Le doute et l'éveil.. l'éveil et le doute...

ted

Dumè Antoni a écrit : cela montre bien que la 1ère Noble Vérité (comme les autres) n'est vraiment comprise que dans la pratique des Jhanas (jusqu'à l'émergence de Prajna) et non pas simplement par l'expérience intime de la souffrance (supplices d'un être en enfer, par exemple).
Tu as raison Dumè et c'est un grave problème... Puisque seule une minorité fait l'expérience des jhanas ou du kensho. :-(
Jean de LA FONTAINE (1621-1695)

La Mort et le Bûcheron

Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire
C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d'où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes
Non, le trépas ne guérit pas tout, comme dit La Fontaine, mais le lacher-prise nécessaire à la réalisation bouddhique n'est-il pas le même lacher-prise que celui face à la mort ? :oops:
Dumè Antoni

Oui, et cela aidera peut-être à comprendre la différence importante entre la Compassion Infinie, qui est la Sagesse associée à la Vue de la 1ère Noble Vérité, et la compassion qui s'élève quand on assiste à la souffrance d'un être et qu'on "ressent" sa douleur (ou sa joie aussi, dans le cadre général de l'empathie).
ted

Dumè Antoni a écrit :Oui, et cela aidera peut-être à comprendre la différence importante entre la Compassion Infinie, qui est la Sagesse associée à la Vue de la 1ère Noble Vérité, et la compassion qui s'élève quand on assiste à la souffrance d'un être et qu'on "ressent" sa douleur (ou sa joie aussi, dans le cadre général de l'empathie).
Est-ce qu'il faut détourner les yeux "quand on assiste à la souffrance d'un être et qu'on "ressent" sa douleur" et contempler plutôt notre nombril ?

L'empathie ne jouerait qu'un rôle mineur dans la quête bouddhique ? Pardon si je te comprends mal. :oops:
Pourtant, il me semble que c'est l'empathie qui a poussé Siddartha Gautama vers sa quête de la libération. <<metta>>

L'empathie est un moteur formidable pour cesser de se complaire dans son petit confort de fils de roi ou d'occidental favorisé.
L'empathie me semble le coeur de la Bodhicitta (l'esprit d'éveil) sans lequel, il n'y a pas d'éveil possible.
L'empathie n'est pas un sentiment "bisounours" . Je ne crois pas. :)

Alors, comme dit Yudo dans un autre fil, il faut essayer de garder les idées claires, ne pas se laisser envahir par la désespérance ou la culpabilité. Mais faut-il chercher à tuer l'empathie pour autant ou la montrer du doigt comme un fardeau ? Je ne dis pas que c'est ce que tu fais ...

Je sens dans l'empathie une énergie transformatrice d'une rare puissance. Il y a des représentations du Bouddha de la Compassion versant des larmes.

Alors, la Compassion Infinie, qui serait représentée uniquement en tant que Sagesse Connaissante, privée d'empathie me semble étrange.
Dumè Antoni

