Le Cœur du message du Bouddha

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Le Cœur du message du Bouddha
par Buddhadasa Bhikkhu



Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/

Ce livre réunit trois conférences données par le Vénérable Ajahn Buddhadasa
au groupe d’Etudes du Dhamma de l’hôpital Siriraj de Bangkok en 1961.



Partie 1
Points essentiels des enseignements du Bouddha



En cette occasion spéciale, je crois que je dois aborder les sujets importants qui résument au mieux les principes du Dhamma [les enseignements du Bouddha, la Vérité ultime, la loi de la nature]. C’est pourquoi j’ai choisi pour thème les points essentiels des enseignements du Bouddha, dans l’espoir qu’une bonne compréhension de ces sujets vous permettra de faire une grande avancée dans vos études. Sans cette compréhension, c’est la confusion : on a l’impression qu’il y a beaucoup de choses à savoir et que ces choses se multiplient jusqu’à devenir trop nombreuses pour être mémorisées, comprises ou pratiquées. C’est la cause majeure de l’échec sur la Voie : les gens se découragent et leur intérêt devient de plus en plus flou et incertain. Finalement, c’est comme porter sur son dos un lourd fardeau d’outils sans pouvoir vraiment les connaître ni en faire usage.
Les fondements des enseignements du Bouddha

Je vous demande donc de vous préparer à faire quelques révisions pour bien saisir les points essentiels des enseignements bouddhiques, de façon à actualiser les connaissances qui sont le fondement d’une compréhension juste du Dhamma. J’insiste sur le mot « fondement » parce qu’il y a des connaissances qui ne sont pas fondamentales, de même qu’il y a des interprétations qui sont erronées, des interprétations qui font peu à peu dévier l’enseignement jusqu’à ce que ce ne soit plus l’enseignement du Bouddha. Ou, si c’est encore du bouddhisme, c’est une excroissance qui ne fait que s’en éloigner de plus en plus.

Dire qu’une chose est un fondement des enseignements du Bouddha n’est vrai que si, premièrement, c’est un principe dont le but est d’éradiquer dukkha [la souffrance, l’insatisfaction ou le mal-être] et, deuxièmement, s’il a une logique que chacun peut vérifier par lui-même sans avoir à croire quelqu’un d’autre. Ce sont les deux facteurs importants d’un « fondement ».

Le Bouddha ne voulait rien avoir à faire avec les choses qui ne menaient pas à l’extinction de dukkha. Par exemple, le thème de la réincarnation. Les gens lui posaient des questions comme : qu’est-ce qui se réincarne ? Comment se produit la réincarnation ? Qu’est-ce qu’un héritage karmique ? [Le kamma est une action intentionnelle accomplie par le corps, la parole ou l’esprit.] Mais toutes ces questions ne mènent pas à l’extinction de la souffrance et, de ce fait, ce ne sont pas des enseignements que le Bouddha a donnés. Par ailleurs, celui qui pose ces questions n’a pas d’autre choix que de croire aveuglément la réponse qui lui est faite puisque celui qui répond ne peut produire de preuves et parlera seulement selon son sentiment ou le souvenir de ce qu’il a appris. Ainsi, petit à petit, le sujet s’éloigne du Dhamma jusqu’à n’avoir plus rien à faire avec lui et n’a plus rien à faire avec l’extinction de la souffrance.

Par contre, si on abandonne ce genre de questions, on peut se demander : « Dukkha existe-t-il ? » et : « Comment peut-on arriver à l’extinction de dukkha ? » A de telles questions, le Bouddha a consenti à répondre et celui qui écoute la réponse est en mesure de voir par lui-même la vérité de chacun des mots de sa réponse, sans avoir à y croire aveuglément. Il peut y voir de plus en plus clair jusqu’à obtenir une parfaite compréhension. Si l’on comprend suffisamment pour réussir à mettre un terme définitif à dukkha, c’est la compréhension suprême. On sait alors que, même à cet instant précis, il n’y a pas « quelqu’un » qui vit ; on voit sans le moindre doute qu’il n’existe pas de « moi » ni rien qui appartienne à un « moi ». On voit que ce sentiment d’un « moi » et d’un « mien » n’apparaît que lorsque l’on se laisse bêtement piéger par la nature trompeuse des expériences sensorielles. Comme il n’existe pas de « personne » qui soit née, il n’y a personne pour mourir et renaître. Ainsi toute la question de la réincarnation est ridicule et n’a rien à voir avec le bouddhisme.

