Zen, éthique et samouraïs

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yudo
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Je viens de lire le dernier article de Brad Warner sur la méditation pour les "battants". Et, plutôt que de reporter l'article en sa totalité comme je le fais souvent, je vais bêtement pousser un coup de gueule.

J'en ai vraiment par dessus la tête (ça me sort carrément par les oreilles) des interminables blablas sur les samouraïs, et autres saloperies guerrières. C'est sûr que c'est teeeeeeellement romantiiiique de parler de guerre, lorsqu'on vit dans la paix la plus totale. Il n'y a pourtant qu'à regarder la télé pour constater qu'il n'y a rien de romantique à vivre dans un pays en conflit et de devoir se coltiner en permanence des militaires susceptibles de vous couper la tête pour un oui ou pour un non.

Brad écrit que "les samouraïs de l'ancien Japon avaient compris que la méditation pouvait leur donner un avantage compétitif. Ils se servaient de Zazen pour "renforcer leurs capacités" et "leur habilité à se concentrer", pour paraphraser l'article du Huffington Post."

Il poursuit en écrivant: "Ça, c'est bien sûr! Si vous voulez couper le cou à votre archi-ennemi du clan Miyamoto ou détruire la carrière de vos rivaux, la méditation aide. Mais c'est un problème.

"Vendre la méditation en tant que clé du succès détruit la méditation. (Ce faisant), vous ne faites que renforcer la part de vous-même qui est toujours insatisfaite, en quête perpétuelle d'approbation, en chasse éternelle de pouvoir et d'argent. Vous avez découvert une façon encore plus efficace de vous assurer de ne jamais être heureux, équilibré, jamais en paix."

Je pense vraiment que cette fascination pour le Japon des Arts martiaux, lorsqu'elle débouche sur le Zen, est responsable de l'attitude méprisante, odieuse, sans humour ni bonté, incapable de sourire d'une erreur, toujours sur la brèche dès qu'il s'agit d'humilier quelqu'un d'autre, hallucinante de bêtise et d'ignominie que l'on trouve pratiquement partout dans les dojos zen français. D'éthique, là dedans, vous imaginez bien que, s'il y en a une, c'est celle du respect aveugle et bête de la hiérarchie, de l'humiliation des faibles et de la prépotence (j'utilise à dessein un italianisme: il couvre et l'arrogance et l'abus de pouvoir) des forts.

Le Bouddhisme originel insistait énormément sur l'éthique et le respect des préceptes. Mais comme dans toute chose, le mieux est l'ennemi du bien, et l'excès a pu entraîner le genre de rigidité qui permettra toujours aux "prépotents" (je récidive) d'en profiter pour humilier l'autre à bon compte grâce à leur connaissance parfaite du règlement.

Dans le Zen, on insiste moins, précisément parce que trop souvent, l'éthique devient une approche au monde plutôt étroite et inflexible, avec des gens qui la manient comme une masse pour empêcher les autres de faire ce qu'eux n'aiment pas.

Il est vrai qu'un des effets intéressants de ce phénomène, c'est de nous forcer à constater que la présence et la concentration la plus impressionnante peuvent être atteinte sans pour autant être obligé d'observer les standards moraux, voire légaux de la communauté.

Un des commentateurs faisait observer qu'à sa mort, le Bouddha dit à ceux qui l'entouraient “tenez-vous bien aux trois règles principales”, mais que personne ne savait auxquelles il faisait allusion. Je pense pour ma part qu'il était pourtant bien facile de deviner quelles elles sont: s'abstenir de tuer, s'abstenir de voler et s'abstenir de mentir.
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
Dumè Antoni

Yudo a écrit :Je pense vraiment que cette fascination pour le Japon des Arts martiaux, lorsqu'elle débouche sur le Zen, est responsable de l'attitude méprisante, odieuse, sans humour ni bonté, incapable de sourire d'une erreur, toujours sur la brèche dès qu'il s'agit d'humilier quelqu'un d'autre, hallucinante de bêtise et d'ignominie que l'on trouve pratiquement partout dans les dojos zen français.
Dans les dojos français (je suppose de l'AZI ?) je ne sais pas. En revanche, je garde un très bon souvenir du petit livre d'Herrigel : "Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc" que je conseille souvent à des amis qui souhaitent connaître le Zen à travers un art martial. À la Falaise Verte, le kyodo (tir à l'arc traditionnel) est enseigné par T. Jyoji, puisqu'en plus d'être maître zen, ce dernier est 8ème dan de Kyodo. Jyoji parle du kyodo comme d'un "Zen debout" et son successeur, Taishi, qui a passé 11 ans en monastère à Shofuku-ji avant de revenir à la Falaise Verte, est venu au Zen par le kyodo (Jyoji fut d'abord son maître en kyodo).