Ted a écrit :Est-ce qu'il faut détourner les yeux "quand on assiste à la souffrance d'un être et qu'on "ressent" sa douleur" et contempler plutôt notre nombril ?
Non. Je dis qu'il ne faut pas confondre la Compassion Infinie, qui est une Sagesse déployée à partir du Dharmakaya par l'illumination de Prajna (qui est spontanée dans le Dharmakaya), et l'empathie ou la compassion des êtres "ordinaires", qui n'est qu'un sentiment d'identification fabriqué par une hormone. Il convient de faire la différence et se prendre pour un Bodhisattva parce qu'on éprouve de la compassion pour les malheureux, c'est simplement une erreur.
L'empathie ne jouerait qu'un rôle mineur dans la quête bouddhique ? Pardon si je te comprends mal. :oops:
Moins que ça : elle ne joue aucun rôle.
Pourtant, il me semble que c'est l'empathie qui a poussé Siddartha Gautama vers sa quête de la libération. <<metta>>
Non, justement. Gautama est né avec un karma très favorable ; cela signifie qu'il avait déjà fait l'expérience de la Vue dans sa vraie nature dans une "autre vie". Son éveil n'était pas encore définitif et il est "revenu" pour parachever sa quête initiale. Si tu n'es pas convaincu, rappelle-toi que tous les êtres sensibles sont doués d'empathie (tout du moins les mammifères et, semble-t-il, certains oiseaux). Si cette empathie — laquelle est hormonale — était de nature à pousser les êtres vers la quête de la libération, nous serions tous bouddhistes. Or, c'est très loin d'être le cas.
L'empathie est un moteur formidable pour cesser de se complaire dans son petit confort de fils de roi ou d'occidental favorisé.
L'empathie me semble le coeur de la Bodhicitta (l'esprit d'éveil) sans lequel, il n'y a pas d'éveil possible.
L'empathie n'est pas un sentiment "bisounours" . Je ne crois pas. :)
C'est un sentiment partagés par tous, y compris les criminels, même si ces derniers ont sans doute des problèmes qui relèvent ultimement de la psychiatrie. Ne te fait aucune illusion là-dessus. Je ne suis pas non plus en train de dire qu'il faut rester froid et insensible aux êtres en souffrance, mais se prendre pour un Bodhisattva à cause de ça, c'est se mettre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude.
Je sens dans l'empathie une énergie transformatrice d'une rare puissance. Il y a des représentations du Bouddha de la Compassion versant des larmes.
Tu te fais des illusions, désolé de le dire aussi froidement. Les animaux éprouvent autant d'empathie que les humains. Ça a été démontré, précisément parce que c'est la conséquence d'un facteur biologique qui, s'il était bloqué par des antagonistes, rendrait les êtres insensibles. Par ailleurs, les iconographies sont des projections humaines. Les larmes sont un symbole associé à la souffrance ; il est donc logique de voir ce type de représentation. On montre aussi des Bouddhas assis sur des fleurs de lotus. Tu en as vu beaucoup, en vrai, des Bouddhas capables de s'asseoir sur une fleur de lotus ?
Alors, la Compassion Infinie, qui serait représentée uniquement en tant que Sagesse Connaissante, privée d'empathie me semble étrange.
Elle n'est pas privé d'empathie, encore une fois : l'empathie n'a strictement rien à voir avec la Sagesse de la Compassion Infinie. Encore une fois : les êtres sensibles — qu'ils soient des Bouddhas ou des êtres ordinaires — éprouvent sans exception de l'empathie comme ils éprouveraient de l'affection, ou de la faim ou de la soif (je veux parler du besoin de boire de l'eau quand on a soif)... ; mais seuls les Bouddhas et les Bodhisattvas connaissent la Compassion Infinie.
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yudo
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ted a écrit : Alors, la Compassion Infinie, qui serait représentée uniquement en tant que Sagesse Connaissante, privée d'empathie me semble étrange.
Certes! Je dirai même plus, tout à fait! En fait, sans empathie, elle ne serait PAS Sagesse Connaissante. Si on a la Sagesse Connaissante, fatalement, on a l'empathie. On ne peut pas bénéficier de cette Grande Sagesse Transcendante (Mahâ Prajñâ Pâramitâ) sans automatiquement éprouver de l'empathie pour tous les êtres sensibles, car nous savons alors automatiquement et naturellement à quel point nous leur sommes liés. Mais on a juste tendance à croire que l'empathie, c'est se mettre dans le même état de détresse que la personne en détresse qu'on a devant soi. L'empathie n'a pas besoin de cette "identification". Elle a juste besoin de savoir que ce qui arrive à l'un peut arriver (ou est déjà arrivé) à l'autre, et que, comme on appréciera (ou aura apprécié) un coup de main en son temps, on peut le donner maintenant.

La réalité de cette empathie se manifeste dans le don gratuit, la parole aimable, l'esprit secourable et la coopération, les "quatre vertus du bodhisattva" (bodaisatta shishôbô) de maître Dôgen.