Les enseignements bouddhiques ont pour but de nous faire savoir qu’il n’y pas de « soi », qu’il n’y a rien de « personnel », et que cette impression d’être une personne n’est que la compréhension erronée d’un esprit ignorant. Il y a simplement un corps et un esprit, et tous deux ne sont que des processus naturels. Ils fonctionnent comme des mécanismes qui traitent et transforment des données. S’ils le font de manière incorrecte, le résultat est stupidité et incompréhension de la réalité : on croit qu’il existe bien une « personne », un « moi » et des choses qui lui appartiennent. S’ils le font correctement, cette vision erronée n’apparaît pas ; au contraire, il y a une attention pleine de sagesse (satipaññā) qui distingue la vérité ; c’est la connaissance authentique fondamentale et la claire vision qu’il n’y a pas de « soi » ni rien qui appartienne à un « soi ».

De ce fait, il s’ensuit que, dans le domaine des enseignements bouddhiques, il n’est pas question de réincarnation ou quoi que ce soit de ce genre. Par contre, on pose la question : « Dukkha existe-t-il ? » et « Comment peut-on arriver à l’extinction de dukkha ? » Quand on connaît la cause racine de dukkha, on est en mesure de l’éradiquer. Or cette cause racine est l’ignorance, la croyance erronée en un « moi » et un « mien ».

Cette question du « soi » est l’essence même des enseignements bouddhiques. C’est l’unique chose qui doit être totalement éliminée. Par conséquent, c’est là que se trouvent la connaissance, la compréhension et la pratique de tous les enseignements bouddhiques sans exception. Je vous prie donc d’accorder toute votre attention à ce qui va suivre.

Si l’on considère les principes fondamentaux du Dhamma, on constate qu’il n’y en a pas beaucoup. Dans un de ses discours, le Bouddha a déclaré très clairement qu’il n’y en avait qu’une poignée. Tandis qu’il marchait dans la forêt, le Bouddha a ramassé une poignée de feuilles tombées des arbres et a demandé aux moines qui l’accompagnaient s’il y avait plus de feuilles dans ses mains ou sur les arbres de la forêt. Tous ont répondu qu’il y en avait beaucoup plus sur les arbres, que ce n’était même pas comparable. Imaginez la scène et voyez par vous-même la vérité de cette affirmation, combien les feuilles de la forêt sont beaucoup plus nombreuses. Le Bouddha a dit alors que, de la même façon, les choses qu’il avait découvertes et qu’il savait étaient innombrables, comme les feuilles de la forêt, mais que ce qu’il est nécessaire de connaître, les choses qu’il faut enseigner et pratiquer, ne sont pas plus nombreuses que les feuilles qu’il tenait dans sa main.

Ce texte nous permet de conclure que, comparés aux myriades de choses qui se trouvent dans le monde, les principes fondamentaux qu’il faut pratiquer pour éradiquer dukkha ne sont qu’une poignée. Nous devons apprécier le fait que cette poignée de principes ne représente pas une grande quantité et qu’il n’est donc pas au-delà de nos capacités de les apprendre et de les comprendre. C’est le premier point important que nous devons saisir pour poser les fondations d’une compréhension correcte des enseignements bouddhiques.

Je fais allusion aux « enseignements bouddhiques » et je voudrais que vous compreniez bien ces mots. De nos jours, ce que l’on nomme ainsi est quelque chose de très nébuleux : c’est très vaste mais sans définition précise. A l’époque du Bouddha, on utilisait un autre mot : le mot dhamma qui faisait spécifiquement référence au dhamma qui met fin à dukkha, la souffrance. Le dhamma du Bouddha s’appelait « le Dhamma du moine Gotama ». S’il s’agissait du dhamma d’un autre groupe religieux, par exemple celui de Nigantha Nātaputta [contemporain du Bouddha et fondateur du jaïnisme], on l’appelait « le Dhamma de Nigantha Nātaputta ». Ceux qui appréciaient un certain dhamma essayaient de l’étudier jusqu’à le comprendre et puis ils pratiquaient en conséquence. On appelait cela « dhamma » et c’est ce que c’était : un vrai dhamma pur, sans pièges, sans aucune de ces nombreuses choses que l’on a ensuite associées à ce mot. Mais aujourd’hui nous appelons tous ces rajouts « enseignements bouddhiques ». Du fait de notre manque de vigilance, les soi-disant « enseignements bouddhiques » sont devenus tellement nébuleux qu’ils incluent beaucoup de choses totalement étrangères à la doctrine originelle.

