La fin justifie t'elle les moyens ?

ted

Imagine t'on Jesus ou Bouddha qui feraient du mal à quelqu'un en douce, puis qui reviendraient ostensiblement en plein jour prodiguer un enseignement pour résoudre le problème qu'ils ont créé, et gagner un adepte de plus ?
Compagnon

@Ted : la raison même de la vie de Jésus selon la religion chrétienne est d'enlever le péché originel qui entache les hommes. Certes Jésus n'est pas la cause de ce péché mais sa vie et son sacrifice n'ont de raison d'être que grâce à lui. Donc le "mal" que représente le péché originel est la condition de l'existence du "bien" que représente l'enseignement de Jésus. L'un ne va pas sans l'autre. Jésus a besoin du péché originel pour exister et le péché originel n'existe qu'au regard d'une possibilité un jour de rédemption. Jésus, sa vie, son enseignement, son dépendant de l'existence du péché originel.

On peut tenir le même raisonnement pour le Bouddha. Un bouddha, l'idéal du bouddha, de l’éveillé, du nirvana et l'existence même du plus accompli des bouddhas de notre ère, le Bouddha Shakyamuni, sont dépendant du fait que l'illusion et la souffrance, le samsara existent.

Donc Jésus ne "fait" pas le péché originel mais il existe grâce à lui. Le Bouddha ne fait pas la souffrance mais il existe grâce à elle. Un prisonnier n'est plus un prisonnier si il n'y a plus de prison. Sans prison plus d'envie de s'évader. S'évader de quoi ?

De plus je pense que tu mélanges deux choses, les notions de "bien/mal" et la question sur la fin et les moyens.

Déjà "bien/mal" c'est un dualisme de notion relatives, tôt ou tard tu vas aboutir à des questionnement ou des résultat insatisfaisant si tu te bases sur un dualisme. Un "bien" n'est pas toujours et en tout lieu un "bien" et un "mal" n'est pas toujours et en tout lieu un "mal".

De plus lorsque tu parles du "fin" et de "moyens" comme des éléments distincts, cela me fait penser à ce que Thich Nhat hanh dit du samsara, de la voie et du nirvana. Il explique que nous nous représentons ses notions comme une frise chronologique ou une carte. Comme si il y avait un lieu et un moment ou nous sommes dans samsara, puis un chemin sur lequel nous nous déplaçons dans l'espace et la durée pour atteindre un autre point dans l'espace et le temps qui serait nirvana. Pour lui ce n'est pas une vision correcte. Samsara, voie et nirvana forment un tout interdépendant présent ici et maintenant à chaque instant. Il n'y a pas de séparation entre les uns et les autres. Nirvana surgit de samsara par la voie, la voie étant dans l'ensemble nirvana/samsara.

Tu comprends ce que je veux dire ?

Donc il n'y a pas d'un coté une "fin" et ensuite des "moyens", la ou les fins sont dans le ou les moyens et inversement.

Le résultat, la fin, contient les moyens employés pour y parvenir, et quand on observe en profondeur les moyens en actions ont peut deviner la fin qui est recherchée, elle est potentiellement présente dans les moyens en action avant même d'être atteinte. Tu saisis ?

Donc la voie du bouddha, en tant que libération de la souffrance, contient aussi la souffrance. Donc il y a aussi de la souffrance dans la Voie. Il y a de la souffrance dans le Dharma, il ne peut en être autrement.

Et une fois l’éveil atteint la souffrance a disparue et donc le dharma aussi, on abandonne le canot. La rivière est franchie le canot pour la franchir disparaît par le fait même.

Donc le mal que représente le péché originel dans le christianisme est aussi présent dans l'enseignement de Jésus, le mal est même présent jusque dans son sacrifice sur la croix ! Jésus n'est pas mort paisiblement, allongé sur le sol, en ayant eu largement le temps de se préparer et d'avertir son monde comme un certain Eveillé. Non, Jésus est mort dans la souffrance, après tortures et humiliations, dans l'angoisse (pendant un temps), sous les yeux de sa mère. Et il n'est reparu que 3 jours plus tard, transfiguré. Qui sait ce qu'il a enduré pendant ces 3 jours.
Qui sait ce que Siddharta eu a affronté au pied de l'arbre de la bodhi avant de triompher...
ted

Certes, le mal est présent tout au long de la vie de Jesus. Mais il ne le génère pas. Tout au plus l'attire t'il, comme un aimant.

De même, le Bouddha a des préceptes et des enseignements qui évitent de créer toute forme de souffrance. Même si la souffrance est inhérente aux états conditionnés qu'il ne peut éviter en tant que nirmanakaya.

