[/size]Viande bio et bonheur des animaux
Marjolaine Jolicoeur - Journal AHIMSA, automne 2005
- "Je ne mange que de la viande heureuse"...
J'ai entendu cette étrange expression à plusieurs reprises, lors d’un festival écologique où, pendant trois jours, AHIMSA avait une table d’infos. Explication des écologistes carnivores devant mon étonnement : de la viande heureuse c’est de la viande biologique. Un méchoui de boeuf bio avait même été prévu, gracieuseté d’un distributeur local. Heureusement pour le boeuf, aucun morceau de cadavre heureux ne tourna sur la broche. Mais malheureusement pour nous, une conférence de ce distributeur bio se déroula à quelques mètres de notre table d’infos. Un délire de deux heures qui mélangeait à la fois viande heureuse, complots mondiaux et peur collective. Une sorte de poutine écolo à la sauce conspirationniste.
Pas mal mélangé lui-même, le gourou de la viande bio se donnait comme mission de distribuer le plus largement possible de la viande heureuse afin d’apporter la santé aux humains et à la planète. Mon intervention ne fut guère appréciée: "Vous vous donnez surtout bonne conscience en mangeant de la viande bio. La viande bio n’est pas la solution aux gaspillages de l’eau et des céréales, elle ne règle pas l’exploitation, la domination et la souffrance des animaux, ni l’horreur de l’abattoir. Vous croyez vraiment que vous allez sauver la planète en mangeant de la viande bio?"
Vague de protestations parmi les nombreux producteurs bios présents. Un éleveur de chevreaux bios s’est levé et un trémolo dans la voix a dit combien il aimait sincèrement ses animaux, faisant même une prière avant de les égorger. Vantant les mérites de son élevage, une productrice de poulets bio a juré que ses animaux étaient bien traités, que cela contribuait à la qualité de la chair (Pas la sienne, celle des poulets). Un comique tenta d’orienter la discussion vers le "cri de la carotte", que les plantes souffrent aussi, tout comme le boeuf. Sortons nos mouchoirs pour pleurer la patate qui cuit au four mais le gourou de la viande bio me fit taire en répétant à plusieurs reprises qu’il fallait se méfier des "extrémistes". Des producteurs bio se tournèrent vers la table d’AHIMSA en chuchotant que les "extrémistes" se trouvaient justement de ce côté là.
A la fin de cet interminable sermon à la gloire de la viande bio, plusieurs personnes sont venues nous voir. Un couple de végétariens trouvaient cette valorisation écologique de la viande bio tout à fait absurde, autant pour la planète que pour les animaux. Un homme nous raconta l’histoire de son grand-père qui, lorsqu’il faisait boucherie, disparaissait ensuite de longues heures pour pleurer. Et comment lui-même, après avoir élevé et tué ses lapins bios, abandonna cet élevage pour devenir peu à peu végétarien parce qu’il ressentait maintenant, face aux animaux, un sentiment de "culpabilité". Une jeune anglophone vegan rafla plusieurs dizaines de nos tracts pour les distribuer en déclarant que, bio ou pas, "meat is murder" ("la viande c’est un meurtre").
http://www.ass-ahimsa.net/ferme6.html
Par rapport à la question d'Ardjopa, je retiens cette phrase : "Un homme nous raconta l’histoire de son grand-père qui, lorsqu’il faisait boucherie, disparaissait ensuite de longues heures pour pleurer."