Les véritables enseignements bouddhiques sont déjà, en eux-mêmes, suffisamment abondants – autant qu’il y a de feuilles dans la forêt – mais ce qu’il faut étudier et pratiquer ne représente qu’une simple poignée et c’est déjà bien assez. Mais, de nos jours, nous nous empressons d’inclure toutes ces choses qui sont associées aux enseignements, comme l’histoire de la religion et une psychologie développée. Prenez l’Abhidhamma [la troisième des trois « corbeilles » des Ecritures bouddhiques, écrite après la mort du Bouddha] : certaines parties sont devenues de la psychologie, d’autres de la philosophie et il se développe sans cesse pour répondre aux exigences de ces disciplines. Et il y a de nombreux autres dérivés, de sorte que les choses qui sont associées aux enseignements du Bouddha sont devenues excessivement nombreuses. Elles sont toutes regroupées sous le même terme et c’est ainsi que l’on se retrouve avec un grand nombre d’« enseignements bouddhiques ».

Si nous ne savons pas sélectionner les points essentiels, nous aurons l’impression que la tâche est trop lourde et nous ne pourrons pas choisir parmi les enseignements. Ce sera comme aller dans un magasin qui vend une grande variété de produits et être complètement désorienté quant au choix à faire. Nous suivrons alors simplement notre bon sens – un peu de ceci, un peu de cela, comme il nous semblera. Mais, dans la plupart des cas, nous choisirons ainsi les choses qui correspondent à nos faiblesses au lieu de nous laisser guider par une attention pleine de sagesse. La vie spirituelle devient alors une question de rites et de rituels, on « fait des mérites », on apprend des textes par cœur, on se protège de ses peurs, etc. Mais il n’y a là aucun contact avec les véritables enseignements bouddhiques.

Apprenons donc à distinguer les enseignements bouddhiques des choses qui ont simplement été associées à eux. Et, même dans les vrais enseignements, nous devons savoir comment distinguer les principes fondamentaux, les points essentiels. C’est de ceux-là que j’ai décidé de parler.
La maladie spirituelle

Le fait que ces conférences aient lieu dans un hôpital m’a rappelé un texte des Commentaires, celui où l’on appelle le Bouddha le « docteur spirituel ». En suivant le sens de certains des enseignements du Bouddha ainsi que l’explication qui en a été faite plus tard dans les Commentaires, est apparu un principe qui identifiait deux types de maladies : la maladie physique et la maladie mentale. Dans les textes, on utilise les mots « maladie mentale » mais ils n’ont pas le sens qu’on leur donne aujourd’hui. A l’époque du Bouddha, ces mots désignaient une vision erronée des choses ou bien le désir. Par contre, de nos jours, ils désignent de réelles maladies mentales basées sur le corps et donc liées à un problème physique. Pour éviter toute confusion, je vais ajouter un troisième terme : nous considèrerons que les maladies physiques et mentales sont toutes deux physiques et nous emploierons le terme « maladie spirituelle » pour désigner ce que le Bouddha considérait comme une maladie de l’esprit.

Le mot « esprit » se réfère aux aspects subtils du mental qui sont malades car sous l’emprise de parasites mentaux, en particulier à cause de l’ignorance et d’une vision erronée des choses. L’esprit habité par l’ignorance ou la vision erronée souffre d’une « maladie spirituelle » : son regard sur les choses est faux. Voyant faux, il pense faux, parle faux et agit faux et c’est précisément là que se cache la maladie : dans la pensée fausse, la parole fausse et l’action fausse.

Vous allez tout de suite voir que tout le monde, sans exception, souffre de la maladie spirituelle. Les maladies mentales ou physiques n’arrivent qu’à certaines personnes à un certain moment et elles ne sont pas si terribles. Elles ne créent pas une souffrance permanente, à chaque inspiration et chaque expiration comme le fait la maladie spirituelle. C’est pourquoi les enseignements bouddhiques ne s’occupent pas des maladies physiques et mentales ; ils sont le remède à la maladie spirituelle et le Bouddha est le « médecin de l’esprit ».