C'est le rôle de Sila de veiller à ne pas confondre ombre et lumière. L'ombre est l'absence de lumière. La lumière n'est pas fille de l'ombre.
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Circé
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ted a écrit :Imagine t'on Jesus ou Bouddha qui feraient du mal à quelqu'un en douce, puis qui reviendraient ostensiblement en plein jour prodiguer un enseignement pour résoudre le problème qu'ils ont créé, et gagner un adepte de plus ?
Imagine-t-on Ted qui pose une question innocente pour que Compagnon réponde par un texte si long que je n'ai pas le courage de le lire et que je culpabilise parce que Compagnon s'est donné du mal et que ça ne m'a pas servi....
Bon, je vous annonce une bonne nouvelle: je pars quelques jours au Luxembourg chez mon fils et je ne pourrai donc pas venir vous taquiner sur le forum. Alors, heureux????
Compagnon

C'est le rôle de Sila de veiller à ne pas confondre ombre et lumière. L'ombre est l'absence de lumière. La lumière n'est pas fille de l'ombre.

Ce n'est pas un rapport de production chronologique de l'une par l'autre mais d'interdépendance, sans lumière par d'ombre, sans ombre pas de lumière. L'un existe en même temps que l'autre. Simultanément. Si l'un cesse d'exister l'autre aussi.
Sans péché originel par de Jésus.
Sans souffrance pas de Bouddha.

Plante un bâton dans le sol, verticalement, si le ciel est couvert, que le soleil ne se présente pas, il n'y aura aucune ombre.
Et si tu est dans une maison, si il y a des ombre et une fenêtre ouverte, même si tu ne vois pas le ciel puisque le toit t'en empêche, la présence d'ombre montre bien que le soleil est là.

Au final en principe d'après ce que j'en ai compris dans ce qui est recommandé par exemple dans le Sutra du Coeur de la Perfection de la Sagesse, il faut aller toujours au delà de toute notions duale, donc au delà du bien et du mal, de l'Eveil et du Sommeil, du samsara et du nirvana, de la souffrance et de la libération de la souffrance. Quand on est limité par une conception duelle des chose... on est bloqué.

Et c'est valable aussi pour des notions comme la vacuité, car notre notion de la vacuité sous entend une non-vacuité, un dualisme encore... Sans doute qu'intellectuellement a un moment il faut cesser de "penser" la vacuité (par exemple) car notre pensée ne sait pas faire autre chose que des contraires. Il faut "expérimenter" la vacuité, non plus avec l'esprit, le mental, mais autre chose. Le ressenti ? parce que ce ressenti (peut être) lui est capable de dépasser l'automatisme de la création de concepts duels.
ted

Certes, l'éveil, la vérité ultime, est au delà des paires d'opposés. Mais c'est la vérité ultime. Nous, nous marchons sur la terre, en pleine dualité. Et si nous faisons le mal, nous allons en enfer.

Ce qui compte n'est pas la définition que les sociologues donneront du mal 1000 ans après notre action, en le relativisant. Ce qui compte, c'est la conscience instantanée que nous avons de faire souffrir. La conscience de provoquer une souffrance au nom d'un idéal que l'autre n'a pas choisi.

On ne peut parler d'interdépendance sans aborder ses limites en terme de liberté et de libre-arbitre. Je ne suis l'élément d'une paire d'opposé que dans le système de pensée d'une personne qui me voit comme tel. En réalité, il n'y a pas de dualité en dehors de la conscience qui observe.

Ce ne sont pas l'ombre et la lumière qui ont besoin l'une de l'autre pour exister, mais la conscience, cruellement limitée dans son appréhension du monde, qui a besoin d'un tel clivage pour donner du sens à son observation ignorante.

Toute activité autre que la contemplation est donc un crime qui ternit l'harmonie de l'univers. Voilà pourquoi le samsara ne peut être qu'un énorme monceau de fumier. Une erreur éternelle. Une injure. Et tout ce qui y bourgeonne en tentant de contrôler, de dominer, de convertir, de canaliser, perpétue l'enchaînement de l'erreur primordiale.
ted

Circé a écrit : Bon, je vous annonce une bonne nouvelle: je pars quelques jours au Luxembourg chez mon fils et je ne pourrai donc pas venir vous taquiner sur le forum. Alors, heureux????
Circé

On est heureux pour toi... loveeeee
Je suppose que Compagnon est de mon avis. :oops:
C'est toujours un plaisir d'être de nouveau réunis avec ceux qu'on aime. love2
Compagnon

Toute activité autre que la contemplation est donc un crime qui ternit l'harmonie de l'univers. Voilà pourquoi le samsara ne peut être qu'un énorme monceau de fumier. Une erreur éternelle. Une injure. Et tout ce qui y bourgeonne en tentant de contrôler, de dominer, de convertir, de canaliser, perpétue l'enchaînement de l'erreur primordiale.

