La vacuité

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Dharmadhatu
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jap_8 D'accord avec toi, Ted, nibbana n'est que la cessation du voile afflictif tandis que le dharmakaya implique aussi la cessation du voile cognitif, qui renvoie à l'omniscient Eveil. (Notons que dans les écoles hinayanistes de l'Inde ancienne, l'omniscience d'un Bouddha est envisagée mais c'est une omniscience séquentielle, alors que dans le Mahayana indien et tibétain, l'omniscience est généralement la connaissance simultanée de tous les phénomènes).

Je me souviens avoir discuté ici même avec quelqu'un pratiquant le dans le Théravada actuel qui affirmait clairement que le but visé (nibbana) n'était pas du tout le même que l'état de samma-sambuddha.

Il y a aussi une autre différence car pour les tenants bouddhistes comme les prasangikas, nirvana n'est même pas une conscience, mais une cessation, une absence, une négation exclusive ou non-affirmative (prasajya-pratisheddha): l'élimination de la souffrance et de ses causes. Alors que le dharmakaya est une conscience parfaite (la conscience étant un phénomène affirmatif - vidhi), à tel point qu'il est distingué chez les tenants indo-tibétains en jñanadharmakaya (dont le terme lui-même évoque clairement qu'il s'agit d'une conscience puisque c'est une sagesse primordiale) et en svabhavikakaya (soit envisagé de manière similaire au nirvana: une cessation totale des voiles; soit envisagé comme une négation exclusive: celle d'un soi inhérent, ça dépend des textes).

Pour en revenir au sujet principal:
jules a écrit :
Est-ce que ce que je viens de nommer existe ?
Je dirais différemment de toi Dharmadhatu quant à cette question, et pour reprendre tes exemples : la paix dans le monde et l'égalité des salaires hommes/femmes existent tels un espoir, l'éternel printemps existe tel un fantasme, l'existence en soi existe en tant que concept, les cornes de lapin existent dans l'imaginaire.
D'ailleurs, je reviens à l'étymologie du terme exister qui est "sortir de, se manifester, se montrer". On pourrait parler je crois de manifestations abstraites concernant ces existants.
Qu'en penses-tu ? Comment tout ceci est-il traité dans le bouddhisme ?

jap_8
:D Je pense que ça se rapproche de la désignation conceptuelle dont je parlais; le soi inhérent ne peut exister qu'en tant que concept, mais ça reste un concept sans aucun référent (le linguiste Saussure dirait un signifiant sans signifié). Or pour l'épistémologie bouddhiste si un concept ne reflète aucun référent, c'est un concept faux. C'est pourquoi Nagarjuna dit que si le terme (on pourrait gloser "le concept") était le truc lui-même, on se brûlerait la bouche rien qu'en prononçant "feu" (ou on se brûlerait le cerveau en y pensant).

C'est sans doute pour ça que les prasangikas disent que la désignation est faite en dépendance d'une base d'imputation; or il n'y a pas de base d'imputation du soi inhérent, de la paix dans le monde ou du printemps éternel, etc.

FleurDeLotus
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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
ted

Dis moi Christophe, puisque ce fil est consacré à la vacuité, est-ce que dans prasangika la vacuité est vacuité de quelque chose, ou bien est-ce qu'il y a une base universelle de vacuité qui "accueille" indifféremment tous les phénomènes ? comme dans la vue dzogchen ?

Il y a un débat à ce sujet sur SF dans le fil : La vue d'un bouddha. http://sangha.leforum.eu/t5155-La-vue-d ... =60#p32281
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Dharmadhatu
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eveil_333 Je propose les amis de scinder ce fil en 2 pour les gens qui veulent s'y retrouver: 1 pour la vacuité, et 1 pour état naturel/dzogchen/rigpa'i tsel wang/zen/et-tous-ces-jargons-qui-de-toute-façon-ne-rendront-pas-justice-à-l'expérience-et-à-la-réalisation-stabilisées-ou-pas-vu-que-le-nirvana-dans-le-Mahayana-est-de-toute-façon-définitif-et-donc-stable-contrairement-à-ce-que-certaines-écoles-vaïbhashikas-envisagent-et-qui-semblent-sur-ce-point-ne-pas-comprendre-l'un-des-4-aspects-de-la-3ème-Noble-Vérité. ;-)
ted a écrit :Dis moi Christophe, puisque ce fil est consacré à la vacuité, est-ce que dans prasangika la vacuité est vacuité de quelque chose, ou bien est-ce qu'il y a une base universelle de vacuité qui "accueille" indifféremment tous les phénomènes ? comme dans la vue dzogchen ?

Il y a un débat à ce sujet sur SF dans le fil : La vue d'un bouddha. http://sangha.leforum.eu/t5155-La-vue-d ... =60#p32281
En fait il y a autant de vacuités que de bases (ou substrata, dharmin) qualifiées par la vacuité, et donc une infinité de vacuités, même plus encore puisqu'on pourrait dire qu'il y a les vacuités des vacuités de tous ces phénomènes. Les 2, 4, 16 ou 18 vacuités exposées dans les Sutras et leurs commentaires sont des moyens de résumer les vacuités.

Quand on dit LA vacuité, alors implicitement on doit entendre "la vacuité de la catégorie générale englobant "tous les phénomènes"".