Cela étant, les samouraïs utilisaient plutôt le kendo (sabre), et la relation de corps à corps qu'implique cet art martial n'existe pas dans le kyodo (puisqu'on tire sur une cible et non sur un homme ou un animal, fort heureusement :lol: ). Concernant le corps à corps, j'ai quant à moi pratiqué quelques années la boxe française quand j'étais jeune et je sais que beaucoup venaient des arts martiaux japonais, karaté notamment, parce que les karatékas ne portent pas leurs coups (contrairement à la boxe française), ce qui s'avère frustrant pour certain(e)s. Il doit donc exister, dans le combat de corps à corps, quelque chose qui relève d'une certaine violence que beaucoup ont — au début — du mal à canaliser, ce qui expliquerait peut-être les conséquence fâcheuses que tu décris. Et alors, c'est de pouvoir frapper vraiment qui délivre, paradoxalement, du besoin de frapper (sans doute aussi parce qu'on reçoit ce qu'on donne, en combat, et c'est là une excellente façon de comprendre le karma par l'expérience de la douleur).

De mon point de vue, les problèmes que tu soulèves sont propres à des personnalités frustrées qui ne savent pas (ou ne peuvent pas) canaliser leur violence, et ça devient pathologique. Un peu comme ces karatékas qui abandonnaient le karaté pour la boxe afin de pouvoir frapper. Le kyosaku est-il le moyen de déployer cette violence ?
Dumè Antoni

Oui, bien sûr. Il y a aussi le livre de Brian Victoria "le Zen en guerre" où l'on découvre que de nombreux maîtres zen réputés ont servi le régime nippon engagé du côté de l'Allemagne Nazie.
ted

Dumè Antoni a écrit :Oui, bien sûr. Il y a aussi le livre de Brian Victoria "le Zen en guerre" où l'on découvre que de nombreux maîtres zen réputés ont servi le régime nippon engagé du côté de l'Allemagne Nazie.
Ils étaient Japonais ces maitres. Ils n'ont pas servi "le régime nippon", ils ont servi leur pays. La nuance est de taille !

Si vous voulez parler de tels engagements, il y a le fil de Leidenstadt au 8 mai 1945 que j'ai lancé en ce 8 mai 2016, fête de l'armistice.
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yudo
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Dumè Antoni a écrit :Oui, bien sûr. Il y a aussi le livre de Brian Victoria "le Zen en guerre" où l'on découvre que de nombreux maîtres zen réputés ont servi le régime nippon engagé du côté de l'Allemagne Nazie.
En même temps, et malgré tout l'aspect absolument nécessaire de ce livre, il semble que Victoria ait voulu pousser le bouchon trop loin (en anglais "overkill"), et qu'il ait parfois "interprété" certains textes pour qu'ils correspondent à ses thèses.

Il y a eu une polémique entre Brad Warner et lui sur ce thème, parce que Warner avait observé que la traduction incriminante que Victoria faisait de certaines expressions était forcée et controuvée.

De plus, loin de moi aller nier la profonde sottise des militaires gouvernant le Japon à partir des années ' (je rappelle qu'à un certain moment, un premier ministre et deux autres ministres ont été assassinés dans l'espoir de porter le général Mazaki au pouvoir (celui-là même dont Deshimaru écrivait qu'il avait dû choisir entre le Zen et son amitié pour lui); mais comme le faisait remarquer Nishijima, en réponse à une question, s'opposer au gouvernement dans le Japon de cette époque, ce n'était pas seulement se mettre en danger, mais mettre en danger toute sa famille, considérée comme co-responsable.

