ta connaissance du bouddhisme indo-tibétain est vaste et précise. Ton analyse est rapide.
Rares sont les personnes qui se sont données tant de mal pour étudier les textes. Peut -être que Tsong Khapa, et tant d'autres ne sont pas étrangers à tout cela. ;-) Je me disais que nous nous étions déjà peut être déjà croisés au moins une fois...

Tu as raison de souligner le fait qu'un témoignage ne vaut pas toujours grand chose. En effet, une expérience que tous ne partagent pas, qui n'est ni contrôlable ni réitérable par d'autres, n'en reste pas moins fragile. Comment savoir ce qu'elle vaut ? Plusieurs ont vu des fantômes, ou communiquent avec des esprits en faisant tourner les tables...L'autosuggestion n'est pas toujours l'hypothèse la moins improbable. Toutefois, je voulais parler de l'expérience réelle d'un pratiquant du Dharma qui aurait obtenu la conviction de la possibilité de l'omniscience rien qu'en se basant sur une expérience de la nature de son esprit. Je cherche toujours ce genre de témoignage.

J'aime l'idée que l'esprit puisse développer des qualités à l'infini. Et pour prendre l'exemple de la méditation sur l'infini de l'amour, ou sur celui de joie, j'imagine que l'esprit se sente de plus en plus à l'aise, ouvert, heureux, à mesure que s'élargissent les frontières de cet amour et de cette joie. Pourtant, je suis pas certain qu'on puisse vraiment parler d'amour infini ni de joie infinie... Ou alors sur le mode de l'autosuggestion.

En revanche, je n'adhère pas à l'idée selon laquelle l'homme ne peut penser l'infini que, parce que sa nature aurait une capacité de déploiement infini. C'est comme dire "si un Dieu parfait n'existait pas déjà, l'homme, par nature imparfait, n'aurait jamais pu le concevoir, donc Dieu existe".
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Dharmadhatu
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Zopa a écrit :Toutefois, je voulais parler de l'expérience réelle d'un pratiquant du Dharma qui aurait obtenu la conviction de la possibilité de l'omniscience rien qu'en se basant sur une expérience de la nature de son esprit. Je cherche toujours ce genre de témoignage.
jap_8 Alors, il vaut ce qu'il vaut, mais je te soumets mon témoignage.
J'aime l'idée que l'esprit puisse développer des qualités à l'infini. Et pour prendre l'exemple de la méditation sur l'infini de l'amour, ou sur celui de joie, j'imagine que l'esprit se sente de plus en plus à l'aise, ouvert, heureux, à mesure que s'élargissent les frontières de cet amour et de cette joie.
Oui, et de ce point de vue-là, les témoignages sont très nombreux.
Pourtant, je suis pas certain qu'on puisse vraiment parler d'amour infini ni de joie infinie... Ou alors sur le mode de l'autosuggestion.
Tant qu'on n'arrive pas à une cognition valide, il est utile de poursuivre l'analyse.
En revanche, je n'adhère pas à l'idée selon laquelle l'homme ne peut penser l'infini que, parce que sa nature aurait une capacité de déploiement infini. C'est comme dire "si un Dieu parfait n'existait pas déjà, l'homme, par nature imparfait, n'aurait jamais pu le concevoir, donc Dieu existe".
Si l'homme était par nature imparfait, il n'aurait jamais pu concevoir quoi que ce soit de parfait, comme une cuillère ne peut contenir l'océan tout entier.

color_3 C'est ce qui est magique avec l'esprit, qui est un phénomène unique en son genre, c'est qu'il peut tout refléter, tout concevoir (ne dit-on pas en logique bouddhiste que tout existant comme tout inexistant peut être posé comme raison dans une preuve ?), tout comprendre, tout réaliser.

Peut-être qu'on s'est croisés si tu suis aussi les enseignements de Sa Sainteté en Europe ou en Inde.

FleurDeLotus
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Dharmadhatu a écrit :
Zopa a écrit :Toutefois, je voulais parler de l'expérience réelle d'un pratiquant du Dharma qui aurait obtenu la conviction de la possibilité de l'omniscience rien qu'en se basant sur une expérience de la nature de son esprit. Je cherche toujours ce genre de témoignage.
jap_8 Alors, il vaut ce qu'il vaut, mais je te soumets mon témoignage.
En revanche, je n'adhère pas à l'idée selon laquelle l'homme ne peut penser l'infini que, parce que sa nature aurait une capacité de déploiement infini. C'est comme dire "si un Dieu parfait n'existait pas déjà, l'homme, par nature imparfait, n'aurait jamais pu le concevoir, donc Dieu existe".
Si l'homme était par nature imparfait, il n'aurait jamais pu concevoir quoi que ce soit de parfait, comme une cuillère ne peut contenir l'océan tout entier.

