L'état naturel

FA

Flocon a écrit : selon lui-même, il n'a jamais vécu personnellement d'expérience d'éveil malgré le grand désir qu'il en avait...
Bonjour,

Je trouve cette phrase très révélatrice :
Il n'a jamais vécu personnellement d'expérience d'éveil malgré le grand désir qu'il en avait...Il ne pouvait s'éveiller car il avait remplacé les myriades de désirs mondains, par un seul désir énorme : le désir d'éveil.
Le résultat était donc le même, au lieu de remplir le vase avec des petits cailloux, il a mis une grosse pierre à la place.

Au final même de ce désir là, il faut se libérer non ?
Bon ce n'est pas une question pour ceux qui débutent sur la voie attention !
Fa
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jules
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Fa : Au final même de ce désir là, il faut se libérer non ?
Bon ce n'est pas une question pour ceux qui débutent sur la voie attention !
Cela dépend toujours de ce qu'on entend par le terme "désir d'éveil" il me semble. S'il s'agit de tendre vers une forme d'impeccabilité par exemple, je pense que nous ne pouvons pas en faire l'économie et ce, quelque soit notre degré de sagesse. :)
Dumè Antoni

Il n'a jamais vécu personnellement d'expérience d'éveil malgré le grand désir qu'il en avait...Il ne pouvait s'éveiller car il avait remplacé les myriades de désirs mondains, par un seul désir énorme : le désir d'éveil.
Le résultat était donc le même, au lieu de remplir le vase avec des petits cailloux, il a mis une grosse pierre à la place.

Au final même de ce désir là, il faut se libérer non ?
Le désir d'éveil et nécessaire et fondamental pour pouvoir s'éveiller. L'expérience et l'histoire montrent que nul ne s'est éveillé par hasard. Le karma est certainement favorable pour l'éveil, mais un tel karma favorable n'est pas le résultat d'actions qui seraient contraires au désir d'éveil. Cela étant, le désir dualiste d'éveil est certainement à dépasser (dépasser ne veut pas dire qu'on doit s'en libérer car cette façon de vouloir se libérer de quelque chose est une vue dualiste) car le désir d'éveil revient à chercher le buffle sur lequel on est assis et l'éveil à reconnaître le buffle (qui est l'état naturel, dans le contexte). Il faut donc faire attention de ne pas se comporter comme si nous étions naturellement éveillés car ce n'est pas le cas. L'état naturel est naturellement éveillé, par définition, mais il ne faut pas confondre l'esprit baignant dans les passions et les vues erronées et l'état naturel.

Pour dire les choses simplement : il n'y a pas à se libérer du désir d'éveil, bien au contraire. Car la libération vient de l'éveil et non de l'absence de désir d'éveil.
FA

Bonjour Antoni,

J'avoue ne pas faire la différence entre un désir dualiste, et un désir non-dualiste, au sens où le désir est toujours une tension de l'esprit entre ce qui est et ce qu'on voudrait-être.
Le désir est donc toujours dualiste que qu'il soit. Comment qualifier alors le désir d'éveil ? N'Est-ce pas au fond, un méta-désir qui est un désir de liberté,
C'est à dire Un désir de se libérer Des désirs. Ce serait alors une dialectique entre Un/multiple, un rejet des multiples moi qui nous habitent, au profit
d'un Moi unifié, qui les domine tous. Un chef des armés de Mara ? Sort-on véritablement de l'enchainement du désir ?
Par ailleurs, si l'on s'appuie sur le principe de co-production conditionné, tout est conditionné et dés lors à quel titre le désir d'éveil se différentierait-il des autres désirs, du point de vue du déterminisme
que semble induire la coproduction conditionnée ? Si tout est conditionné, quelle liberté peut-il y avoir face aux désirs ?
Dumè Antoni

Fa a écrit :J'avoue ne pas faire la différence entre un désir dualiste, et un désir non-dualiste, au sens où le désir est toujours une tension de l'esprit entre ce qui est et ce qu'on voudrait-être.
Je n'ai pas parlé de désir non-dualiste mais de désir dualiste de l'éveil (qu'il faut dépasser). Je l'ai évoqué parce que tu avances (ou supposes, car tu places un point d'interrogation) qu'il faut se libérer du désir d'éveil si l'on veut (?) s'éveiller. Pourquoi s'en débarrasser ? En quoi constituerait-il un obstacle à l'éveil ? Cette opinion relève d'une conception dualiste du désir d'éveil. Or le désir d'éveil n'est pas distinct de l'éveil lui-même. C'est la "Sagesse à la recherche de la Sagesse" (pour paraphraser une expression de Shunryu Suzuki). C'est donc un "élan de sagesse". Il n'y a pas de dualisme dans le désir d'éveil quand celui-ci est considéré sous l'angle de Prajna.

