
Je commence par un de mes haijin (auteurs de haïkaï) préférés, Masaoka Shiki.
Deux mots seulement sur sa vie, très connue et dont il est facile de trouver un peu partout des résumés : né en 1867, fils d’un samouraï de bas rang désargenté et alcoolique, il devient orphelin à cinq ans, est recueilli par son grand-père, élevé dans la voie confucéenne. Il se tourne vers le bouddhisme à l’adolescence. Adepte de la Terre Pure, il accorde en réalité peu d’importance aux divergences d’écoles. Passionné de poésie classique, admirateur de Bashô, il mène une carrière littéraire brillante, entre critique érudite et composition, mais sa vie est cruellement marquée par la maladie : tuberculeux depuis l’enfance, il est contraint à l’âge de vingt-cinq ans de s’aliter sur « un lit de six pieds » (titre d’un de ses recueils les plus célèbres, une chronique sans complaisance de sa maladie) qu’il ne quittera guère que pour le cercueil. Il meurt à trente-quatre ans après dix années de souffrances terribles : « quand quelqu’un effleure mes jambes, écrit-il, le ciel et la terre tremblent, les arbres et les plantes hurlent. » Il accepte des funérailles bouddhistes mais refuse nom posthume et pierre tombale. « Bavardez et riez comme à l’ordinaire », recommande-t-il à ses amis dans le billet où il ordonne son enterrement. ba11
Quelques-uns de ses poèmes : c’est dur de choisir…

Fin de la saison des pluies
De ci de là
Les fourmis processionnent.
Dans l’eau de ma cruche
Une grenouille verte nage
Pluies de printemps.
Eau bénite
Fraîchement puisée
Larves de moustiques.
Midi : les cris confus des marchands
Cessent
Rumeur de cigales.
Puanteur de poisson
Village de pêcheurs
Dansant sous la lune.
Nuit sans fin
Le singe rêve –comment
Saisir la lune ?
Froidure du matin
Joie du moinillon
Chantant un sutra.
Le bac fend
L’averse du soir
Une vache à son bord.
Dans le ventre du poème
On entrevoit
Le manteau de papier
Nettoyage du jour de l’an,
En vrac dans l’herbe
Dieux et Bouddhas.
Riz aux châtaignes
Je suis malade et pourtant
Je dévore encore.
Trop mûr le kaki
Que je mange : sur ma barbe
Il dégouline.
L’escargot
Lève la tête...
Ah, c’est mon portrait !
Je raffole des kakis
Mais ne puis plus les manger
Ah ! Malade.
Les luffas sont en fleurs,
Du phlegme plein la gorge
Le Bouddha.
Le dernier est son poème d’adieu, composé environ une heure avant sa mort avec l’aide de son disciple Hekigodo pour tenir le pinceau.
Shiki est aussi un peintre que j’aime beaucoup. Son style en peinture est proche de son style poétique, simple et direct.
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Pour finir : son nom de plume, Shiki, signifie « le coucou » (par allusion à sa maladie, le coucou étant traditionnellement représenté comme crachant le sang au Japon). Mais il avait demandé qu’on se souvienne du surnom qu’il s’était donné :
« Mangeur de kaki
Amoureux des haïkaï »
Sous ce nom, souvenez-vous de moi.