FleurDeLotus

jap_8 Alors, je veux bien écouter ton témoignage.

Sur le deuxième point que tu exprimes ( " Si l'homme etait par nature imparfait, il n'aurait jamais pu concevoir quoi que ce soit de parfait, comme une cuillère ne peut contenir l'océan tout entier."), je réponds :
1- raison non établie !
2- comparaison n'est pas raison.
3- Il n'y a pas besoin d'avoir une nature parfaite pour imaginer la perfection (un être ordinaire peut le faire!).
Il n'y a pas besoin d'avoir une nature immortelle pour concevoir l'immortalité (un être éphémère peut le faire !)
Il n'y a pas besoin d'avoir une nature permanente pour imaginer la permanence (un être impermanent peut le faire !)
Il n'y a pas besoin d'être Dieu pour être capable d'imaginer Dieu (un être humain peut le faire !)
Etc...
Ou encore pour reprendre ton image, la cuillère de l'esprit ne peut contenir un océan de Perfection.
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Dharmadhatu
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Zopa a écrit :Alors, je veux bien écouter ton témoignage.
:D C'est assez simple, par la grâce de mon parfait Maître, j'ai la chance de connaître par expérience ce qu'est la nature conventionnelle de l'esprit (ce qui, il faut l'avouer, n'est pas un grand exploit), et j'en infère la possibilité de l'omniscience car l'esprit a cette faculté naturelle de connaître, et n'a de plus aucune limite inhérente: il est vide de tout type de soi inhérent.
Il n'y a pas besoin d'avoir une nature permanente pour imaginer la permanence (un être impermanent peut le faire !)
jap_8 Oui j'ai pensé à ce contre-argument après avoir écrit mon post. Mais si l'homme était imparfait par nature signifie si l'homme était imparfait en soi, donc son imperfection existerait par ses propres caractéristiques et donc l'homme n'aurait aucun lien quel qu'il soit avec la perfection, de telle sorte qu'il ne pourrait même pas l'imaginer ou faire en sorte que son esprit ait un lien avec la perfection ne serait-ce qu'au travers d'un concept. (En tout cas, ça fait plaisir de voir quelqu'un qui a étudié la logique bouddhiste.)

:idea: Pour le reste, afin de déterminer la possibilité de l'omniscience sur la base de ce qu'est la nature de l'esprit, il faut examiner ce qui empêche cette omniscience. Si on ne parle que de point du vue des Sutras avec la vue du Madhyamaka-prasangika, le voile cognitif est constitué par les traces d'apparences illusoires et par l'incapacité à percevoir simultanément les deux vérités. Ca veut dire que lorsque notre esprit perçoit une pomme, il ne perçoit pas la vacuité de la pomme, il perçoit habituellement cette pomme comme ayant une existence indépendante. L'esprit d'un Arya en méditation sur la vérité ultime perçoit uniquement la négation exclusive d'une pomme indépendante, et perçoit à nouveau la pomme comme si elle existait en soi en post-méditation (sauf qu'il ne croit plus à ce manège), et ce, jusqu'à ce que le voile cognitif soit totalement éliminé. Ce qui fait que lorsque ce voile est éliminé, le Bouddha voit tout ce qui fait que la pomme existe: la réalité tout entière, car une pomme est une configuration de la réalité tout entière.

Comme le dit l'Avatamsaka Sutra:
Dans chaque atome existent des océans de mondes,
Leur localisation est chaque fois différente, tous sont admirablement purs;
Ainsi l'infini entre dans chacun,
Pourtant chaque unité est distincte, sans superposition.
C'est un peu le même principe que le filet de Brahma évoqué par le Bouddha: il y a à chaque intersection de ce filet un miroir qui reflète tous les autres. Or l'esprit a la capacité de voir une totalité: quand on voit un paysage, on voit à la fois des arbres, des rochers, des cours d'eau etc. On peut appréhender un ensemble de petits pois dans une assiette. On peut connaître l'ensemble d'une situation complexe. Donc rien n'empêche fondamentalement que l'esprit puisse percevoir l'ensemble des existants pourvu que les voiles soient éliminés d'une manière appropriée. Le samsara n'est qu'un état d'esprit, le nirvana en est un autre, l'Eveil encore un autre.

