Dumè Antoni a écrit :Comme tous les êtres sensibles, un animal a la nature de Bouddha. Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie qu'un animal (tout animal) a son propre Dharmakaya. Toutefois, la "composante prajnique" (la "clarté" inhérente au Dharmakaya) n'éclaire pas sa conscience (principalement manas, la 7ème conscience, par où s'exprime le discernement), en sorte que l'éveil lui est (dans sa vie d'animal) inaccessible. Autrement dit, la nature sapientiale de l'éveil — indispensable pour que l'éveil s'imprime comme une réalisation consciente — lui est en quelque sorte interdite (pour des causes karmiques). Son Dharmakaya est un peu comme un soleil qui — bien que brillant et équanime (ce qui est le cas de Prajna) — ne parvient pas à éclairer la face cachée d'une planète (et qui reste donc toujours dans l'ombre). Sur le plan biologique, cette "face cachée" s'exprime par un cortex frontal insuffisamment développé, car il faut bien que le karma s'exprime dans la "matière" (un animal n'est pas structuré, sur le plan biologique, comme un humain). Le "mauvais karma" du chien, dans le kôan Mu de Joshu, par exemple, exprime ce fait.
On ne peut donc dire qu'un animal n'est personne. C'est au contraire une "personne" qui n'a pas accès à la composante sapientiale de l'éveil (et l'éveil est nécessairement de nature sapientiale) en raison de dispositions karmiques (s'exprimant par une structure corticale inadaptée) défavorables. Il est facile de voir que sur ce plan particulier de l'éveil, si le fait d'être un animal a un caractère rédhibitoire, le fait de naître humain n'implique pas que la brillance du Dharmakaya favorise l'éveil. Il faut donc que les humains puissent entendre le Dharma et surtout le mettre en pratique. Ce qui montre que certains humains ignorant du Dharma peuvent exprimer des composantes "animales" justifiant le fait que le monde animal est un état d'être et pas seulement une classe d'être.
ba11 Magnifique ! Tu résumes parfaitement le pourquoi de la différence entre ce qui relève de la précieuse existence humaine et ce qui n'en relève pas.
Flocon a écrit :C'est intéressant, je n'avais jamais envisagé la question philosophique de l'animal sous cet angle.
Je ne suis pas certaine d'avoir compris ce que désigne exactement le terme samanya que tu traduis par "généralité", ni ce qu'est une "personne générale". Peux-tu réexpliquer?
Merci d'avance.

Il est très difficile de comprendre exactement ce qu'implique
samanya ou une généralité, un universel (ou -sal) (je ne suis pas sûr de l'avoir moi-même compris ! ::mr yellow:: ), c'est d'ailleurs pourquoi l'ensemble de ce magistral ouvrage de Geshe Geroges Dreyfus:
Recognizing Reality, est une enquête épistémologique de ce graal si important pour expliquer la façon dont une conscience reconnaît la réalité.
Les
samanya et les
vishesha existent dans certaines écoles hindoues et pour ces écoles, les
samanya sont des catégories ontologiques dont l'existence ne dépend pas fondamentalement de leur instances. Autrement dit, pour ces écoles comme Vaisheshika, le tout est bien plus que l'ensemble de ses parties. Ceci est réfuté par les tenants bouddhistes comme Dignaga et Dhamakirti pour lesquel une généralité imprègne ses instances de telle sorte que si toutes les tasses à café du monde étaient détruites dans un tremblement de terre, la généralité "tasse à café" n'existerait plus qu'au titre d'une conception (une généralité de sens -
arthasamanaya - qui n'aurait plus aucun référent là à l'extérieur). Il existe de nombreux débats sur le statut ontologique d'une généralité, même chez les philosophes occidentaux, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle est malgré tout considérée comme existante, et elle aide à reconnaître la réalité.
Comment ? Imaginons que la réalité ne soit composée que d'instances minimales: que Flocon de l'instant T soit une "brique" constitutive de l'univers, ontologiquement séparée de Flocon de l'instant U, autre brique constitutive. Hé bien, Monsieur Flocon qui connaît Madame Flocon de l'instant T ne pourrait pas reconnaître Madame Flocon de l'instant U; il faudrait continuellement refaire les présentations (un super truc contre la routine !

).
Ce qui nous permet de reconnaître l'identité de quelqu'un même après des années, c'est que la personne Flocon de l'instant U est une instance de la généralité "Flocon". Comme cette instance est impégnée par cette identité générale, on peut reconnaître Flocon comme étant Flocon, même si "Flocon qu'on rencontre une nouvelle fois" n'est pas totalement identique à la personne "Flocon qu'on nous a présenté la première fois". La seule identité dans tout ça c'est que les instances participent de la même entité que leur généralité. Mais cette identité ne veut pas dire que toutes les instances elle-mêmes ont la même entité, car c'est impossible: Flocon d'hier n'existe plus, tandis que Flocon d'aujourd'hui existe. De même, la grande tasse à café en grès bleu dans le placard n'est pas la même entité que la petite tasse à café en carton vert sur la table, mais elles partagent la même identité de tasse à café dans le sens où la généralité "tasse à café" imprègne chacune d'elles.
Anne Klein explique ça très bien dans
Knowledge and Liberation - Tibetan Buddhist Epistemology in Support of Transformative Religious Experience:
http://dharmadhatou.wix.com/christophe- ... lite/c1l96
Voici un autre texte sur les généralités et les instances:
http://media.wix.com/ugd/40f4f0_d3a9b72 ... 6f150c.pdf