Tout le monde souffre de la maladie spirituelle et tout le monde doit la soigner spirituellement. Le Dhamma est le remède, cette « simple poignée » d’enseignements bouddhiques qui doivent être pleinement réalisés, utilisés et digérés pour guérir de la maladie.

Notez bien que, de nos jours, les êtres humains ne s’intéressent absolument pas à la maladie spirituelle, de sorte qu’elle ne cesse d’empirer, et pas seulement au niveau de l’individu car, quand chacun est atteint de la maladie spirituelle, le monde entier en est atteint. Le monde est malade, aussi bien mentalement que spirituellement et, de ce fait, au lieu d’avoir une paix durable, nous sommes en crise permanente. Nous avons beau nous battre et nous débattre, nous ne trouvons pas la paix, pas même un instant. C’est perdre son temps que de parler d’une paix durable car toutes les parties concernées sont atteintes de la maladie spirituelle, toutes disent qu’elles ont raison et que les autres ont tort. Toutes les parties sont malades spirituellement et ne font donc que créer toujours plus de dukkha, pour elles-mêmes comme pour les autres. C’est comme si une machine fabriquant de la souffrance était apparue dans le monde. Comment le monde pourrait-il trouver la paix ?

La solution consiste à mettre fin à la maladie spirituelle en chacun des êtres qui peuplent ce monde. Et qu’est-ce qui peut les guérir ? Il doit bien y avoir un antidote à cette maladie ! Oui : la poignée de Dhamma des enseignements du Bouddha.

Voilà donc la réponse à la question : pourquoi, de nos jours, les enseignements ne sont-ils plus un refuge pour les gens, comme le voudraient les moines, alors même que l’on dit que le bouddhisme se développe beaucoup plus largement qu’autrefois et que ceux qui en ont une compréhension correcte sont plus nombreux qu’avant ? Il est vrai que l’on étudie beaucoup les enseignements et qu’on les comprend mieux mais, si nous ne réalisons pas que nous sommes atteints de la maladie spirituelle, comment les comprenons-nous et les utilisons-nous ? Si nous n’avons pas conscience d’être malades, nous n’allons pas voir le médecin et nous ne prenons aucun médicament, c’est bien évident. La plupart des gens ne sont pas conscients d’être malades, de sorte que le « médicament » n’est qu’une mode. Nous allons écouter le Dhamma et nous l’étudions même en tant que remède, mais sans réaliser que nous sommes malades. Nous le prenons simplement pour le mettre de côté, ou bien nous l’utilisons comme sujet de discussion, ou encore, dans certains cas, pour argumenter et chercher querelle. Voilà la raison pour laquelle le Dhamma, à l’heure actuelle, n’est pas encore un moyen efficace pour guérir le monde.

Si nous voulons vraiment poser les bases d’une société bouddhiste, ici et maintenant, nous devons en connaître les buts ultimes et le travail pourra alors progresser correctement. Autrement dit, le Dhamma permettra enfin d’aider à traiter les maladies spirituelles de manière directe et rapide. Ne laissez pas vos objectifs demeurer trop imprécis au risque de ne pas savoir dans quelle direction aller. Qu’il n’y ait qu’une poignée de « nectar sacré » mais qu’il soit utilisé correctement et efficacement. Que votre pratique soit bénéfique et jamais sujette au ridicule.

Nous allons à présent expliquer ce qu’est la maladie spirituelle et comment elle peut être soignée avec une simple poignée de Dhamma.
Le germe de la maladie spirituelle

Le germe de la maladie spirituelle se situe dans le sentiment de « nous » et de « nôtre », de « moi » et de « mien », sentiment qui nous assaille régulièrement. Ce germe, déjà présent dans l’esprit, se développe tout d’abord en un sentiment de « moi » et de « mien », puis, sous l’action de l’égocentrisme, devient avidité, haine et vision erronée des choses, ce qui crée des perturbations aussi bien pour soi que pour les autres. Tels sont les symptômes de la maladie spirituelle tapie en nous. Nous pouvons aussi l’appeler « la maladie du moi et du mien ».

Tout le monde est atteint de la maladie du moi et du mien et nous continuons à absorber toujours plus de ces germes à chaque fois que nous voyons une forme, sentons une odeur, touchons un objet, goûtons une saveur ou pensons en ignorants. Autrement dit, à chaque contact sensoriel, nous recevons le germe de ces choses qui nous entourent, qui sont infectées et causent la maladie.