Ca rejoint en un certain sens la façon dont les Tantras expliquent le voile cognitif: la simple apparence ordinaire des choses. (ici ordinaire n'a pas le même sens que dans le Mahamudra bien sûr).

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Dharmadhatu a écrit : Mais si l'homme était imparfait par nature signifie si l'homme était imparfait en soi, donc son imperfection existerait par ses propres caractéristiques et donc l'homme n'aurait aucun lien quel qu'il soit avec la perfection, de telle sorte qu'il ne pourrait même pas l'imaginer ou faire en sorte que son esprit ait un lien avec la perfection ne serait-ce qu'au travers d'un concept.
FleurDeLotus
:) Bon, j'essaye de changer juste un mot dans ta phrase et je garde tout le reste ; je remplace le mot "imparfait" par "parfait". Voici ce que cela donne :

Mais "si l'homme était parfait par nature" signifie "si l'homme était parfait en soi", donc sa perfection existerait par ses propres caractéristiques et donc l'homme n'aurait aucun lien quel qu'il soit avec l'imperfection, de telle sorte qu'il ne pourrait même pas l'imaginer ou faire en sorte que son esprit ait un lien avec l'imperfection ne serait-ce qu'au travers d'un concept. Amusant, non ?

Lorsque tu évoques ce qui empêche l'omniscience ( = le voile cognitif), c'est que tu poses d'abord comme postulat "l'existence de cette omniscience", me semble-t-il.

Lorsqu'un Arya (= un yogi qui perçoit directement la vacuité) perçoit la vacuité lors d'un équilibre méditatif, il est dit en effet que seule la vacuité apparaît. Vacuité qui est un phénomène négatif non-affirmatif.Toutes les apparences dualistes (les trois types) se dissolvent au profit de cette perception directe (non-conceptuelle). Lorsque le yogi émerge de son équilibre méditatif sur la vacuité, il perçoit de nouveau les apparences dualistes mais n'y adhère plus. On dit qu'il a l'apparence sans l'appréhension. On peut supposer qu'à mesure que sa familiarité avec la perception directe de la vacuité se renforce, son ignorance s'affaiblit (puis que ce sont des opposés comme l'eau et le feu). Cependant, qu'est-ce qui prouve que cette perception de de la vacuité peut nous conduire à l'omniscience ?
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Dharmadhatu
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Zopa a écrit :Mais "si l'homme était parfait par nature" signifie "si l'homme était parfait en soi", donc sa perfection existerait par ses propres caractéristiques et donc l'homme n'aurait aucun lien quel qu'il soit avec l'imperfection, de telle sorte qu'il ne pourrait même pas l'imaginer ou faire en sorte que son esprit ait un lien avec l'imperfection ne serait-ce qu'au travers d'un concept.
jap_8 Oui, ça joue aussi.

C'est pourquoi l'homme ne peut pas être parfait en soi et ça explique pourquoi le A de la Grande Perfection renvoie aussi à la Prajñaparamita en un mot. Sinon, la nature de bouddha serait parfaite en soi et on pourrait se demander alors pourquoi on aurait connu le samsara.
Lorsque tu évoques ce qui empêche l'omniscience ( = le voile cognitif), c'est que tu poses d'abord comme postulat "l'existence de cette omniscience", me semble-t-il.
Oui, cette omniscience est importante à prendre en compte, c'est pourquoi le Dharmakaya est le premier chapitre de l'Abhisamayalamkara; c'est aussi ce qui fait qu'un Bouddha est une autorité valide, car sans l'omniscience il pourrait se tromper en enseignant ceci à quelqu'un et cela à quelqu'un d'autre: il serait exactement comme nous quand nous enseignons le Dharma; il peut nous arriver de nous tromper et de donner un médicament à quelqu'un qui va faire une allergie, même si la motivation était bonne.
Cependant, qu'est-ce qui prouve que cette perception de de la vacuité peut nous conduire à l'omniscience ?
Parce que ce qui empêche l'omniscience est un état d'esprit qui ne comprend pas que la vacuité et la forme (etc.) sont deux isolés appartenant à la même entité. On ne voit à chaque fois qu'une face de la cuillère, mais un Bouddha omniscient perçoit la cuillère tout entière car sa sagesse a parfaitement réalisé que la convention et la vérité ultime sont une entité et deux isolés. En bref, on ne comprend pas que la vacuité implique la forme autant que la forme implique la vacuité sans que les deux soient exactement la même chose. C'est pour ça que la vue du Madhyamaka est si difficile et que plein de gens la voient comme du nihilisme, et que d'autres, qui n'ont pas fait l'analyse jusqu'au bout, restent sur un point de vue abolutiste.

