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Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 01 décembre 2017, 19:13
par Zopa2
tirru... a écrit :
29 novembre 2017, 23:29
« (...) »
Marc-Aurèle, Pensées à soi-même, III, 2
Merci pour vos belles contributions, Bonne nuit.
Merci à toi Tirru pour ce joli passage des Pensées. Je vais sans doute encore faire un hors sujet, même si des liens sont possibles avec ce fil. Au fond, les êtres sont fragiles. L'humanité dans son ensemble est fragile. Le vivre ensemble est fragile.

S'il est permis de continuer avec l'empereur romain, l'étude de ses Pensées laisse entrevoir une attitude éminemment stoïcienne (Epictète, II, 11, 1) :

" Le point de départ de la philosophie, c'est la conscience que nous avons de notre faiblesse et de notre incapacité, dans le domaine de ce qui est plus nécessaire. "


Pour l'empereur, dans ce monde sans pitié de l'aristocratie romaine, la valeur ultime est la pureté de l'intention morale.


Dans un environnement sans tendresse, sans affection, sans chaleur des sentiments ni authenticité des simples relations humaines, on peut comprendre la valeur d'une telle intention pour espérer transformer le monde.

Mais en même temps, il reconnait la difficulté de parvenir à une telle intention.
Tout d'abord il reconnait qu'il n'est pas parvenu vraiment jusqu'ici a vivre en philosophe (VIII,1), que son âme n'est pas encore dans les dispositions de paix et d'amour dans lesquelles elle devrait être (X,1). Bien plus, il décèle en lui-même une disposition à commettre des fautes (I, 17,2 et XI, 18, 7), et s'il ne commet pas telle ou telle faute, c'est seulement par lâcheté, par peur du qu'en-dira-t-on, mais au fond il n'est pas différent de ceux qu'il critique (XI, 18, 7). Il admet aussi qu'il peut se tromper ; il accepte que l'on corrige son erreur (VI, 21 et VIII, 16). Il sait qu'il risque de voir des fautes là où il n'y en a pas (IX,38 et XII,16). Enfin, il accepte volontiers d'être aidé, comme le soldat boiteux incapable d'escalader une muraille...(VIII, 7 et VII, 5).

Tant que les hommes, quelles que soient leurs croyances, ne feront pas cette prise de conscience de leur faiblesse fondamentale et ne considéreront pas la pureté de l'intention morale comme valeur ultime, les conflits perdureront.

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 01 décembre 2017, 23:02
par tirru...
Bonsoir Zopa,

Quelle belle synthèse et selon un angle surprenant ! Magnifique vraiment, car perso j'adore ses pensées, lui qui a créé la première république faite de philosophes. Pour mieux saisir le personnage, il est utile de s'intéresser à son mentor spirituel et philosophique, l'affranchi Épictète et notamment par l’intermédiaire de son manuel intitulée « Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous » :
Épictète a écrit :« Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, désir, aversion, en un mot, tout ce qui a affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n'est pas notre affaire à nous. »

« Les choses qui dépendent de nous sont par nature libres, sans empêchement, sans entraves. Les choses qui ne dépendent pas de nous sont dans un état d'impuissance, de servitude, d'empêchement, et nous sont étrangères. Souviens-toi donc que, si tu crois que les choses qui sont par nature dans un état de servitude sont libres et que les choses qui te sont étrangères sont à toi, tu te heurteras à des obstacles dans ton action, tu seras dans la tristesse et l'inquiétude, et tu feras des reproches aux dieux et aux hommes. Si au contraire tu penses que seul ce qui est à toi est à toi, que ce qui t'est étranger – comme c'est le cas – t'est étranger, personne ne pourra plus exercer une contrainte sur toi, personne ne pourra te forcer, tu ne feras plus une seule chose contre ta volonté, personne ne pourra te nuire, tu n'auras plus d'ennemi, car tu ne subiras plus de dommage qui pourrait te nuire. »
Ou encore :
Épictète a écrit :C'est le fait d'un homme non formé que d'accuser les autres des malheurs dont il est lui-même l'auteur ; celui qui a commencé à se former s'accuse lui-même ; celui qui a achevé de se former n'accuse ni un autre ni lui-même.
Zopa2 a écrit :
01 décembre 2017, 19:13
Tant que les hommes, quelles que soient leurs croyances, ne feront pas cette prise de conscience de leur faiblesse fondamentale et ne considéreront pas la pureté de l'intention morale comme valeur ultime, les conflits perdureront.
Je partage mot à mot ce point de vue et me réjouis de le lire jap_8