Pour ce qui est de la suite de tes réflexions (que je n'ai pas relevées), j'aurais tendance à répondre que tu sembles chercher à éclairer l'obscurité avec une lampe qui ne fonctionne pas dans le contexte. Elle ne fonctionne pas parce qu'elle n'est pas alimentée par Prajna, précisément. La dialectique, la lecture des sutras, voire la pratique aveugle de Dhyana (celle qui consiste à dire que zazen est satori, par exemple, sans l'avoir expérimenté)... n'ont aucun effet direct sur Prajna. C'est précisément l'inverse qui est vrai : il y a Dhyana quand et seulement quand il y a Prajna, de même qu'il y a Prajna quand et seulement quand il y a Dhyana (il s'agit du "jeu simultané de la Triple Discipline" qui caractérise toutes les pratiques abruptes). Or Dhyana est l'expression du désir d'éveil autant que de l'éveil, car même quand il n'y a pas l'éveil, il y a le désir qui est son expression la plus vivante ("Prajna à la recherche de Prajna"). Donc, quelle que soit la manière dont on prend le problème on ne peut pas séparer le désir d'éveil de l'éveil lui-même (car il n'y a pas de Dhyana sans Prajna et il n'y a pas de Prajna sans Dhyana), et la preuve en est que nul ne s'est éveillé sans le désir d'éveil.

En revanche, pratiquer Dhyana (zazen) sans désir d'éveil (sans Prajna à la recherche de Prajna) cela revient à prendre la maladie (de l'ignorance) pour le remède (l'éveil à l'état naturel), car c'est pratiquer Dhyana sans (ou indépendamment de) Prajna. C'est une grave méprise dont hélas, non seulement le Zen mais aussi le Dzogchen semble être frappé.
FA

Donc, quelle que soit la manière dont on prend le problème on ne peut pas séparer le désir d'éveil de l'éveil lui-même (car il n'y a pas de Dhyana sans Prajna et il n'y a pas de Prajna sans Dhyana), et la preuve en est que nul ne s'est éveillé sans le désir d'éveil.
La chemin n'est pas séparé du but, en quelque-sorte...
Dumè Antoni

Exactement. Sauf qu'il ne faut pas s'arrêter en chemin... :D
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jules
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J'ai l'impression de toutes façons que la vie avec ses nombreuses épreuves se charge de ne pas nous permettre de nous endormir sur nos lauriers. :)
Dumè Antoni

Jules a écrit :J'ai l'impression de toutes façons que la vie avec ses nombreuses épreuves se charge de ne pas nous permettre de nous endormir sur nos lauriers. :)
C'est clair. Pourtant, je suis étonné de lire encore maintenant, notamment sur des forums zen francophones, de nombreux posts de certains pratiquants (et pas des débutants) qui affirment que zazen est satori et qui se contentent donc de pratiquer sans rien faire d'autre que de croiser les jambes sur le zafu et tenir la colonne vertébrale bien droite, autrement dit, sans désir d'éveil. Pour moi, ces pratiquants se sont arrêté en chemin, et parce qu'ils n'ont rien trouvé, se satisfont de leur échec, le prenant volontiers pour le satori ou une forme de sagesse qui voudrait qu'il faut savoir se contenter de ce que l'on est (ou a obtenu) et qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre éveil et ignorance (parce que "les montagnes restent des montagnes et les plaines, des plaines").

Ces pratiquants ont sans doute cherché un temps à arrêter les vagues de leur esprit et, voyant qu'ils n'y parvenaient pas, se sont contenté d'admettre qu'il était impossible d'arrêter les vagues, qu'elles sont d'ailleurs de la même nature que l'esprit, et qu'il convenait de les laisser aller comme des "nuages dans le ciel" en considérant (à tort) qu'il n'y avait rien au-delà. J'ai même lu récemment, de la part d'un "maître zen" réputé, que l'éveil n'était pas très différent de la défécation d'un chat (j'ai été heureux d'apprendre que les félins, contrairement aux humains, étaient naturellement éveillés). Là, ce n'est même plus s'arrêter en chemin, c'est retourner sur ses pas en pensant qu'on a dû rater une étape quelque part. Tout cela est l'expression claire et nette de l'absence de réalisation de l'état naturel.

Il est trop facile de confondre l'Etat naturel – dont il est question dans le présent fil – et le comportement naturel des animaux. Cette confusion est une des causes du déclin du Zen et du Dzogchen... (une expression du kali yuga ?)
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jules
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Voici le texte en question que personnellement je trouve très parlant ;-)
Eveil et crottes de chat
Published by Brad Warner on September 13, 2015


Image
Crum dans sa boîte, faisant le beau.

J'ai eu quelques chats mâles dans ma vie. Il y eut feu et regretté Shithead qui se faisait mon pied tous les matins. Il y eut Crum qui vivait avec moi à Akron et aimait mordre les orteils de ma copine d'alors, le matin, lorsqu'elle était restée à dormir. Il y eut Boy Kitty avec qui je partageais un appartement à Philadelphie. Il y a en ce moment Cosmo qui me co-possède avec ma copine Nina.