Nous devons prendre conscience du fait que ce germe est l’attachement et qu’il a deux aspects : l’attachement au « moi » et l’attachement au « mien ». Etre attaché au moi, c’est sentir que le « je » est une entité, que « je suis » comme ceci ou comme cela, que « je suis » égal, inférieur ou supérieur aux autres, etc. Toutes ces attitudes expriment un « moi ». Quant au « mien », c’est considérer que cela m’appartient : c’est « mon » goût, c’est « mon » opinion. Même les choses que nous détestons, nous les considérons comme « nos » ennemis. Voilà ce que l’on appelle « mien ».

Les sentiments de moi et de mien sont si dangereux qu’on les appelle « la maladie spirituelle » et toutes les branches de philosophie de l’époque du Bouddha essayaient d’en venir à bout. Même si elles suivaient différents enseignements, elles avaient toutes le même but : éliminer le moi et le mien. La différence est que, quand elles parvenaient à éliminer ces sentiments, elles appelaient ce qui restait le Vrai Soi, le Pur Atman, le Désiré. Par contre, les enseignements bouddhiques refusèrent d’utiliser ces termes pour ne pas donner naissance à une autre façon de s’attacher à un soi ou à des choses appartenant à un soi. Selon le Bouddha, quand le moi et le mien sont vus pour ce qu’ils sont, il ne reste qu’une parfaite vacuité que l’on appelle nibbāna – comme dans l’expression « le nibbāna est la suprême vacuité » – c’est-à-dire absolument vide de « moi » et vide de « mien », sans qu’il ne reste quoi que ce soit d’autre. Le nibbāna est la fin de la maladie spirituelle.

Cette question de moi et de mien est très difficile à percer. Sans une profonde concentration, on ne peut pas comprendre que c’est précisément là que se cache dukkha, que c’est le germe qui cause la maladie spirituelle.

Ce que l’on appelle attā ou « soi » correspond au mot latin « ego ». Si le sentiment d’être un « moi » apparaît, nous appelons cela de l’égotisme ou même de l’égoïsme car, une fois ce sentiment apparu, il donne inévitablement et naturellement naissance au sentiment de « mien ». Si l’on conjugue le sentiment de « moi » et le sentiment que des choses appartiennent à ce moi, on obtient l’égotisme. On peut dire que l’ego est naturel aux êtres vivants et même qu’il est leur centre. Traduit en français, ce mot peut être interprété comme « une âme », mot d’origine grecque, kentricon, qui signifie « centre ». L’attā peut donc être considéré comme le centre des êtres vivants, leur noyau indispensable et, par conséquent, ce serait une chose dont les gens ne pourraient pas se débarrasser et qu’ils ne pourraient pas s’empêcher de ressentir.

Il s’ensuit que toute personne non éveillée est obligatoirement constamment animée par l’égotisme. Il est vrai que cela ne s’exprime pas ouvertement tout le temps mais seulement quand il y a un contact sensoriel, c’est-à-dire quand on voit une forme, on entend un son, on sent une odeur, on goûte une saveur, on touche un objet ou bien quand une pensée apparaît dans l’esprit. A chaque fois que le sentiment de moi ou de mien apparaît, on peut dire que la maladie est pleinement développée, quel que soit le sens qui l’ait réveillée. Quand, au moment du contact sensoriel, le sentiment de moi et de mien apparaît, la maladie est présente dans toute son ampleur et l’égotisme est vivement éveillé.

A ce niveau-là, nous ne l’appelons plus égotisme mais égoïsme parce que c’est un égotisme qui mène la personne sur une voie erronée, la voie de la bassesse ; elle ne pensera plus qu’à elle-même, n’aura plus de considération pour les autres et tout ce qu’elle fera sera égoïste. A ce moment-là, la personne est complètement régie par l’avidité, l’aversion et l’ignorance de la réalité des choses. La maladie s’exprime en tant qu’égoïsme et elle va faire du mal à soi comme aux autres. C’est le plus grand danger au monde. Si le monde est si troublé et dans un tel chaos, c’est pour la simple raison que tout le monde est égoïste, tous ceux qui composent les différentes factions des groupes rivaux. Ils se battent les uns contre les autres, non parce qu’ils le souhaitent mais par compulsion, parce qu’ils n’ont aucun contrôle sur cette force qui les anime, et c’est ainsi que la maladie s’implante. Si le monde a absorbé le germe qui est la cause de la maladie, c’est parce que personne ne connaît ou n’applique ce qui peut résister à la maladie : le cœur des enseignements bouddhiques.
Le cœur des enseignements du Bouddha

