Peter Fenner : la libération naturelle

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Dharmadhatu
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jap_8 Ok, Ted: Fenner dit que rien ne manque: pour moi ça roule parce que là où tout est là, rien ne manque en effet.

Mais je trouve au contraire que c'est juste ce qu'il faut puisque tout est à sa place, que pourrait-on bien faire pour que ce soit là (ou même pour que ça n'y soit pas) ? Rien, c'est déjà là. En même temps je n'ai pas 15 ans de Zen derrière moi, faut-il avouer. Mais si l'esprit est le même partout, qu'on passe par le Zen ou autre chose pour regarder dans la bonne direction, ça mène toujours à Rome, non ? Si ça doit mener à Rome, comment se fait-il qu'on puisse ne pas être d'accord avec celui qui dit voir Rome ? A part bien sûr si on voit Brest et pas Rome.

:arrow: Pour le Kali Yuga, c'est en effet envisagé dans le Bouddhisme, et ça a l'air d'être le Môfâ que tu mentionnes, Flocon. Il est question de 5 dégénérescences: vues fausses multipliées, afflictions de plus en plus difficiles à discipliner, vie courte, environnement détruit, et conflits plus nombreux.

Les esprits sont retors, les conflits sont légion;
Les vues fausses partout pullulent à foison;
L'Ile aux Pommiers Roses, c'est la vallée des peines
Où les deuils sont coutume et les afflictions reines.


En particulier, le jonangpa Dolpopa Shérab Gyaltsen évoque d'une façon personnelle ces Yugas pour justifier qu'après sa vue, le déluge.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
ted

Si on dit qu'il manque quelque chose, on suppose que des conditions sont nécessaires pour l'apparition d'un état particulier.
Si on dit qu'il ne manque rien, on suppose que les conditions sont réunies pour l'apparition d'un état particulier.

Les deux propositions sont fausses.

Flocon, oui, j'ai repris l'expression de Boudiiii "Kali Yuga" parce qu'elle traduit bien l'idée générale de dégénerescence attendue du Dharma, annoncée par çi par là, dans des textes que j'ai eu l'occasion de lire un jour...
Flocon a écrit :Au yeux de quelqu'un comme moi, c'est une expression hindouiste, qui désigne une époque d'immenses souffrances, et donc très propice à la libération (telle qu'elle est pensée dans l'hindouisme) parce qu'elle permet aux êtres un puissant détachement à l'égard d'un monde devenu invivable. Kali est une divinité destructrice, vectrice de souffrances mais aussi libératrice.

En contexte bouddhiste indien, Kali Yuga est-elle l'équivalent de Môfâ dans le bouddhisme chinois, l'âge de la "dégénérescence du Dharma", qui est lui un âge peu propice à la libération (telle qu'elle est pensée dans le bouddhisme) parce que l'enseignement du Bouddha y devient difficile à comprendre correctement?
Si je comprends bien, tu dis que dans l'hindouisme, la dégénérescence serait propice à la libération parce qu'elle pousse au détachement ?
Tandis que dans le bouddhisme, la dégénérescence serait peu propice à la libération, parce que les enseignements se perdent ?

Si c'est le cas, autant utiliser le vocabulaire bouddhique alors...
longchen2

Des conditions de vie défavorables voire invivables (à divers degrés) peuvent favoriser un sentiment de renoncement au monde, et généralement ce genre de sentiment peut amener à un engagement religieux, comme par exemple de vouloir être moine (ou nonne).

Mais si des enseignements, une tradition authentique de Libération ne peut pas être rencontrée, le sentiment de renoncement au monde ne mènera nulle part du point de vue du bouddhisme.

Toute la question, et peut être ici avec Peter Fenner pour connecter au sujet est (c’est un peu la question que je ressens en filigrane à travers les échanges) est-ce que son enseignement est authentique, peut-il mener ultimement à la Libération ?
FleurDeLotus
tongra

ted a écrit :En même temps, concrètement, je n'aurais jamais compris ça si je n'avais pas 15 ans de Zen derrière moi.
Et j'ose affirmer que Fenner non plus ne s'en serait jamais aperçu sans son parcours traditionnel.

Donc, ce genre d'enseignement devrait être interdit au grand public et réservé aux pratiquants de longue date, sous peine de faire sombrer le Dharma dans Kali Yuga. :D
Pourquoi l'interdire ? Parce qu'on prend de gros risques en proposant un enseignement qui fait plus de mal que de bien s'il est compris de travers. :shock:
:D
C'est vrai Ted mais ce que tu soulèves s'applique hélas aussi à certains qui ont 40 de pratique et qui n'ont pas encore entrouvert leurs œillères ; qui n’ont même pas ou plus un esprit de débutant, qui sont secs et sclérosés.

Donc où est la limite ? Comment connaît-on le potentiel réel d’un individu ? C’est une question plus que délicate. Même ceux que l’on appelle des maîtres ne s’y aventurent pas et n’ont pas cette prétention (du moins si ce sont des maîtres). Soit ils brident et nivellent tout par le bas, c’est le cas de la plupart, progressivement, pas à pas … au moins ils ne prennent pas de risques. Et il y a ceux qui ne sont pas timorés, comme par exemple Ch Namkhai Norbu, le lopön Tenzin Namdak qui donnent tout immédiatement. Prennent ceux qui peuvent et pour les autres ils donnent d’autres moyens. En général, ils ne se privent pas de transmettre les enseignements les plus directes, car, comme le répète Ch Namkhai Norbu on ne sait pas à qui on a affaire.