:D Maintenant (puisque les débats servent à écarter les vues fausses, établir la vue juste, et éliminer les objections), si on prend le cas inverse: si l'omniscience n'existait pas, comment expliques-tu que le Bouddha ait enseigné l'Avatasamsaka Sutra ou d'autres Sutras (et Tantras) dans lesquels par exemple il explique que la diversité des mondes est issue de l'ensemble des karma des êtres: sans omniscience, comment aurait-il pu le savoir ? Comment aurait-il pu connaître l'enchaînement causal des liens de production dépendance (Cf. Shalistamba Sutra) qui s'inscrivent sur au moins 2 existences ? Comment aurait-il pu décrire Abhirati, la terre pure d'Akshobhya (Cf. Ratnakuta Sutra), ou ce qui s'est passé il y a plusieurs kalpas antérieurs (Cf. Sanghata Sutra), comme ses existences passées (Cf. Jataka) ? Ou encore le processus karmique (Cf. les Kamma-vibhanga Suttas) ?

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Dharmadhatu a écrit :
Zopa a écrit : Lorsque tu évoques ce qui empêche l'omniscience ( = le voile cognitif), c'est que tu poses d'abord comme postulat "l'existence de cette omniscience", me semble-t-il.
Oui, cette omniscience est importante à prendre en compte, c'est pourquoi le Dharmakaya est le premier chapitre de l'Abhisamayalamkara; c'est aussi ce qui fait qu'un Bouddha est une autorité valide, car sans l'omniscience il pourrait se tromper en enseignant ceci à quelqu'un et cela à quelqu'un d'autre: il serait exactement comme nous quand nous enseignons le Dharma; il peut nous arriver de nous tromper et de donner un médicament à quelqu'un qui va faire une allergie, même si la motivation était bonne.

FleurDeLotus
Ce que je voulais dire c'est que tout dépend de ce que tu cherches à montrer. Si c'est le fait que les textes du Mahayana, les enseignants et maîtres de ce Véhicule, déclarent que l'omniscience est une réalité et que cette réalité est "empêchée" par la présence du voile cognitif. Alors oui, je suis d'accord avec ton analyse.

Mais si le but est de présenter une argumentation logique qui s'appuierait uniquement et entièrement sur la logique,et qui viserait à apporter la preuve de l'omniscience grâce à l'utilisation de cette pure logique, alors là, je ne partage plus ton analyse. Encore une fois, justifier la possibilité de l'omniscience par l'élimination du voile cognitif, c'est mettre la conclusion souhaitée (l'omniscience existe) dans les raisons qui y conduisent. Je prends un exemple avec Dieu, en admettant que je veuille prouver logiquement que Dieux existe (ce serait ma conclusion souhaitée). Et pour cela, je dirai : ce qui empêche de voir Dieu est ma propre impureté, mon manque de foi, mon absence de sainteté. Mais une fois que l'on devient pur, saint et rempli de foi, alors on peut voir Dieu. Donc Dieu existe, et je viens de le démontrer !
Selon moi, la technique argumentative est la même.

C'est la raison pour laquelle, je pense qu'au-de là de divers arguments, la question de l'acceptation de l'omniscience (comme but) repose en définitive pour une grande part sur la foi. On peut appeler cette foi, la foi confiante, la confiance sereine, la foi éclairée, peu importe, je pense qu'il y a toujours une part non négligeable de la foi qui est activée pour obtenir l'adhésion à la thèse : l'omniscience existe ( en tant que but et possibilité ). Après tout, dans le bouddhisme, la foi est considérée comme un facteur mental mental vertueux, non ?

D'ailleurs, lorsque que l'on évoque l'argument d'autorité, que ce soit l'autorité du Bouddha, ou bien l'autorité des textes, c'est bien parce que la pure logique est insuffisante et qu'il est besoin de s'en référer à une source que l'on va considérer comme valide pour accepter telle ou telle thèse.
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Dharmadhatu
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:D Oui, ça se tient ce que tu dis. Malgré tout, il faut que le Bouddha pointe du doigt une direction pour qu'on ait une base de travail à examiner. Si l'autorité du Bouddha était superflue, alors nous serions tous des pratyekabouddhas et non des shravakas ou des bodhisattvas (et encore, les pratyekabouddhas n'ont aucun enseignant au cours de leur dernière existence).

