Peter Fenner : la libération naturelle

longchen2

Je dois reconnaître que son discours ne tranche pas réellement avec ce que d'autres enseignants disent (ce n'est pas une critique je le précise).
FleurDeLotus
ted

longchen2 a écrit :Je dois reconnaître que son discours ne tranche pas réellement avec ce que d'autres enseignants disent (ce n'est pas une critique je le précise).
FleurDeLotus
A la limite, c'est plutôt rassurant. Mais d'après ce que j'ai compris, son truc, c'est de réussir à faire passer le message. La transmission, quoi...
tongra

Effectivement, il n'est pas question de réinventer la roue. Par contre, il y a une reformulation qui est évidente et souvent parlante, et surtout une pédagogie d'ouverture vers l'ineffable qui est étonnante.

Ted tu verras (liras), le livre est paradoxalement très "méthodique", c'est une sorte de préliminaire bien que la visée soit uniquement de vivre l'inconditionné. Mais bien sûr un livre ne reste qu'un livre ...

car la transmission, comme il la désigne, est sans contenu.
Avatar de l’utilisateur
jules
Messages : 3228
Inscription : 15 février 2009, 19:14

Tongra :
car la transmission, comme il la désigne, est sans contenu.
jap_8
Jean

A la lecture du fil, on pourrait dire qu'un bon enseignant ne transmet pas, ne renforce pas chez ses étudiants un esprit de chapelle : "Hors moi ou hors ma tradition, point de salut!"

Cela peut être un critère de choix pour choisir un enseignant.
Avatar de l’utilisateur
Boubou
Messages : 103
Inscription : 15 juillet 2012, 08:36

Interview de Peter Fenner par Georges-Emmanuel Hourant, le 13 avril 2002


Georges-Emmanuel Hourant (G.E.H)
L’un des thèmes récurrents dans votre enseignement est le sentiment, si souvent présent en nous, qu’il nous manque quelque chose. Il nous manque quelque chose pour être heureux, ou pour être éveillé… La manière la plus simple de procéder est d’observer ce qui se passe en cet instant. Manque-t-il quelque chose ou non ?
Je pourrais vous faire une suggestion : ce qui manque en ce moment, c’est une interview…

Peter
Qu’en pensez-vous ? Y a-t-il quelque chose que nous ayons besoin de faire en ce moment ?

G.E.H
D’un côté non, il ne manque rien. D’un autre point de vue, je suis venu pour faire une interview !

Peter
Voilà, ce qui semble manquer c’est une interview. Si nous ressentons que quelque chose a besoin d’être fait, alors cela met en évidence le fait que quelque chose semble manquer.

G.E.H
Je ne suis pas sûr de comprendre…

Peter
Aussitôt que nous disons « je ne comprends pas », alors cela présume qu’il y a quelque chose à comprendre. C’est un exemple de la manière dont nous créons l’expérience que quelque chose manque. Nous supposons que nous avons besoin de savoir ce qui est en train de se passer, et si nous n’en avons pas une interprétation, nous nous sentons mal à l’aise, nous souffrons. Le bouddhisme offre la possibilité de ne pas avoir besoin de savoir ce qui est en train de se passer, et de ne pas en souffrir… (Silence). Vous voyez, dès que vous posez une question, vous pouvez reconnaître le processus de création de quelque chose qui manque parce que vous dépendez d’une réponse. Ce que nous faisons maintenant, c’est juste observer ce mécanisme : comment nous créons l’expérience de quelque chose qui manque.

G.E.H
A un moment, je me suis senti inintelligent et c’est alors que j’ai dit :"je ne comprends pas" !

Peter
Ce que je dis, c’est qu’il est tout à fait possible que nous ne sachions pas ce qui est en train de se passer. Il est même possible qu’il n’y ait rien à comprendre.

G.E.H
Notre désir d’éveil, ou de réalisation spirituelle, provient-il de ce manque, du constat qu’il manque quelque chose ?

Peter
L’éveil est ce que nous projetons lorsque nous sommes présents à l’expérience que quelque chose manque et quand nous créons dans notre mental, ou notre imagination, tout ce qui pourrait déplacer ou supprimer l’expérience que quelque chose manque. Si nous ne sommes pas présents à cette expérience, alors l’éveil n’a pas de sens, ce n’est pas une idée importante.