Quant à l’histoire de faire du mal ou du bien … je n’ai pas de statistiques mais ça semble assez équilibré. Il faut aussi avoir un peu confiance en la vie, les choses s’organisent très bien toutes seules sans avoir toujours besoin de flics ou de censeurs. Chacun ressent naturellement où il doit aller. On le voit bien ici, et c’est toi qui le soulignais, un enseignant ou même un type d’enseignement ne fait jamais l’unanimité.
tongra

ted a écrit :Si on dit qu'il manque quelque chose, on suppose que des conditions sont nécessaires pour l'apparition d'un état particulier.
Si on dit qu'il ne manque rien, on suppose que les conditions sont réunies pour l'apparition d'un état particulier.

Les deux propositions sont fausses.
Non, il n'y a pas d'état particulier qui devrait apparaître, un état particulier n'est que quelque chose de conditionné, sujet au changement. Vouloir cela n'est qu'une projection mentale, qui imagine qu'il y a un état particulier. Cela n'a rien à voir avec ce qu'on nomme la Nature de l'Esprit. Ce dont tu parles ne sont que des manifestations transitoires, certes qui peuvent émaner de rigpa mais qui en aucun cas ne sont rigpa.

Des états de béatiude, de clarté et vacuité peuvent accompagner l'Etat Naturel, mais seulement l'accompagner !
ted

Oui Tongra. Et c'est bien parce qu'il n'y a pas d'état particulier qu'on ne peut pas affirmer qu'il faut faire ceci ou cela. Ou "ne pas" faire ceci, ou cela.
L'état naturel étant inconditionné, il ne dépend pas de conditions.
Le simple fait d'ailleurs de dire : "il", c'est déjà prendre le risque de dénaturer ce qu'on essaie de désigner, n'est ce pas ? :D

Mais on peut aisément maîtriser le jargon intellectuel des enseignements non-duels.
C'est la porte ouverte à tous les charlatanismes.
Le contact avec l'enseignant est sans doute essentiel pour déterminer si c'est du lard ou du cochon... :)
ted

tongra a écrit :Il faut aussi avoir un peu confiance en la vie, les choses s’organisent très bien toutes seules sans avoir toujours besoin de flics ou de censeurs. Chacun ressent naturellement où il doit aller.
Plusieurs personnes m'ont dit quasiment la même chose, il y a peu, par rapport à la façon dont j'éduquais mon fils (15 ans, crise d'adolescence).
Il multiplie les provocations, à la maison et en classe.
On m'a dit d'avoir confiance en la vie, de ne pas le couper de la vie, etc... :cool:

J'ai un conditionnement qui me met en mode "sergent" quand les résultats scolaires sont limites. :D

J'en conclus que tu dois avoir raison. Il y a cette tendance en moi de vouloir "sécuriser". :)
onmyway

Je rejoins Ted sur le coté "dangereux" de ce genre d'enseignement;
Non pas dangereux pour sa vie, mais parceque c'est tout ou rien, comme j'ai déjà dit;
Soit on "met en pratique" cette "non-pratique" et tout va bien comme disent...
Soit on le met mal en pratique (ou pas du tout) , et rien ne change (dans le sens où on reste empetré par l'égo, les illusions etc)
Et le monde illusoire est "très puissant"; ce n'est pas avec des "mots ou des illusions de pratiques", éphémères ou light, qu'on parvient à s'en libérer à mon sens;
Bien sur, l'illusion est de croire que l'on est pas "déjà libéré" ici et maintenant, mais pour réaliser ça "dans l'instant",
il faut souvent un peu booster l'esprit ;-)
Face à un vent énorme, deux attitudes principales sont possibles :
soit s'abriter du vent et s'affranchir de ces forces (pratique, sadhana, samadhi) ; l'équivalent d'affaler les voiles (des passions) sur un bateau, pour ne plus subir les vents;
soit lacher prise et se laisser porter par le vent tel qu'il est, utiliser sa force et s'envoler avec lui; (l'équivalent des allures portantes de fuite où on part en surf dans le sens du vent)
Mais cette deuxième "attitude", pouvant se rapprocher de celle de la non-dualité, demande déjà une bonne maitrise du bateau, de l'affalage des voiles, et du marin ;)
Butterfly_tenryu
Dernière modification par onmyway le 14 juin 2013, 11:38, modifié 1 fois.
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Flocon
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ted a écrit :Si je comprends bien, tu dis que dans l'hindouisme, la dégénérescence serait propice à la libération parce qu'elle pousse au détachement ?
Tandis que dans le bouddhisme, la dégénérescence serait peu propice à la libération, parce que les enseignements se perdent ?
Merci d'avoir satisfait ma curiosité. Oui, dans l'hindouisme, ou du moins dans certains de ses courants, Kali Yuga est considérée comme une période favorable à la libération de façon très logique, car Kali est une forme féminine de Shiva, le grand libérateur. Quoique féroce, elle est bienfaisante et guide toujours les êtres sur le chemin de l'absolu. En détruisant, elle enseigne à ne pas s'attacher à ce qui périt par sa main. Mais c'est une autre pensée que celle du bouddhisme.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
tongra

ted a écrit : Mais on peut aisément maîtriser le jargon intellectuel des enseignements non-duels.
C'est la porte ouverte à tous les charlatanismes.
Le contact avec l'enseignant est sans doute essentiel pour déterminer si c'est du lard ou du cochon... :)
Ca c'est très vrai. Seule la rencontre peut pemettre de déceler ce réel travers, car il y a du monde sur le marché et beaucoup parlent beaucoup et ne savent que faire ça. Fenner parle d'ailleurs précisément de ça, la dextérité dans l'usage de ce jargon peut servir aussi a endormir les gens.
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