Dans le Hrdaya Sutra, on lit: "la forme est vide et la vacuité est forme", ici ça sous-entend: la vacuité de la forme est forme (n'a pas d'entité distincte de la forme).
Ensuite, on lit: "dans la vacuité, il n'y a ni formes, ni sensations, ni perceptions etc.", ça sous-entend, dans la vacuité en général, ou dans la vacuité de la catégorie des existants pris dans leur ensemble, etc.

FleurDeLotus
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jules
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Ha ha, une infinité de vacuités ba11

Tout semble fait dans les enseignements pour préserver le questionnement chez celui qui serait encore susceptible de s'attacher à une réponse. :D
Dumè Antoni

Une infinité de vacuités séparées entre elles par un voile d'ignorance, manifestement.
Je propose les amis de scinder ce fil en 2 pour les gens qui veulent s'y retrouver: 1 pour la vacuité, et 1 pour état naturel/dzogchen/rigpa'i tsel wang/zen/et-tous-ces-jargons-qui-de-toute-façon-ne-rendront-pas-justice-à-l'expérience-et-à-la-réalisation-stabilisées-ou-pas-vu-que-le-nirvana-dans-le-Mahayana-est-de-toute-façon-définitif-et-donc-stable-contrairement-à-ce-que-certaines-écoles-vaïbhashikas-envisagent-et-qui-semblent-sur-ce-point-ne-pas-comprendre-l'un-des-4-aspects-de-la-3ème-Noble-Vérité. ;-)
Voilà donc le donneur de leçon qui ramène sa fraise alors qu'il n'a manifestement aucune expérience/réalisation mais qui a l'art de dénigrer toutes les écoles qui ne sont pas la sienne. Mais bon... c'est Nangpa, n'est-ce pas. :roll:
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Dharmadhatu
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jules a écrit :Ha ha, une infinité de vacuités ba11

Tout semble fait dans les enseignements pour préserver le questionnement chez celui qui serait encore susceptible de s'attacher à une réponse. :D
jap_8

Une vacuité d'existence propre est un peu comme un espace (une absence d'obstruction matérielle): il y a l'espace en général, qui permet les big bangs etc. et qui n'a aucune limite assignable. Et il y a l'espace d'une tasse, l'espace d'une chambre, l'espace d'une maison etc. Il y a donc autant d'espaces que de phénomènes matériels puisqu'ils sont les bases d'imputation de ces espaces (= ils sont ce qui circonscrit ces espaces).

Cet exemple de l'espace (qui est une négation exclusive, comme la vacuité) me semble plutôt parlant... bien qu'il soit silencieux !! :lol:

FleurDeLotus
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axiste
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Bonjour les amis, le sujet a été divisé en deux pour une meilleure lisibilité, merci pour votre compréhension (un topic "état naturel" a été rajouté à la section bouddhisme ) fleuuurrr_8
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
ted

Merci Axiste.

Ce qui m'ennuie, c'est qu'il semble y avoir autant de définition de la vacuité que d'écoles bouddhistes.
Entre la vacuité "base de tout" du dzogchen, les vacuités en tant que "caractéristiques" des objets dans le prasangika, la vacuité en tant que non-soi des personnes mais pas forcément des phénomènes, dans theravada... etc... si ça se trouve le shingon ou le zen ont leur propre approche.

Dans le zen, il me semble qu'on n'évoque qu'une seule vacuité comme le témoigne le sutra du coeur :
Le sutra du coeur a écrit :Donc, Ô Sariputra, dans la vacuité il n'y a pas de forme, pas de sensation, pas de perception, pas de volition, pas de consience ; pas d'œil, d'oreille, de nez, de langue, de corps, d'esprit ; pas de formes, de sons, d'odeurs, de saveurs, de touchers et d'objets de l'esprit ; pas d'élément de l'organe de la vue, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on arrive à : pas d'élément de la conscience de l'esprit.
Il n'y a pas d'ignorance, pas d'extinction de l'ignorance, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on arrive à : il n'y a pas de vieillissement et de mort, pas d'extinction du vieillissement et de la mort. Il n'y a pas de souffrance, pas d'origine, pas de cessation, pas de chemin. Il n'y a pas de connaissance, pas d'accomplissement, et pas de non-accomplissement.
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Dharmadhatu
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jap_8 C'est vrai, Ted, il y a de nombreuses vues sur cette question et dès que j'ai un moment, je publierai une carte retraçant les différents niveaux de subtilité de soi et de non-soi selon les systèmes philosophiques indo-tibétains (Siddhanta).

Le Hrdaya Sutra que tu cites est une référence incontournable et le Zen fait autorité justement parce qu'il s'appuie sur de tels Sutras et sur les développements d'Arya Nagarjuna prophétisé par le Bouddha Shakyamuni.

Amitié FleurDeLotus
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Robi

Dharmadhatu a écrit : Donc notre familiarisation (un autre nom pour "méditation") avec cette compréhension doit entraîner un amoindrissement progressif de notre ego, de nos réactions malsaines etc.
C'est dénaturer la méditation que de dire que celle-ci est une familiarisation avec une compréhension (d'un concept tel qu'un juste milieu entre nihilisme et éternalisme).

La méditation c'est précisément l'évacuation de tout concept, donc à fortiori la familiarisation avec quelque concept que ce soit.
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