Je voudrais que vous compreniez bien cette expression « le cœur des enseignements bouddhiques ». Si on demande à une assemblée : « Quel est le cœur des enseignements bouddhiques ? », on obtient toutes sortes de réponses contradictoires, toutes différentes les unes des autres ! Les gens répondent en fonction de ce qu’ils ont lu ou entendu, ou de ce qu’ils ont déduit par eux-mêmes. Voyez comment les choses se passent de nos jours. Qui connaît vraiment le cœur des enseignements bouddhiques ? Qui l’a vraiment atteint ?

Quand on demande aux gens quel est le cœur des enseignements bouddhiques, certains diront les Quatre Nobles Vérités, d’autres diront les Trois Caractéristiques (impermanence, souffrance et non-soi), et d’autres encore citeront ces paroles : « Ne pas faire de mal, ne faire que le bien et purifier l’esprit : tel est le cœur des enseignements du Bouddha. » Tout cela est correct mais seulement partiellement correct parce que les gens récitent ces choses par cœur au lieu de les avoir sincèrement vérifiées par expérience personnelle.

Pour ce qui est du cœur des enseignements bouddhiques, je voudrais suggérer cette simple phrase du Bouddha : « On ne doit s’attacher absolument à rien. » Dans les Ecritures, on peut lire qu’un jour quelqu’un s’est approché du Bouddha et lui a demandé s’il pouvait résumer ses enseignements en une phrase et, si oui, quelle serait cette phrase. Le Bouddha a répondu que c’était possible et il a dit : « On ne doit s’attacher absolument à rien. » Le Bouddha a insisté sur ce point en ajoutant que quiconque entendait ces mots cruciaux entendait tous les enseignements, et que celui qui reçoit les fruits de cette pratique reçoit tous les fruits des enseignements du Bouddha.

Si une personne réalise pleinement la vérité de ces paroles – que l’on ne doit s’attacher absolument à rien – cela signifie qu’elle est libérée du germe qui cause la maladie de l’avidité, l’aversion et l’ignorance, la maladie de toute action erronée, que ce soit par le corps, la parole ou l’esprit. Ainsi, à chaque fois qu’une forme, un son, une odeur, une saveur, un toucher ou un phénomène mental apparaît, l’anticorps « on ne doit s’attacher absolument à rien » résistera fermement à la maladie. Le germe ne pénètrera pas ou, si on lui permet d’entrer, ce ne sera que pour mieux l’anéantir. Le germe ne se répandra pas et ne causera pas de maladie car l’anticorps continuera à le détruire. Il y aura une immunité absolue et perpétuelle. Voilà le cœur des enseignements bouddhiques, de tout le Dhamma. On ne doit s’attacher absolument à rien.

La personne qui réalise cette vérité est comme quelqu’un qui possède un anticorps capable de résister à la maladie et de la détruire. Il est impossible qu’elle souffre de la maladie spirituelle. Mais pour la personne ordinaire qui ne connaît pas le cœur des enseignements du Bouddha, c’est tout le contraire : elle est comme quelqu’un dépourvu de toute immunité.

Vous avez maintenant compris le sens de l’expression « maladie spirituelle » et quel est le médecin qui la guérit. Mais ce n’est que quand nous constatons nous-mêmes que nous en sommes atteints que nous souhaitons sérieusement nous guérir et utiliser le remède qui convient. Avant cela, nous nous contentons de jouir de la vie comme il nous plaît. C’est comme quelqu’un atteint de tuberculose ou d’un cancer qui ne ferait que chercher à s’amuser sans se préoccuper de trouver un traitement jusqu’à ce qu’il soit trop tard, et puis finirait par mourir de sa maladie.

Ne soyons pas aussi légers ! Suivons les instructions du Bouddha : « Ne soyez pas négligents. Soyez toujours pleinement attentifs. » Etant des personnes attentives, nous devons considérer la façon dont nous souffrons de la maladie spirituelle et examiner le germe qui en est la cause. Si vous le faites correctement et assidûment, vous ne manquerez pas de recevoir, dans cette vie, le meilleur de ce que peut recevoir un être humain.
L’attachement, source de la maladie spirituelle

Nous devons regarder plus précisément le fait que c’est l’attachement qui est à la fois le germe et le propagateur de la maladie. Même en observant les choses au niveau le plus simple, on voit très vite que c’est cet attachement au « moi » et au « mien » qui est le plus grave de tous les maux.

