La bonne mort, dans nos sociétés, c'est la mort rapide, celle qui survient quand on dort ou entre les mains d'un expert: le médecin.
On meurt seul sans pouvoir dire son angoisse de séparation, on nie même souvent ce qui se passe avec des phrases pas anodines, pour rassurer maladroitement peut-être …(ou pas d'ailleurs …quand les personnes elle mêmes sont dans l'évitement ou dans la peur de ce qui s'annonce): " tu as l'air beaucoup plus en forme aujourd'hui ", alors que la personne sait que la vie s'échappe peu à peu…quand tous ses sens partent et qu'elle le sent, même si elle le réprime aussi …
On supprime la mort elle même, l'idée de la mort, et son apparence: tout est caché…quelquefois à l'hôpital, d'une semaine à l'autre, une chambre s'est vidée: on ne sait presque jamais ce qui est arrivé. Sauf si on va discuter avec le personnel administratif ou si l'on surprend parfois une aide soignante dans les couloirs qui extériorise un trop plein de sa peine…quelquefois, subrepticement, la mort déborde dans les émotions qu'elle génère.
Quelquefois je me dis que j'en suis à plus de la moitié de ma vie peut-être, et que je n'ai jamais vu un mourant.
Le premier restera dans mon coeur et c'est un chien.
J'ai vu beaucoup de personne en fin de vie, mais le seul être pour lequel j'étais présente au moment où il quittait la vie, c'était mon chien.
La mort en elle même n'est rien: juste un souffle qui nous quitte, c'est léger, très léger.
Mais ensuite, des milliards de questions l'accompagnent.
Toute la vie, nous mourrons: à chaque idée nouvelle, nous mourrons, à chaque rencontre nouvelle, une partie de nous mêmes meurt en se transformant, la nuit nous mourrons à l'état de veille, nous mourrons tout le temps entre deux états de conscience…
C'est seulement en regardant la mort en face que nous pouvons mieux vivre: en comprenant le processus de la vie et de la mort, des cycles qui se répètent à l'infini dans chaque chose, expérience ou phénomène.
Alors la peur peut être nous pourrons surmonter quand nos sociétés apprendront à accompagner les fins de vies avec beaucoup d'attention et de respect, parce que finalement la mort est une histoire de conscience et que la façon dont on meurt révèle aussi l'état de ces consciences individuelles et collectives qui se confondent parce qu'elles sont étroitement liées.
Nous naissons seul, nous mourrons seul, mais le regard que nous portons sur la mort est aussi celui de notre société.
Pour tous ceux qui nous quittent dans la peur et dans la souffrance, souvent à l'hôpital (70% je crois des gens meurent à l'hôpital et parfois dans une grande solitude et détresse) je souhaite l'apaisement de tous et de ce regard.
Peut-être qu'un jour on vivra plus conscients, que nous maîtriserons tous nos émotions en les comprenant, que nous saurons créer l'homéostasie dans nos corps et que nous pourrons choisir davantage de vivre avec la conscience de nos corps et de ses besoins véritables. Ce sera aussi sous le regard de la société qui aura changé.
Peut-être qu'un jour nous verrons loin, que notre conscience s'éclairera et que nous nous mettrons à respecter toutes formes de vies sur la terre, parce qu'elles sont aussi notre corps le plus grand.