Allez le lire, tiens:
http://zenmontpellier.net/fr/SBGZ/bodaisatta.html
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
Dumè Antoni

Bon, je ne partage pas vraiment (sans explications complémentaires) le point de vue de Yudo. En fait, l'empathie n'a rien à voir avec la Compassion Infinie : l'empathie est "mondaine", soumise à des hormones (elle est donc "conditionnée"), alors que le Compassion Infinie est "supra mondaine" ou "Incréée" (et ne dépend donc pas de facteurs hormonaux et est donc "inconditionnée). Si l'on ne distingue pas la Compassion Infinie des Boddhisattva de l'empathie, alors on ne peut pas comprendre pourquoi les êtres ordinaires ne connaissent pas la Compassion Infinie. En fait, de mon point de vue, la confusion vient du fait que les Bodhisattvas (ou les Bouddhas) sont aussi des êtres ordinaires (en ce sens qu'ils possèdent un corps "matériel" et, de fait, sont soumis aux décharges hormonales) et donc éprouvent (ou ressentent) de l'empathie comme les autres, mais ils connaissent aussi — ce que ne connaissent pas les êtres ordinaires, bien que ces derniers éprouvent de l'empathie — la Compassion Infinie.

Donc, pour résumer : Seuls le Bodhisattvas et le Bouddhas connaissent la Compassion Infinie, mais tous les êtres, qu'ils soient Bouddhas, Boddhisattvas, Monsieur et Madame Dupont, des vaches, des chiens, des chats, des cochons et même des criminels éprouvent de l'empathie (pour autant qu'ils n'aient pas de troubles psychiatriques bloquant les récepteurs hormonaux de l'empathie). À la question "faut-il éprouver de l'empathie pour connaître la Compassion Infinie ?" la réponse est NON, 1000 fois NON. La réponse est qu'il faut s'éveiller à sa vraie nature, et cela est impossible aux animaux qui pourtant éprouvent (ou ressentent) de l'empathie.
ted

Dumè Antoni a écrit : La réponse est qu'il faut s'éveiller à sa vraie nature, et cela est impossible aux animaux qui pourtant éprouvent (ressentent) l'empathie.
Je ne suis pas sur que les animaux doivent passer par la case "renaissance humaine" pour s'éveiller ?
Est-ce que quelqu'un peut confirmer ? :roll:
Dumè Antoni

Les animaux ne peuvent pas s'éveiller à leur vraie nature. Les Nirmanakayas peuvent prendre l'apparence d'animaux (pourquoi pas ?) mais les animaux n'ont pas le karma favorable à l'éveil. Il faut naître humain (ou dieu, mais restons simplement dans le rapport "êtres de formes corporelles"). Pour s'éveiller à sa vraie nature, il faut pratiquer la Triple Discipline. Nos amis les bêtes (qui pourtant éprouvent de la l'empathie : voir le fil sur la "souffrance ordinaire" dans le salon de thé, ouvert par Ted, où il est aussi question d'un chien) ne peuvent faire cela. Enfin, si on peut éviter de reproduire le fil sur l'esprit des plantes, ce serait pas mal... :roll:
ted

yudo a écrit :
ted a écrit : Alors, la Compassion Infinie, qui serait représentée uniquement en tant que Sagesse Connaissante, privée d'empathie me semble étrange.
Certes! Je dirai même plus, tout à fait! En fait, sans empathie, elle ne serait PAS Sagesse Connaissante. Si on a la Sagesse Connaissante, fatalement, on a l'empathie. On ne peut pas bénéficier de cette Grande Sagesse Transcendante (Mahâ Prajñâ Pâramitâ) sans automatiquement éprouver de l'empathie pour tous les êtres sensibles, car nous savons alors automatiquement et naturellement à quel point nous leur sommes liés. Mais on a juste tendance à croire que l'empathie, c'est se mettre dans le même état de détresse que la personne en détresse qu'on a devant soi. L'empathie n'a pas besoin de cette "identification". Elle a juste besoin de savoir que ce qui arrive à l'un peut arriver (ou est déjà arrivé) à l'autre, et que, comme on appréciera (ou aura apprécié) un coup de main en son temps, on peut le donner maintenant.

