Un peu de poésie...

ted

antodume a écrit :Mais la souffrance n'est pas banalisée ici, Ted ! Elle accompagne cet homme depuis tellement longtemps qu'il ne lui est pas possible de voir le monde autrement que par elle, par son prisme. Ce qui est génial, c'est qu'il ne l'a pas rejetée - ce qui l'aurait probablement fait souffrir davantage - et c'est ce qui lui a permis de plonger dans son propre coeur, dans le coeur de Dukkha comme peu de personnes y parviennent. Ce n'est pas du masochisme, c'est la compréhension totale, sublime de Dukkha. Quand il en est arrivé là, la vie, sa vie n'était plus triste. Ce qui t'attriste, c'est la projection que toi, Ted, en fait. Parce que tu mets, dans la souffrance de cet homme, ta propre représentation de la souffrance. Mais ta propre représentation n'était pas la sienne. Et quand on est soi-même plongé dans la souffrance, on ne réagit que très rarement comme dans les livres ou comme on le pensait avant. Chaque être est différent et on ne se connaît pas tant qu'on n'est pas confronté à ça.
Je n'ai pas dit que Shiki banalisait la souffrance. :oops:
Je répondais à Flocon qui disait que la maladie, la douleur et la mort, n'étaient pas des anomalies. :)
Mais bon, elle pense ce qu'elle veut après tout. shuuuut_8
antodume

Bin la souffrance n'est pas une anomalie. Il serait, par exemple, totalement anormal que nous ne souffrions pas de voir les autres souffrir. Une anomalie est un phénomène qui se produit alors qu'il ne devrait absolument pas se produire. En d'autre terme, ce serait une étrangeté de la nature. Et comme, en général, il n'existe rien d'étrange dans la nature que nous n'arrivions pas à expliquer, une anomalie serait une sorte d'illusion. La souffrance n'est pas de cette sorte d'anomalie puisqu'elle s'explique parfaitement (et c'est même le fondement des 4NV).
kay

ted a écrit : Serrer les dents, en faisant comme si de rien n'était pendant qu'on souffre, ne jamais montrer qu'on souffre, c'est l'esprit samouraï que certains admireront peut être. Surtout au Japon. Et qui traduit simplement que l'égo est encore bien soucieux de l'image qu'on a de lui.
[/quote]

Le courage, le respect de "l'adversaire", pouvoir se défendre ou défendre les autres sans blesser ou tuer si on est confronté à la violence et en tant que femme. :roll: Jusque-là j'apprécie certaines choses de "l'esprit samouraï" ou disons des "arts martiaux". Mais je trouve d'autres aspects excessifs, ou voir dangereux et d'un autre temps. C'est mon avis. Mais c'est un autre sujet.
Les grands et vrais combats sont souvent plus intérieurs. Et peut-être que la poésie est une aide.
ted

Si la souffrance n'est pas anormale, pourquoi vouloir s'en débarrasser ?
Essayons-nous de nous débarrasser de notre nature de Bouddha ?
Ce n'est pas parce qu'on explique le mécanisme de la souffrance, l'origine d'un truc, que le truc est normal.
Par exemple, toute maladie deviendrait subitement "normale" parce qu'on saurait expliquer son apparition ? Tu vois bien que ce n'est pas le cas

Mais bon, on ne va pas squatter le fil de poésie de Flocon. :)
remind a écrit :Pour ceux qui veulent écouter Ch Namkhai Norbu qui parle en ce moment :

http://www.shangshunginstitute.net/webcast/video.php

:D
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

A vous lire, je me dis que je n'aurais peut-être pas dû commencer ce fil par Shiki... :shock: Mais je l'ai fait parce que c'est vraiment l'un des grands poètes bouddhistes qui m'ont le plus apporté personnellement, au point que je peux dire qu'il m'est presque comme un frère. :oops:

Concernant le "problème" de la maladie et de la douleur, je précise juste une chose pour ne pas entretenir une fausse idée de lui : il se situe aux antipodes d'un "esprit samouraï" qui prônerait le stoïcisme silencieux, la négation de la douleur personnelle et on le lui a d'ailleurs cruellement reproché en son temps. Il aurait pu cacher sa maladie, ne pas en parler, ç'aurait été considéré comme une attitude admirable : il a fait précisément le choix contraire en ne dissimulant rien de son vécu ni de ses épreuves physiques et morales de grand malade : c'était un trait d'originalité et de courage dans le Japon de son époque, et il a choqué, même s'il se situait à certains égards dans la lignée de Bashô sur ce point, en revendiquant une forme d'expression de la sensibilité intime dans l'écriture (j'y reviendrai peut-être puisque je ferai forcément un message sur Bashô :lol: ). Mais il est allé beaucoup plus loin que Bashô, justement l'archétype du "haijin samouraï", et lui a reproché d'avoir manqué de naturel et de vérité dans ses poèmes. Par là il ouvrait une voie nouvelle dans la littérature japonaise, où l'a suivi son ami et disciple Natsume Sôseki, un autre bouddhiste fervent sur lequel je reviendrai sans doute aussi.