jap_8 white lotus

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 01 décembre 2017, 23:39
par axiste
Cette citation me semble vraiment très juste. jap_8
Cela rejoint le dhamma.
Je me dis aussi:
Si l'intention morale est bénéfique, favorisée par l'environnement, alors la paix est là.
Si l'environnement n'est pas porteur, c'est à chacun de cheminer en ce sens, en lui même.

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 00:01
par ted
Zopa2 a écrit :
01 décembre 2017, 19:13
Tant que les hommes, quelles que soient leurs croyances, ne feront pas cette prise de conscience de leur faiblesse fondamentale et ne considéreront pas la pureté de l'intention morale comme valeur ultime, les conflits perdureront.
Faudrait quand même définir ce qu'on appelle "la pureté de l'intention morale". :roll:

Si c'est une qualité qui est définie par un petit nombre, on risque de sombrer dans une dictature religieuse.

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 09:10
par axiste
Le mot pureté me semble aussi étrange, sachant qu'en chacun de nous co-existent des forces qui nous dépassent parfois, on serait malhabiles alors au nom d'une quête de pureté de renier une partie de ce qui nous constitue, ceci ne résoudrait rien et risquerait de s'ériger en système totalitaire.
La seule façon de relier ces forces antagonistes en nous est un regard réflexif sur nos actes. Par rapport à nous mêmes et à autrui, mais aussi par rapport à ce qui nous fait vivre (les éléments), et surtout sachant qu'à chaque fois "l'enfer est pavé de bonnes intentions", dit en d'autres termes "que l'ignorance est en nous" nous devrions extirper la culpabilité et accepter de chuter. Ceci ne sera plus une chute, mais un tremplin.
D'autre part je crois qu'il existe des systèmes qui favorisent cette liberté là en nous mêmes et d'autres qui l'aliène.
Un recul parfois est alors nécessaire pour ne pas s'identifier au système.

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 10:12
par tirru...
Bonjour,

En sachant que le terme visuddhi qui désigne la pureté en langue pāli revient souvent dans le canon pāli et qu’il est même dans le titre dans l’un des principaux livres de commentaires du bouddhisme theravada : le visuddhi manga, le chemin de la pureté. Ça vaudrait la peine de s’interresser de plus près à ce terme.

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 10:23
par Philippe
flower_mid

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 12:08
par axiste
Finalement le mot pureté pour moi est flou parce qu'il porte mille habits, ceux de l'histoire, de la religion, il est emprunt de notions qualitatives, il se perd dans ses "couches de vêtements superposés"...
Ça vaudrait la peine de s’interresser de plus près à ce terme.
J'ai pris note, je vais relire alors les références

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 13:22
par Zopa2
ted a écrit :
02 décembre 2017, 00:01
Zopa2 a écrit :
01 décembre 2017, 19:13
Tant que les hommes, quelles que soient leurs croyances, ne feront pas cette prise de conscience de leur faiblesse fondamentale et ne considéreront pas la pureté de l'intention morale comme valeur ultime, les conflits perdureront.
Faudrait quand même définir ce qu'on appelle "la pureté de l'intention morale". :roll:

Si c'est une qualité qui est définie par un petit nombre, on risque de sombrer dans une dictature religieuse.

Dans le film Le Cercle des poètes disparus, Robin William, le professeur de littérature, pour faire comprendre à ses élèves la valeur de la vie, leur fait regarder avec attention une photo d'un groupe d'anciens du collège, afin qu'en prenant conscience du fait que tous ces garçons apparemment si vivants sont morts, ils découvrent ce que la vie a de précieux. Carpe diem, cueille l'aujourd'hui ! Pour Marc Aurèle, la seule valeur n'est pas la vie tout court, mais la vie morale. Dans l'immensité de l'univers, dans l'infini du temps et de l'espace, l'homme n'est qu'un point minuscule, mais ce tout petit point, ce point tellement petit qu'à partir d'une certaine distance, il devient invisible, a néanmoins la capacité de faire le bien.

