Tu m' as répondu en trois points. Je vais faire de même.
1/ Lorsque je parlais du Nirvana comme d'une croyance, peut-être eut-il fallut que je propose d'abord une définition de la foi. Définir avant de discuter est toujours profitable.
Permets un détour chez les chrétiens. Pour ces derniers, la foi est une croyance, mais sans preuves, en l'existence d'un Etre surnaturel. Plus précisément, leurs objets de foi vont être :
- un Dieu d' Amour, omniscient et tout puissant, créateur du ciel et de la terre
- la conception immaculée de la Vierge Marie
- Jesus christ, Fils Unique de Dieu et Dieu lui-même
- la résurrection de ce même Jesus
- une âme immatérielle et immortelle
- la résurrection de la chair,
- la vie éternelle
-le Paradis, l'Enfer et le purgatoire
Etc...car il y en a pas mal....
Je prétends que les bouddhiste ont eux-aussi leurs objets de foi qui sont bien sûr différents de ceux des chrétiens.
Ils vont croire par exemple en :
- un principe conscient immatériel et immortel (même en étant lui-même un non-soi) pour lequel la mort n'est qu'un passage.
- la renaissance de ce principe conscient dans des vases successifs
- la théorie du karma selon laquelle on récolte ce qu'on a semé d'une vie à l'autre
- les six royaumes du samsara (ou la classification en trois mondes si l'on préfère : Désir, Forme et Sans-forme)
- la paix du nirvana
- l'Eveil insurpassable, dont la possibilité de devenir omniscient, avec dans le Mahayana, la théorie des trois Corps (Kayas)
Etc...
Reprenons notre définition de la foi : Avoir la foi consiste à croire en la vérité d'une proposition, d'autant plus qu'elle est peu évidente et qu'on en a moins de preuves.
Si la proposition est évidente (si elle est perçue directement par nos facultés sensorielles ou encore si elle est la conclusion certaine d'une logique sans faille), il n'est plus nécessaire d'y croire. On sait désormais (au lieu d'y croire).
De même, si l'on dispose de preuve irréfutable (et là, je ne parle pas de l'expérience vécue par un autre qui rapporterait ensuite son témoignage personnel car pour moi l'expérience supposée d'autrui n'a pas valeur de preuve universelle) ce n'est plus une croyance, mais un fait.
Cette définition étant posée, je suis surpris de lire, sous la plume de certains pratiquants bouddhistes, que la foi n'est pas nécessaire dans le bouddhisme. Le Bouddha lui-même, parla de la foi ; par exemple sans aller chercher bien loin, dans l'extrait du Sutra que tu as cité ci-avant. C'est parce qu'il devait être conscient que ce qu'il avait à transmettre, et qui était le fruit de sa propre expérience, ne pouvait être intégralement et immédiatement accepté par l'ensemble de ses auditeurs, que le Bouddha en parla, même s'il affirma aussi que c'était à chacun d'expérimenter la vérité de ses propos.
Or, en ce qui me concerne je n'ai pas encore fait l'expérience du Nirvana (pour ne parler que de cela, puisque c'était l'objet de notre échange). Et je ne pense pas être le seul dans ce cas....y compris sur ce forum ...
L'expérience est la reine des savoirs. Qui n'expérimente pas n'est jamais sûr de savoir. Il peut en être intimement persuadé, comment en serait-il assuré, sinon par la vérification expérimentale ?
Ceci étant dit, il est vrai qu'on trouve dans le corpus des traités bouddhiques des tentatives argumentées pour essayer de démontrer - par la logique et le raisonnement - l'existence de telle ou telle proposition faite par le Bouddha. La tradition bouddhique a développé tout une branche logique, notamment enseignée dans les monastères indiens, et tibétains. Mais ces raisonnements s'appuient sur des postulats souvent indémontrables. Je crois que si des arguments irréfutables existaient, alors, depuis les 2500 ans que le bouddhisme existe, ils seraient connus du plus grand nombre et acceptés facilement. Hélas ce n'est pas si simple, et l'exégèse est souvent l'art de découvrir ce que l'on a envie de trouver et ne convainc que ceux qui ont envie d'être convaincus.
Maintenant, reste à savoir si l'on doit s'en remettre de temps en temps à la foi, pour pouvoir avancer. Est-ce nécessaire ? Profitable ? Mais ça, c'est une autre question.
2/ Deuxième point. Je sais bien que la vacuité ne peut être saisie. Pourquoi ? Parce que la saisie implique le concept et que la perception directe de la vacuité est nécessairement non-conceptuelle. Je fais donc bien la différence entre une compréhension intellectuelle (donc forcement conceptuelle) de la vacuité avec une réalisation (perception directe non-conceptuelle) de la vacuité. Si j'ai dit : " En effet, comment une négation non-affirmative pourrait-elle être saisie ?" C'est parce c'est une manière de dire que ce n'est pas possible. Comprends-tu maintenant ce que j'ai voulu dire ?
D'autre part, je ne tire pas un trait sur toutes les pratiques bouddhistes en les assimilant à des pratiques nihilistes. Je dis simplement qu'il n'existe pas plus de Nirvana que de rêves d'enfants. Ce faisant, j'adopte simplement le point de vue de la réalité ultime, comme le Bouddha le faisait souvent (voir les Sutras de la perfection de la sagesse, ou le Sutra du coeur : " Ainsi Shariputra, il n'y a ni souffrance, ni origine de la souffrance, ni cessation (= ni nirvana), ni voie"). Point de vue de la réalité ultime qu'adoptent régulièrement aussi les différents intervenants de ce forum, dans leurs réponses.
3/ Quand au dernier point, tu n'as rien compris de mes propos. Pourquoi dis-tu que je confonds (ou fais exprès de confondre) l'attachement et l'insensibilité, alors que je ne parle pas de cela, ni même le sous-entends ? Où as-tu lu l'évocation de ces deux notions ? Le vide du cœur que j'évoquais n'est pas le vide d'amour, mais bien le vide d'espérance, l'absence d'espoir prôné par certains. C'est bien cette notion d'absence d'espoir que je trouvais paradoxale, problématique et contradictoire. Et c'est pour cela que j'ai tenté de donner deux illustrations de ce paradoxe.
Voilà, désolé d'avoir été un peu long, mais mon soi illusoire était d'humeur bavarde.