En fait, quand je parle du voile cognitif qui empêche l'omniscience, je ne le pose pas lui en tant que tel comme preuve de l'existence de l'omniscience si lui n'existait pas, sinon ce ne serait pas une preuve logique valide: on chercherait à prouver un phénomène avec une preuve qui elle-même nécessiterait une preuve.

Mon propos est prouvé au final par ce que j'avance sur les deux vérités: soit on voit un côté de la cuillère, soit on voit l'autre côté, et pourtant les 2 côtés existent et notre esprit à la capacité d'appréhender des ensembles. Pour dire les choses autrement, tout existant est un concours de circonstances, or soit on voit le concours, soit on voit les circonstances: les deux coexistent pourtant et notre esprit peut connaître les deux à la fois pour peu que les conditions soient adéquates, et celles-ci impliquent l'entraînement méditatif (car ce n'est qu'en méditant qu'on peut se rendre compte combien il est possible d'aller au-delà des vieilles rengaines de l'esprit insatisfait, comme l'appelle Lama Yéshé).
Je pense que c'est dans ce sens que Fa dans son tout premier post déclare:
Certains soutiennent qu'un Bouddha accède à la connaissance de l'intégralité du passé, du présent et du futur.
Et qu'il connaît tout. Cette idée parfaitement cohérente avec le concept de vacuité et d'interdépendance des phénomènes
Et puis, un débat implique des débattants appropriés et tout débattant n'est pas un débattant approprié dans n'importe quel débat ( :lol: désolé pour la lourdeur, je paraphrase certains traités de logique): en l'occurrence, il faut que les deux fassent le même constat par rapport à la nature cognitive de l'esprit et par rapport à la capacité de l'esprit d'étendre sa faculté de compréhension au travers de la pratique méditative. C'est comme avec le débat sur "le son est impermanent parce qu'il est produit": il faut que les deux débattants aient perçu le son, qu'ils aient perçu sa nature produite et que l'un des deux ait un doute sur sa nature impermanente.

:arrow: En même temps, j'accepte la notion de foi, et bien que la tradition épistémologique ne l'inclue pas dans les types de cognition valide, elle existe en de très nombreuses occasions dans la vie d'un être humain, bouddhiste ou non; disons alors que je fais partie des disciples du Bouddha pour lesquels les raisonnements de Dharmakirti font mouche car ils m'aident à poursuivre cette voie que je trouve cohérente pour aller au-delà du cinoche habituel qui se joue dans mon esprit puéril. Au final, c'est tout ce qui compte, pas vrai ?

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Dharmadhatu a écrit ::D

Mon propos est prouvé au final par ce que j'avance sur les deux vérités: soit on voit un côté de la cuillère, soit on voit l'autre côté, et pourtant les 2 côtés existent et notre esprit à la capacité d'appréhender des ensembles.

Et puis, un débat implique des débattants appropriés et tout débattant n'est pas un débattant approprié dans n'importe quel débat ( :lol: désolé pour la lourdeur, je paraphrase certains traités de logique): en l'occurrence, il faut que les deux fassent le même constat par rapport à la nature cognitive de l'esprit et par rapport à la capacité de l'esprit d'étendre sa faculté de compréhension au travers de la pratique méditative.

:arrow: (...)disons alors que je fais partie des disciples du Bouddha pour lesquels les raisonnements de Dharmakirti font mouche car ils m'aident à poursuivre cette voie que je trouve cohérente pour aller au-delà du cinoche habituel qui se joue dans mon esprit puéril. Au final, c'est tout ce qui compte, pas vrai ?

FleurDeLotus

:) Je ne sais pas exactement quel propos tu penses avoir prouvé parce ce que tu avances sur les deux vérités et par des histoires de cuillère. ;-)

Je ne sais pas non plus si tu sous-entends que je ne suis pas un débattant approprié. :arrow: en l'occurrence je te confirme que j'accepte ces deux propositions de départ : 1/ La nature cognitive de l'esprit et 2/ la capacité de l'esprit d'élargir et d'approfondir sa compréhension par la pratique méditative si celle-ci est bien menée (mais aussi par l'étude, les débats, et les discussions).