On peut diviser les maux de l’esprit en trois catégories : le désir, l’aversion et l’ignorance ou compréhension erronée de la réalité. On peut aussi les regrouper en seize ou en autant de catégories que l’on voudra mais, au bout du compte, elles sont toutes incluses dans la convoitise, la haine et l’ignorance. Et ces trois-là peuvent même être réunies en une seule : le sentiment de moi et de mien. Le sentiment de moi et de mien est le noyau interne qui donne naissance à la convoitise, à la haine et à l’ignorance. Quand il s’exprime en tant que convoitise, désir et avidité, il essaie d’attirer l’objet des sens avec lequel il est entré en contact ; s’il s’exprime en tant qu'aversion, il rejette l’objet en question ; et s’il lui arrive d’être dans la confusion, de ne pas savoir ce qu’il veut, hésitant à prendre ou à rejeter l’objet, il s’agit d’une forme d’ignorance.

La maladie spirituelle nous fait nous comporter de l’une de ces trois façons envers tout objet des sens (forme, son, odeur, saveur ou objet tangible) selon l’aspect qu’il prend : s’il est appréhendable ou caché, et s’il encourage l’attirance, la répulsion ou la confusion. Mais, malgré leur différence, ces trois attitudes sont erronées parce que leurs racines sont dans le sentiment intérieur qu’il existe un moi et un mien. Par conséquent, on peut dire que le sentiment de moi et de mien est le plus grave de tous les maux et qu’il est la cause-racine de toute souffrance, de toute maladie.

Comme nous n’avons pas pleinement apprécié l’enseignement du Bouddha sur la souffrance, nous ne l’avons pas bien compris. Nous croyons qu’il ne parle que de la naissance, la vieillesse et la mort mais, en réalité, il ne s’agit là que des véhicules les plus flagrants de la souffrance. Le Bouddha a résumé son enseignement ainsi : « En bref, dukkha c’est s’attacher aux cinq khandha »[les 5 groupes ou agrégats de l’existence : forme corporelle, sensations, perceptions, formations mentales et conscience sensorielle]. Ce qui signifie que tout ce qui attache ou à quoi on s’attache en tant que moi ou mien est dukkha. Tout ce qui ne comporte pas d’attachement à moi ou mien est dépourvu de dukkha. En conséquence, la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort ou quoi que ce soit, si on ne s’y attache pas en tant que moi ou mien, ne peuvent pas être dukkha. Ce n’est que lorsque l’on s’attache à la naissance, la vieillesse, la maladie ou la mort comme étant moi ou miennes qu’elles deviennent cause de souffrance. Le corps et l’esprit sont semblables ; ce n’est pas comme si dukkha était inhérent au corps et à l’esprit : ce n’est que lorsqu’il y a attachement au moi et au mien qu’ils sont dukkha. Quand le corps et l’esprit sont purs et libres de tout parasite mental, comme ceux d’un Arahant, il n’y a absolument aucun dukkha.

Il faut que nous voyions clairement que ce moi et ce mien sont la cause-racine de toutes les formes de dukkha. Partout où il y a attachement, il y a l’obscurité de l’ignorance. Il n’y a pas de clarté parce que l’esprit n’est pas vide ; parce qu’il est, furieux et rageur, agité par le sentiment de moi et de mien. Par contre, l’esprit qui est libre de l’attachement au moi et au mien est serein et totalement empli d’une sage présence consciente.

Nous devons donc bien saisir le fait qu’il y a deux sortes de sentiments – d’une part, celui d’un moi et d’un mien, et, d’autre part, celui d’une sage présence consciente – et qu’ils sont totalement antagonistes. Si l’un entre dans l’esprit, l’autre en sort aussitôt. Il ne peut y en avoir qu’un seul à la fois. Si l’esprit est plein d’un sentiment de moi et de mien, la sagesse ne peut le pénétrer ; si la sagesse est présente, le moi et le mien disparaissent. Etre libre du moi et du mien, c’est donc demeurer dans la présence consciente et la sagesse.
suite... http://www.dhammadelaforet.org/sommaire ... ree_1.html
avec metta
gigi
Ici et Maintenant pleine attention à la pleine conscience
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