G.E.H
Il arrive que nous vivions l’expérience que rien ne manque. Que se passe-t-il alors ? Il me semble que la plupart d’entre nous demandons quelles sont les conditions qui ont créé cette expérience et puis nous cherchons à les retrouver ?

Peter
Oui, mais ce que le bouddhisme ou d’autres traditions nomment l’éveil, ou la libération, ce n’est pas l’expérience que rien ne manque.

G.E.H : Peut-on définir l’éveil, peut-on en dire quelque chose ?

Peter : (Silence). Non, je ne peux pas.

G.E.H : Peut-on dire alors ce qu’est le non-éveil, la non-libération ?

Peter
Eh bien, vous pouvez dire ce que c’est, mais cela ne veut pas dire que c’est vrai.

G.E.H
Cela signifie-t-il que c’est une expérience subjective, ou créée par notre propre esprit ?

Peter
L’assertion que nous devrions considérer est celle qui se trouve dans le Soutra du Cœur et qui est reprise dans les écritures du zen : « Il n’y a ni libération ni non-libération ». Cette assertion ne me donne rien à penser ou plutôt, lorsque je la considère je ne sais pas comment penser à propos de la libération ou de l’éveil. Je pense que c’est l’intention de cette assertion. Elle ne nous donne aucun espace pour générer une interprétation au sujet de la libération. Peut-être est-ce cela, la libération : être libéré de toute préoccupation au sujet de savoir ce qu’est la libération, ou de savoir si nous sommes libérés ou pas. En même temps, beaucoup de gens ne semblent pas du tout préoccupés par cette question, peut-être simplement parce qu’il sont pris par leurs activités quotidiennes. Pourtant, ils continuent à souffrir !
Je pense que tout le monde ressent de l’inquiétude par rapport à cette question, mais chacun a une construction ou une interprétation différente de ce qu’est l’état de libération ou de bonheur. Pour les uns, cela sera d’atteindre un certain niveau de vie, pour d’autres, de vivre un grand amour. On peut avoir une compréhension spirituelle de la libération, on peut aussi bien en avoir une compréhension matérielle ou émotionnelle. Dans tous les cas, on continue de fonctionner dans une structure dualiste qui oppose libération et asservissement.

G.E.H : Voulez-vous dire que tout cela revient au même ?

Peter
Non, parce que si nous disons que tout est la même chose, cela nous donne toujours quelque chose à penser. La fonction d’assertion comme celle que je citais dans le Soutra du Cœur, ou des koans dans le bouddhisme zen, c’est de nous amener au-delà de nos interprétations à propos de ce qui est en train de se passer ; de nous permettre d’être juste présent à ce qui est, sans avoir besoin de savoir ce que c’est.

G.E.H
Alors, si je rentre dans le processus de l’interprétation, devrai-je m’interroger sur le fait que je suis en train d’interpréter, ou le besoin que j’en ai ?

Peter
Je dirai qu’à nouveau vous êtes en train de créer quelque chose à faire. L’autre option, c’est : en cet instant, il n’y a rien que nous ayons besoin de faire, nous n’avons pas besoin de réponse à votre question. Vous posez une question, une question apparaît et c’est tout. Nous pouvons alors être libres du besoin d’une réponse à la question ; il peut y avoir ou ne pas y avoir de réponse, cela ne fait aucune différence.

G.E.H
Pourtant vous avez pendant de nombreuses années suivi les enseignements de maîtres bouddhistes et pratiqué auprès d’eux. Pourquoi ?

Peter
Parce que je pensais que quelque chose manquait. Par définition, si je sens que quelque chose manque alors je m’oblige à trouver quelque chose qui, dans ma croyance, éliminera, dissoudra l’expérience que quelque chose manque.

G.E.H
Pensez-vous que vos années de pratique ont aidé à parvenir à ce point ?

Peter : Je ne peux pas imaginer être ici sans avoir fait ce que j’ai fait.

G.E.H : Alors, qu’est-ce qui vous a amené à créer votre propre approche ?

Peter
Je ne pense pas avoir créé ma propre approche. Au départ, disons il y a vingt ans, ma pratique était définie par l’idée que si je faisais telle ou telle chose, si je méditais, si je cultivais une certaine attitude, alors j’atteindrai la libération, l’éveil, quelque part dans le futur, dans de nombreuses vies futures. Puis, au fil des années qui ont passé, j’ai accordé de plus en plus d’attention à la qualité de ce qui se passait dans l’instant, en développant une appréciation plus fine de ce qui contribue à l’intensité de souffrance, ou bien de liberté, que je vis à chaque moment. Ce que je dis maintenant est le produit de ce que je vis, et non la répétition d’une interprétation que l’on m’a enseignée ou que j’ai lue dans les textes.