La réalité de cette empathie se manifeste dans le don gratuit, la parole aimable, l'esprit secourable et la coopération, les "quatre vertus du bodhisattva" (bodaisatta shishôbô) de maître Dôgen.

Allez le lire, tiens:
http://zenmontpellier.net/fr/SBGZ/bodaisatta.html
Merci Yudo pour ce point de vue.
Que Dumè ne partage pas... :) ça on l'a compris... :)

Dumè
Jean expliquait comment un sentiment de compassion, d'empathie, provoquait une ouverture du coeur (sans doute des souffles qui se précipitent dans le canal central) et facilitait le chemin vers la libération. Si on analyse l'éveil de ce point de vue, on peut peut être parler de l'empathie comme d'un moyen ? La compassion infinie étant une fin ?
Dumè Antoni a écrit : Les animaux ne peuvent pas s'éveiller à leur vraie nature. Les Nirmanakayas peuvent prendre l'apparence d'animaux (pourquoi pas ?) mais les animaux n'ont pas le karma favorable à l'éveil. Il faut naître humain (ou dieu, mais restons simplement dans le rapport "êtres de formes corporelles").
J'ai bien compris que tu penses ça Dumè. je voulais juste une confirmation de la part d'un theravadin ou d'un vajrayaniste... Sans vouloir te vexer... loveeeee
Dumè Antoni

Ted a écrit :Jean expliquait comment un sentiment de compassion, d'empathie, provoquait une ouverture du coeur (sans doute des souffles qui se précipitent dans le canal central) et facilitait le chemin vers la libération. Si on analyse l'éveil de ce point de vue, on peut peut être parler de l'empathie comme d'un moyen ? La compassion infinie étant une fin ?
Je ne pense pas, quant à moi. Le fait d'éprouver de l'empathie est une nécessité de survie de l'espèce. En effet, si les hommes (pour ne parler que de cette espèce) n'éprouvaient pas de l'empathie, les mères n'allaiteraient jamais leurs enfants (l'hormone "responsable" de l'affection/attachement associée à l'allaitement — l'ocytocine, je crois — est la même que celle de l'empathie ; ce n'est pas pour rien que l'on représente Kannon, Avalokiteshavara au Japon, sous des traits féminins avec un enfant dans ses bras) et ces derniers ne pourraient donc survivre. Idem pour l'ensemble des mammifères. Mais bien sûr, je reconnais que cette analyse est essentiellement darwinienne. Ce qui veut dire que je n'exclus pas qu'il puisse y avoir un lien entre le fait d'éprouver de l'empathie et l'ouverture du chacra du coeur. Mais une telle ouverture est associée au tantrisme, discipline que j'ai pour ma part évacuée depuis longtemps de ma pratique, en particulier parce qu'elle n'est pas typiquement bouddhique (même si le Bouddhisme, ou plutôt certaines formes de Bouddhisme, l'a reprise à son compte).
J'ai bien compris que tu penses ça Dumè. je voulais juste une confirmation de la part d'un theravadin ou d'un vajrayaniste... Sans vouloir te vexer...
Ah désolé, je n'avais pas compris que ta question était ciblée. Mais je ne suis pas vexé du tout :D
Merci Yudo pour ce point de vue.
Que Dumè ne partage pas... :) ça on l'a compris... :)
Soyons clair : quand je dis que je ne partage pas le point de vue de Yudo, je ne dis pas que Yudo se trompe, mais parce que sa présentation fait de l'empathie une condition nécessaire à la Compassion Infinie, ce que je ne partage pas, non pas parce qu'il ne faut pas d'empathie pour connaître la Compassion Infinie, mais parce que ce sont deux choses totalement différentes et qui ne sont aucunement liées par une relation de cause à effet. Sinon, la Compassion Infinie serait "conditionnée", ce qui est en contradiction avec sa nature "Incréée".
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