De plus, les bouddhistes japonais ayant été l'objet d'une persécution assez furieuse, après la révolution de Meiji, ils se sentaient obligés de montrer leur patriotisme. Je ne crois pas, à cet égard, que les soldats français, sous notre Grand Dictateur Militaire, aient véritablement eu conscience de participer à un truc totalitaire, en négation absolue avec la Révolution Française.
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
Dumè Antoni

Ted a écrit :Ils étaient Japonais ces maitres. Ils n'ont pas servi "le régime nippon", ils ont servi leur pays. La nuance est de taille !
En fait, ma remarque était une sorte de boutade en réponse aux indications de Wiki relatives aux engagements d'Herrigel dans le parti nazi, comme si ça retirait quelque chose au contenu de l'expérience décrite dans le roman. Les maîtres zen, et parmi les plus grands, ont servi la cause de l'Allemagne nazie, et le fait qu'ils l'aient d'abord fait pour le Japon — ou plutôt pour l'Empereur — ne retire rien au fait qu'ils étaient engagés comme Herrigel l'était probablement aussi. Et sans doute aussi comme en Allemagne, il y a eu des résistants, et au Japon parmi ceux-ci des moines zen, des moines résistants qui ont non seulement été bannis des monastères où ils officiaient, mais sont passés par la case prison, quand ils n'ont pas été simplement assassinés. Ça n'est que bien plus tard, après la capitulation de l'Allemagne nazie et du Japon, que ces moines ont été réintroduits "à titre posthume" dans le clergé nippon.

Est-ce que le Zen est ressorti sali des engagements de ses maîtres ? Non. Le "zeniste" n'est pas le Zen. Si je devais confondre Zen et zeniste, je cesserais de pratiquer le Zen. Dans le livre de Victoria, il y a un moment un passage où un officier a le kensho pendant qu'il est en train de pisser, avec probablement plus de sang sur la conscience (ou sur les mains) qu'il y en a dans tous les abattoirs de nos villes. Voilà ce qu'est le Zen et voilà ce que sont les zenistes. Mais je ne juge pas le Zen à travers eux. Je ne les juge pas non plus. Je suis nul en comptabilité karmique. Seule la Compassion me guide.
Si vous voulez parler de tels engagements, il y a le fil de Leidenstadt au 8 mai 1945 que j'ai lancé en ce 8 mai 2016, fête de l'armistice.
Non merci. Je sais très bien que nous y étions. A la fois comme bourreaux et comme victimes.
Yudo a écrit :comme le faisait remarquer Nishijima, en réponse à une question, s'opposer au gouvernement dans le Japon de cette époque, ce n'était pas seulement se mettre en danger, mais mettre en danger toute sa famille, considérée comme co-responsable.
Très certainement. Et ce fut sans doute le cas aussi dans l'Allemagne nazie où certains soldats et officiers ont subi par la contrainte. C'est pourquoi je ne juge pas.
ted

Dumè Antoni a écrit :Je suis nul en comptabilité karmique. Seule la Compassion me guide.
Je sais Dumè... C'est d'ailleurs ce qu'on ressent à la lecture de ton livre Le sarcophage des Dieux qu'on peut trouver à la fnac, ou ailleurs.
Même si c'est une oeuvre de fiction, je recommande sa lecture à tous les membres. jap_8
Pour mieux nous aider à comprendre qui est Dumè Antoni...
Tu as beaucoup de sensibilité, comme tous les écrivains.
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Dumè Antoni

Je ne sais pas si cette pub est judicieuse ici, mais merci quand même. jap_8
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yudo
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Tout ça nous éloigne de mon propos initial (le second effet Sylvie, je suppose).

Pour moi, le livre de Victoria était tombé à pic par rapport à cette fascination pour les samouraïs que l'on trouve à tous les coins de dojos, avec leurs adjudants de service (souvent des adjudantes, d'ailleurs). Mais malheureusement, non seulement il a vite été balayé du revers de la main, car l'essentiel du Zen français traite, je pense, non pas de la libération, mais de l'autoritarisme. Même si cela peut sembler bizarre comme formulation, j'insiste depuis plus de 40 ans sur l'autoritarisme versus l'autorité, parce que la véritable autorité n'est pas, n'est jamais un problème. Mais que, paradoxalement, l'autoritarisme en est la négation absolue.

De plus, comme je l'ai déjà dit, certaines outrances de Victoria ont un peu décrédibilisé le reste, car à mettre dans le même sac Yasutani qui était un authentique hystérique fascisant et Kôdô Sawaki, c'est fatalement se donner un coup de bêche sur les pieds.
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
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