G.E.H
Néanmoins vous enseignez dans vos livres, ou encore à l’université, ce que sont les différentes traditions du bouddhisme.

Peter
Oui, mais je tente de montrer que toute tentative de résoudre intellectuellement les paradoxes du cheminement spirituel est très fragile. En même temps, il est très facile de tirer un confort intellectuel de n’importe quel système de croyances.

G.E.H : Faudrait-il se priver de tout confort intellectuel ?

Peter
Non, je dis seulement que le confort intellectuel peut se révéler très décevant. C’est ce qui s’est passé pour moi. Pendant un temps, j’ai été extrêmement sûr de la cohérence du bouddhisme et, d’une certaine manière, de son exposition systématique. Et puis la vie a évolué de telle façon que se sont présentés des défis auxquels je n’ai pu faire face avec ma seule compréhension intellectuelle du bouddhisme. J’ai su que cette compréhension était fragile et que j’avais besoin d’autre chose.

G.E.H : A quelles sortes de défis faites vous allusion ?

Peter
(Silence). La manière dont je m’étais impliqué dans le bouddhisme m’avait donné une grande sécurité. A un moment donné pourtant, sur mon chemin, j’ai dû reconnaître que je ne savais plus comment procéder. J’ai dû me confronter, à un niveau très fondamental, à l’ignorance de qui j’étais et de comment vivre ma vie. Il m’a fallu accepter de ne plus pouvoir seulement suivre une prescription et me montrer disposé à faire un pas en avant sans connaître les conséquences de ce que je faisais. A entrer dans l’inconnu, en quelque sorte.

G.E.H
Qu’est-ce qui a fait que vous avez perdu votre confiance, ou du moins qu’elle n’était plus suffisante pour répondre aux défis de la vie ?

Peter
Dans une perspective bouddhiste, vous diriez que des karmas sont arrivés à maturation et qu’il fallait que je reconnaisse que je ne savais plus qui j’étais. Je me retrouvais à vivre des énergies, des émotions, des attractions, des aversions que je n’avais jamais vécues auparavant, des peurs que je ne connaissais pas. Il m’a fallu reconnaître que j’étais soudain confronté à des aspects, des dimensions de moi-même, dont je n’avais pas conscience. Et je n’étais pas en mesure de contrôler ce qui se passait en ayant recours aux pratiques spirituelles auxquelles j’avais été formé. Par exemple, je méditais pour tenter de diluer l’intensité des émotions et cela n’avait pas grand effet. Cela m’a fait remettre en question l’efficacité, la valeur même, de ces pratiques. Et je me suis dit : peut-être, dois-je considérer une autre manière de travailler ou d’être présent aux peurs, aux désirs qui surgissent. Alors, à un certain point, il est devenu apparent que la seule chose à faire était de vivre ce qui était en train de se passer. Il n’y avait pas d’autre choix. Je ne pouvais rien faire, sauf vivre les sensations, les émotions, dans lesquelles j’étais immergé. Elles étaient là pour être vécues et je tentais de les fuir, de les supprimer, de les diluer, de les éviter. Il n’y avait aucune pratique nécessaire pour les vivre. Il ne fallait pas que je fasse une pratique. C’est comme si les sensations, les émotions, étaient là simplement pour me dire : "vis moi !" Le message contenu dans ces intenses émotions, peurs, attractions, aversions, était juste de les vivre. Alors cela a débouché, je crois, sur une relation différente à mon vécu, et sur un autre type de cheminement spirituel, plus proche de traditions comme le Dzogchen ou le Mahamudra.

G.E.H : Que proposez-vous aujourd’hui à ceux qui suivent votre enseignement ?

Peter
L’attention est toujours portée sur ce qui se passe ici et maintenant. Une grande partie de mes enseignements consiste à fournir un modèle pour ne pas avoir besoin de savoir, ni avoir besoin de faire quelque chose. J’offre aux gens un exemple de ne pas avoir besoin de savoir en ne proposant pas même une interprétation simple de ce qui est train de se passer.