Pour le débat de fond sur la nature de dukkha, je préfère le laisser de côté. :) Simlement, Shiki était amidiste et il me semble une bonne illustration de la façon dont fonctionne la dévotion à Amida : de son lit de malade, ce qu'il décrit... C'est la Terre Pure (d'où son dernier poème).

Merci Kay, pour les liens. :)
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
antodume

Ted a écrit :Si la souffrance n'est pas anormale, pourquoi vouloir s'en débarrasser ?
Essayons-nous de nous débarrasser de notre nature de Bouddha ?
Ce n'est pas parce qu'on explique le mécanisme de la souffrance, l'origine d'un truc, que le truc est normal.
Par exemple, toute maladie deviendrait subitement "normale" parce qu'on saurait expliquer son apparition ? Tu vois bien que ce n'est pas le cas
Je ne te comprends pas, Ted. On veut se débarrasser de la souffrance parce que ce n'est pas une expérience agréable. Si la souffrance n'existait pas, le bouddhisme, par définition, n'existerait pas puisque tout le bouddhisme est construit là-dessus. Est-ce que la souffrance est anormale, est-ce que c'est une anomalie ? C'est quelque chose qui existe. Il n'y a rien à dire de plus. C'est triste ? Bin, oui, en particulier quand on n'arrive pas à la surmonter. La tristesse aussi est normale. Est-ce qu'on veut se transformer en robot pour ne plus souffrir ? Penses-tu vraiment que Çakyamuni n'a pas souffert dans son corps et dans son coeur ? Penses-tu qu'il est parti en disant "les cocos, démerdez-vous, moi je suis dans le parinirvana ? " Personnellement, je n'y crois pas une seconde.
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

Je recule dans le temps tout en restant au Japon, pour un coup d’œil sur un autre grand auteur de haïkaï bouddhiste que j’aime énormément :oops: , une femme cette fois-ci : Chiyo Ni, la « nonne Chiyo », aussi connue comme Soen, « Jardin vide ».

Image


Née en 1703 dans une famille de marchands aisés, donc d’origine bourgeoise et non noble, elle est d’abord un enfant prodige (premiers poèmes à six ans) puis une « femme à la mode » dans les cercles lettrés du Japon. Très courtisée, pour sa beauté et son talent, elle ne se marie jamais, mais se lie dans sa jeunesse d’une amitié intime avec une femme, Suejo, qui partagera toute son existence. Elle consacre l’essentiel de sa vie adulte à la littérature et au commerce artisanal : outre la composition de poèmes, elle est spécialisée dans le montage de calligraphies.
Adepte de la Terre Pure depuis l’enfance, elle entre en religion à cinquante-deux ans, sans interrompre pour autant son activité de poète : au contraire, c’est après son ordination qu’elle compose ses œuvres les plus remarquables. Son succès est très grand, ses disciples se multiplient, on vient la voir de tout le Japon. Quand elle meurt à soixante-douze ans, elle est déjà entrée dans la légende : on lui attribue des dons miraculeux, elle aurait soigné des incurables et fait refleurir des arbres morts :shock: . Aujourd’hui, nous restent d’elle des centaines de haïkaïs d’une merveilleuse beauté.

Elle était connue pour sa grande bonté et son respect de toute chose vivante, et son poème sans doute le plus célèbre en est une illustration (D. T. Suzuki en a composé un commentaire souvent cité).

Liseron du matin
Enroulé au seau du puits
Je demande de l’eau au voisin.

En vrac, d’autres exemples… Une grande part du charme de ses poèmes vient de leur sensualité délicate et de leur finesse d’observation.

Le rouge
Les lèvres l’ont oublié
Ah, l’eau de source !
(Poème composé le jour de son ordination)

A cache cache
Jouent les montagnes
Première brume.

Effleurant l’eau
De ma ligne
La lune d’été !

La pluie d’aujourd’hui
Coule sur la route :
Promesse de source
(Poème composé à la mort d’un de ses amis)

Jeunes herbes
Entre les tiges
L’eau reflète la couleur.

Devant le Bouddha
Elles courbent la tête
Les violettes.

Désir féminin
Racines profondes :
Les violettes

Sans dessus dessous
Elles sourient encore
Les poupées de fête.

Liseron du soir
La peau d’une femme
Découverte.

Nuages d’aurore
Les lucioles de la nuit
Sont oubliées.

Sera-t-il âpre ?
Je ne le sais pas encore :
Kaki juste cueilli.

Lueur du soir
Fondue dans
Les érables rouges.

Première neige
Tout tracé d’encre s’efface
S’efface.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
tobeornottobe

La souffrance est normale, ce qui n'est pas normale c'est de ne pas savoir pourquoi afin de la comprendre, de guérir, etc. Et que les autres comprennent ta souffrance aussi...

On est obligé d'avoir de la tristesse pour lui et être apaisé en pensant qu'il a trouvé son chemin après la mort...

Namasté
Répondre