Je ne sais pas si c'est tout ce qui compte au final.

Tu vois, je viens de reconnaître mon ignorance à trois reprises. Heureusement, ça ne m'empêche pas de te souhaiter tout le bonheur possible. color_3
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Dharmadhatu
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jap_8 Bonjour Zopa,
Je ne sais pas exactement quel propos tu penses avoir prouvé parce ce que tu avances sur les deux vérités et par des histoires de cuillère. ;-)
Le fait qu'on puisse appréhender une cuillère implique que l'esprit a la capacité de percevoir la réalité non seulement de manière fragmentée (le côté convexe puis le côté concave), mais aussi la réalité de manière globale (la cuillère elle-même) pour peu qu'on lui en donne les moyens. Quand l'esprit omniscient voit un miroir à l'intersection du filet de Brahma, il voit aussi tous les autres miroirs de toutes les autres intersections: plus rien ne l'empêche de voir les deux côtés pile et face en même temps parce que sa nature est d'appréhender correctement ses objets et parmi les connaissables, il y a la réalité tout entière qui est l'ensemble pile et face.

Puisque tu as étudié la logique à la mode de chez nous:

:arrow: Quand deux trucs sont opposés, si on réfute l'un on établit l'autre, d'accord ? Or "limites dans la capacité de connaître de l'esprit" et "pas de limites dans la capacité de connaître de l'esprit" sont opposés, donc si l'argumentaire qui tente de prouver l'absence de limites ne te semble pas convaincant (ce que je ne peux qu'accepter), on peut prendre le point de vue inverse et demander alors: montrez-nous ces limites infranchissables dans la capacité de l'esprit à appréhender ses objets !

Que je n'arrive pas à te prouver de manière indubitable l'absence de limites ne revient pas à en démontrer la présence, c'est juste une raison de non-observation de ce qui n'apparaît pas (mi snang ba): à tes yeux, les arguments ne font pas mouche. C'est comme quand j'apprenais pour la première fois les multiplications: que je n'arrive pas à comprendre 2X2=4 n'empêche pas que 2X2 fassent 4.
Par contre, si on n'arrive pas à trouver la présence de limites, alors ça revient à en prouver l'absence; là c'est une raison de non-observation de ce qui est susceptible d'apparaître (snang rung): si ça existe, ça doit être perçu d'une manière ou d'une autre. C'est comme avec le soi ultime: s'il existait, on le trouverait à l'issue d'une recherche ultime, or comme on ne le trouve pas, il n'existe tout simplement pas.
Je ne sais pas non plus si tu sous-entends que je ne suis pas un débattant approprié. :arrow: en l'occurrence je te confirme que j'accepte ces deux propositions de départ : 1/ La nature cognitive de l'esprit et 2/ la capacité de l'esprit d'élargir et d'approfondir sa compréhension par la pratique méditative si celle-ci est bien menée (mais aussi par l'étude, les débats, et les discussions).
C'est sans doute une interprétation de ma part car tu disais:
Hé bien d'abord, prenons l'idée que l'esprit est par nature clair et connaissant.
Or l'esprit par nature clair et connaissant n'est pas une idée mais un fait.

Je dois aussi ajouter qu'accepter l'omniscience sur la base des écritures ne relève pas uniquement de la foi mais aussi de la raison, c'est une analyse fondée sur l'adhésion (yid ches rjes dpag) envers des écritures qui, en l'occurrence sur ce point précis de l'omniscience, échappent aux trois types de contradictions. Et comme je le disais précedemment, s'il ne s'agissait que de logique pure, aucun d'entre nous n'aurait besoin d'écouter etc. des enseignements car nous pourrions très bien nous débrouiller par nous-mêmes comme le font les pratyekabouddhas dans leur dernière existence. :idea: Donc la solution doit sûrement résider quelque part dans le juste milieu entre la seule foi et la seule raison.
Tu vois, je viens de reconnaître mon ignorance à trois reprises. Heureusement, ça ne m'empêche pas de te souhaiter tout le bonheur possible. color_3
flower_333 Merci à toi. Et merci aussi d'avoir fait en sorte que ce débat se soit passé sans finir en eau de boudin, comme ça arrive hélas trop souvent quand des points de vue sont confrontés. Après tout, c'est aussi l'un des effets bonus de la pratique des débats: apprendre à ne pas s'attacher à son point de vue.

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