Nous retrouvons le principe fondamental : la valeur absolue pour un stoïcien, c'est l'intention morale. Elle seule dépend entièrement de nous. Ce qui compte, ce n'est pas le résultat, qui ne dépend pas de nous, ce qui compte, c'est l'intention que l'on a en cherchant à atteindre ce résultat. Si notre activité est animée par l'intention parfaitement pure de ne vouloir que le bien, elle atteint à chaque instant sa fin, elle est tout entière présente dans le présent, elle n'a pas besoin d'attendre du futur son achèvement et son résultat.

Pour que cette intention morale soit pure, il doit être libre.

Elle doit viser le bien d'autrui sans demander quelque chose en retour, même si comme le reconnait Marc Aurèle, " J'ai fait quelque chose au service de la communauté humaine. Donc, j'ai été utile à moi-même." (XI, 4) ou encore " Ne te lasse pas d'être utile à toi, même en étant utile aux autres. "(VII,74).

Mais Marc Aurèle va plus loin encore dans l'exigence de pureté, lorsque pour fonder le désintéressement de l'action bonne, il introduit la notion de fonction naturelle. Chaque espèce a un instinct inné qui lui est donné par la nature et qui le pousse à agir selon sa structure, selon sa constitution : la vigne à produire les raisins, le cheval à courir, l'abeille à faire le miel. L'espèce agit donc selon sa nature. Ce qui, dans l'espèce humaine, correspond à l'instinct, c'est l'impulsion à agir, l'intention, la volonté d'agir selon ce qui définit la constitution de l'homme : la raison. Pour un stoïcien, agir selon la raison, c'est préférer l'intérêt commun, l'intérêt de l'humanité à son propre intérêt. Agir selon la raison, c'est faire le bien et le faire naturellement.

Et parce que bien faire, c'est agir naturellement, l'action bonne doit être accomplie spontanément, purement et presque inconsciemment. " Il est semblable à la vigne qui porte le raisin et ne cherche rien de plus, une fois qu'elle a donné son fruit... Ainsi l'homme qui fait le bien ne le sait pas, mais il passe à une autre action, comme la vigne qui donnera à nouveau son raisin quand la saison viendra... Il faut donc être de ceux qui en quelque sorte font le bien inconsciemment."(V, 6,3).


Les réflexions de Marc Aurèle vont dans ce sens : la véritable action bonne doit être spontanée et irréfléchie. Elle doit venir sans effort, de l'être même. Il critique la conscience de bien faire car, selon lui, la conscience trouble la pureté de l'acte ; être conscient de faire le bien, c'est à la fois se composer artificiellement une attitude, se complaire dans cette affectation et ne pas se consacrer de toute son énergie à l'action elle-même. Dans cette critique de la conscience de bien faire, il y a une idée très profonde : la bonté ne peut être que générosité totale, sans retour sur elle-même, sans complaisance en elle-même, tout entière tournée vers les autres. Elle est parfaitement désintéressée, parfaitement libre intérieurement, sans être attachée à ce qu'elle accomplit.


Tout ceci nous donnera peut-idée une idée de ce que les stoïciens comprenaient, lorsqu'ils évoquaient la " pureté de l'intention morale".

Re: Pensée pour moi-même - Marc Aurèle

Publié : 02 décembre 2017, 14:58
par ted
Zopa2 a écrit :
02 décembre 2017, 13:22

Et parce que bien faire, c'est agir naturellement, l'action bonne doit être accomplie spontanément, purement et presque inconsciemment. " Il est semblable à la vigne qui porte le raisin et ne cherche rien de plus, une fois qu'elle a donné son fruit... Ainsi l'homme qui fait le bien ne le sait pas, mais il passe à une autre action, comme la vigne qui donnera à nouveau son raisin quand la saison viendra... Il faut donc être de ceux qui en quelque sorte font le bien inconsciemment."(V, 6,3).
Ah je préfère ça ! :D
Du coup, c'est plus proche de prajna, de l'action "juste", que de la conviction de bienveillance qui peut être trompeuse bien qu'étant un passage obligé pour progresser sur la Voie.

Et cet homme était empereur ? Que de sagesse !

Qu'a-t-il fait de sa vie au fait ? A t'il massacré des gens avant ou après avoir tenus de tels propos ? J'ai la flemme de chercher. :D