Je recule dans le temps tout en restant au Japon, pour un coup d’œil sur un autre grand auteur de haïkaï bouddhiste que j’aime énormément

, une femme cette fois-ci : Chiyo Ni, la « nonne Chiyo », aussi connue comme Soen, « Jardin vide ».
Née en 1703 dans une famille de marchands aisés, donc d’origine bourgeoise et non noble, elle est d’abord un enfant prodige (premiers poèmes à six ans) puis une « femme à la mode » dans les cercles lettrés du Japon. Très courtisée, pour sa beauté et son talent, elle ne se marie jamais, mais se lie dans sa jeunesse d’une amitié intime avec une femme, Suejo, qui partagera toute son existence. Elle consacre l’essentiel de sa vie adulte à la littérature et au commerce artisanal : outre la composition de poèmes, elle est spécialisée dans le montage de calligraphies.
Adepte de la Terre Pure depuis l’enfance, elle entre en religion à cinquante-deux ans, sans interrompre pour autant son activité de poète : au contraire, c’est après son ordination qu’elle compose ses œuvres les plus remarquables. Son succès est très grand, ses disciples se multiplient, on vient la voir de tout le Japon. Quand elle meurt à soixante-douze ans, elle est déjà entrée dans la légende : on lui attribue des dons miraculeux, elle aurait soigné des incurables et fait refleurir des arbres morts

. Aujourd’hui, nous restent d’elle des centaines de haïkaïs d’une merveilleuse beauté.
Elle était connue pour sa grande bonté et son respect de toute chose vivante, et son poème sans doute le plus célèbre en est une illustration (D. T. Suzuki en a composé un commentaire souvent cité).
Liseron du matin
Enroulé au seau du puits
Je demande de l’eau au voisin.
En vrac, d’autres exemples… Une grande part du charme de ses poèmes vient de leur sensualité délicate et de leur finesse d’observation.
Le rouge
Les lèvres l’ont oublié
Ah, l’eau de source !
(Poème composé le jour de son ordination)
A cache cache
Jouent les montagnes
Première brume.
Effleurant l’eau
De ma ligne
La lune d’été !
La pluie d’aujourd’hui
Coule sur la route :
Promesse de source
(Poème composé à la mort d’un de ses amis)
Jeunes herbes
Entre les tiges
L’eau reflète la couleur.
Devant le Bouddha
Elles courbent la tête
Les violettes.
Désir féminin
Racines profondes :
Les violettes
Sans dessus dessous
Elles sourient encore
Les poupées de fête.
Liseron du soir
La peau d’une femme
Découverte.
Nuages d’aurore
Les lucioles de la nuit
Sont oubliées.
Sera-t-il âpre ?
Je ne le sais pas encore :
Kaki juste cueilli.
Lueur du soir
Fondue dans
Les érables rouges.
Première neige
Tout tracé d’encre s’efface
S’efface.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.
Kong Tseu