Une chose qu'avaient en commun tous ces chats était la suivante: souvent ils s'éveillaient le matin avec un air grognon et apathique. Ils traînaient ainsi toute la première partie de la journée. Puis, ils disparaissaient et réémergeaient soudain, tout heureux et primesautiers et prêts à conquérir le monde. Avant de comprendre le schéma, je me suis longtemps demandé la raison du changement. Puis, un jour, je l'ai senti. Ils étaient allé dans leur litière et y avaient laissé une grosse commission.

Je ne sais pas si les chattes font pareil. J'ai vécu avec une un temps, son nom était Girl Kitty, et je ne l'ai jamais vu le faire. C'est peut-être un truc de mecs.

Quoi qu'il en soit, l'autre jour, je me suis mis à penser à ce qu'on appelle "L'Eveil" et me suis rendu compte que c'était tout comme lorsque mes amis les chats caguent. On peut avoir envie de courir par toute la maison, sauter sur les murs pendant un temps après, mais tout ce qu'on fait, c'est juste réagir à la sensation bénie qui devrait être notre droit de naissance, mais qui, pour des raisons obscures, ne l'est pas.

Nous sommes en quelque sorte devenus une espèce qui demeure dans un état constant de constipation. Nous nous remplissons de merde et n'avons aucune idée de comment nous en débarrasser. Non seulement ne le savons nous pas, mais la plupart d'entre nous ne savons même pas que c'est de la merde et que nous sommes censés la quitter. Au lieu de quoi, nous serrons les fesses hermétiquement, dans la crainte d'en laisser tomber ne fut-ce qu'un tout petit précieux morceau.

Oh, quelques rares personnes ont réussi à en laisser aller un peu. Vous avez des célébrités comme Ken Wilber ou Deepak Chopra qui ont pété une fois, ont été terrifiés par l'odeur et ont resserré les fesses encore plus que le reste d'entre nous, et ont néanmoins passé le reste de leurs vies à spéculer sur ce que caguer pourrait être. Vous avez des types comme Ekhart Tolle qui se sont cagués dessous une fois et qui insiste pour continuer à aller partout, des années après, dans les mêmes culottes, invitant les gogos à sentir l'odeur. Ils décrivent l'irritation et l'inconfort qui résulte d'avoir ce truc étalé sur leurs fesses comme si c'était la preuve tonitruante qu'ils ont percé le secret ultime.

Les spécialistes du Bouddhisme et de la spiritualité sont des gens qui n'ont jamais cagué ni même pété (parce que cela ne serait pas objectif) mais qui inspirent profondément les pets et la merde des autres. Ils les décrivent ensuite en grand détail à des gens qui n'ont jamais cagué ni pété.

Un vrai maître zen* -- par opposition à un neuneu comme moi -- est quelqu'un qui non seulement a réussi à comprendre comment couler un bronze tous les jours, mais sait même l'intérêt du papier Q et de laver ses sous-vêtements. D'autres font l'erreur de penser que, puisque ces personnes ne puent pas, elles ne peuvent donc pas avoir vraiment cagué.

Quant à moi, j'en suis encore à apprendre comment me nettoyer correctement et manger le genre de trucs qui me permet d'avoir de la régularité. J'y arriverai peut-être un jour.

Parfois on demande à un maître zen, "Maître, je pense que j'ai déjà cagué, une fois. Permettez-moi de vous le décrire, que vous puissiez me dire si c'était du caca ou pas." Et ils sont désolés de se faire dire que, s'ils avaient réellement cagué, ils n'auraient pas besoin de demander.

Les prétendues "expériences d'éveil" ne nous paraissent spéciales que parce que nous n'avons jamais connu rien d'autre que la constipation, et n'avons jamais connu personne qui ne fut constipé. Au lieu de quoi, nous célébrons la constipation, comme si le fait d'être en cloque de notre propre merde était la preuve de grandes réussites.

D'une certaine façon, au pays des constipés, qui sait caguer mériterait réellement notre attention voire un certain degré de révérence. Mais pas parce qu'ils ont réussi un truc extraordinaire qui serait inaccessible au reste d'entre nous. Mais parce que, au contraire de nous, ils ont compris comment leur corps est censé fonctionner quand il marche correctement.

Un de ces jours, quand nous nous serons mis à enseigner à nos enfants comment caguer et que cela se sera répandu dans le monde, nous regarderons en arrière vers notre époque avec fascination. Nous nous demanderons comment les gens, au XXI° siècle et avant, faisaient pour vivre sans caguer de toute leur vie. Nous ne regarderons plus qui sait caguer, et sait même se nettoyer après, comme des personnages admirables.

Nous saurons que les types comme le Bouddha n'étaient pas des êtres divins capables de pouvoirs extraordinaires au-delà de ceux des gens ordinaires, mais étaient en réalité de gens qui comprenaient ce que c'est que d'être véritablement et profondément ordinaires.
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*”No one masters Zen” – Kobun Chino Roshi
Verrouillé