G.E.H
Au début de notre entretien, je me suis senti comme coincé entre le sentiment de n’avoir besoin de rien, là, dans l’instant et le fait d’être venu pour vous interroger… Ce qui signifiait manifester un besoin de savoir, de comprendre.

Peter
D’accord ! Alors, il fallait que nous fassions l’interview pour arriver à ce point où il n’y a rien que vous ayez besoin de faire. Quand les gens viennent à mes cours, la même chose se produit. Il pensent qu’ils ont besoin de comprendre ou de faire quelque chose et doucement, doucement, ce besoin se dissout. En fait, rien ne se produit et ils réalisent que rien n’a besoin de se produire. Et alors ils deviennent à l’aise avec ce « rien n’arrive ». Mais attention, quand je dis « rien n’arrive », ou « rien n’est en train de se passer », je sens qu’il est très facile de mal interpréter, de même qu'il est très facile de mal interpréter le Dzogchen. Alors je veux dire ceci : l’expérience que ce qui est en train de se passer est « rien », qui n’est pas une chose. Ce n’est pas que les choses se passent seulement de manière ordinaire ou quotidienne. Les gens sont plutôt présents à une conscience structurée, une conscience pure qui est que l’expérience où « rien ne se passe » est ce qui se passe, en même temps que nous pensons ce que nous pensons, que nous ressentons ce que nous ressentons, en même temps rien ne se produit.
ted

Dire "qu'il ne manque rien", n'est ce pas quand même laisser croire que l'état naturel, la conscience inconditionnée, c'est l'éveil ? :oops:
tongra

Celui qui apprend à s'observer sait immédiatement lorsqu'il rentre dans un schéma ou une croyance ou se projette hors de la réalité du moment (et même ça, ce n'est pas un problème).
Ici, "rien ne manque" ne fait pas l'objet d'une spéculation sur ce thème mais c'est un véritable ressenti et, sur l'instant, peu importe ce que va devenir ce ressenti ou l'étiquette qu'on va lui coller.

Donc si on n'entre pas dans le jeu, quasi automatique voire même maladif, du "vouloir savoir" ce que c'est (ce qui n'empêche pas de se poser la question et de voir d'où elle provient) on va constater que l'on n'a vraiment pas besoin de références mentales pour évoluer dans cet espace, et que paix et clarté sont là.

Après, les noms et ce qu'on imagine qu'ils désignent ... :D
longchen2

tongra a écrit :(...)
Après, les noms et ce qu'on imagine qu'ils désignent ... :D
Côté terminologie dans le bouddhisme justement, les noms, cela ne manque pas !
ted

tongra a écrit :Ici, "rien ne manque" ne fait pas l'objet d'une spéculation sur ce thème mais c'est un véritable ressenti et, sur l'instant, peu importe ce que va devenir ce ressenti ou l'étiquette qu'on va lui coller.

Donc si on n'entre pas dans le jeu, quasi automatique voire même maladif, du "vouloir savoir" ce que c'est (ce qui n'empêche pas de se poser la question et de voir d'où elle provient) on va constater que l'on n'a vraiment pas besoin de références mentales pour évoluer dans cet espace, et que paix et clarté sont là.
Dans le Zen aussi, j'ai entendu parler d'états paisibles où on a besoin de rien. Ou rien ne manque. Ou "qu'importe" ce qui va arriver etc... On appelle ça des vacuités d'altérité et on peut y rester piégé pendant des kalpas, à ce qu'il parait.

Donc oui, l'état naturel est déjà là, ok... Ce n'est pas un état, ok... c'est notre conscience inconditionnée, ok...

Mais qu'est ce que les bouddhistes recherchent ? l'éveil. Et si un gars dans l'état naturel, c'est juste un mec cool qui ne s'en fait plus, est-ce que ça correspond à l'éveil qui est : la fin des renaissances ? la fin définitive de toute souffrance ? la fin des purulences ? la remémoration de toutes les vies antérieures ? et un nombre assez appréciable de siddhis qui apparaissent même si on ne les utilise que pour le bien de tous les êtres ?

Si on me dit que la conscience inconditionnée permet d'arriver à tout ça, pas de problème.
Si on me dit que vouloir arriver à quelque chose, empêche à la conscience inconditionnée de se manifester, pas de problème non plus.
Mais est-ce qu'il faut oublier notre but, même si on oublie notre but ?
Répondre