Aversion pour samsara ? N'est ce pas aussi un piège ? Un écueil ? Est ce vraiment le samsara qui est tel que tu le décris ? Ou comme tu l'as fais remarqué n'est ce pas notre regard sur lui qui est à remettre en cause ? Le samsara n'est pas une "personne" qui cherche à délibérément nous nuire. Mais nous nous pouvons le voir ainsi. Est ce alors la "faute" du samsara si il est ainsi ?
Samsara est aussi un concept, une notion propre à notre esprit, une conception, une construction, un jugement. Il est reconnu que définir nirvana en terme intellectuel et verbaux est une gageure même pour ceux qui l'expérimentent dans l'Eveil, son pendant, samsara, n'est-il pas par le fait soumis au même constat ? Notre définition conceptuelle, intellectuelle, notre jugement sur samsara est-il vraiment pertinent ? Peut-on s'y fier ? Reflète t'il vraiment la réalité de samsara ? Le mot samsara dit-il tout ?
Samsara n'est-il pas tel qu'il doit être justement comme tu le dis dans le cadre de l'harmonie de l'univers ? Dans ce cas n'est-il pas absurde de lui reprocher (alors qu'il n'est même pas une personne ou quelque chose doté de la volonté de nous nuire) d'être tel qu'il doit être ? Comme il serait absurde de reprocher à un oiseau de voler ?

Ce sont des questions.
ted

L'état humain est nécessaire pour atteindre l'éveil. Les textes s'accordent à le dire. Une plage de paisibilité est nécessaire pour aller au delà du par delà. Doit-on en conclure que le samsara est nécessaire ? C'est une bonne question et c'est, je crois, un de tes thèmes favoris sur la dualité indispensable à toute chose.

En effet, le samsara n'est pas un lieu, un monde en soi. C'est une façon d'être. Une façon de projeter. Et une façon de percevoir notre propre projection. Par conséquent, nous sommes totalement responsables de ce qui apparaît.
Comme un artiste effrayé par les démons qu'il peint, celui qui souffre dans le samsara est effrayé par sa propre imagination. (Nagarjuna)
Celui qui se noie a besoin de s'appuyer sur l'eau pour nager et ne pas couler. Porté par l'eau, il pourrait se dire : "Cette eau me porte, me soutient, elle est mon amie, elle me permet de nager".
Mais dans une autre position de son corps, cette même eau entrerait dans ses poumons et le noierait.

Si de plus notre ami apprend qu'il est à l'origine de la création de cette immensité liquide, doit il s'en réjouir parce qu'il y nage, ou s'en désoler parce qu'il s'y noie ? Ni l'un, ni l'autre à mon avis.

"L'aversion" pour le samsara décrit par les textes comme un monceau de souffrance, est simplement une incitation à faire cesser la production de cette masse liquide aveugle que seul un très bon nageur peut affronter sans souffrance.

Et la compassion apparaît en même temps que la création de la masse liquide. Compassion pour tous ces êtres englués dans leur propre création, enchaînés et effrayés par leurs propres projections. Ayant oblitéré la connaissance innée et omnisciente de l'au delà du par delà.

Est-ce que la compassion n'est pas aussi de leur dire qu'ils ne seront pas heureux en construisant des architectures liquides ?
Des palais, aux murs d'eau stable et ruisselante, les protégeront-ils longtemps des vagues de leur propre esprit ?
Quelques kalpas tout au plus pour les plus doués.

Mais des hommes choisissent quand même l'immortalité de ceux qui marchent sur la terre. Le Shurangama sutra, cite la liste des techniques et méthodes conduisant à l'immortalité dans le samsara.
188 «Qui plus est, Ananda, il y a des gens qui ne se fient pas à l'Eveil Correct pour cultiver la Samadhi, mais cultivent de quelque manière spéciale fondée sur leurs fausses pensées. S'accrochant à l'idée de perpétuer leurs corps physiques, ils errent dans les montagnes et les forêts à des endroits où les gens ne vont pas et cherchent à devenir Dix Sortes d'Immortels.

187 «Ananda, certains êtres vivants à la résolution inébranlable se renforcent grâce à des nourritures spécialement préparées. Lorsqu'ils ont perfectionné cette méthode nutritionnelle, on les connaît comme des immortels voyageant par terre.

188 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent par l'usage d'herbes et de plantes. Lorsqu'ils ont perfectionné cette méthode de prendre des plantes, on les connaît comme des immortels volants.

188-89 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent par l'usage de métal et de pierre. Lorsqu'ils ont perfectionné cette méthode de transformation, on les connaît comme des immortels errants.

189 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent par le mouvement et l'immobilité. Lorsqu'ils ont perfectionné leur énergie et essence, on les connaît comme des immortels voyageant dans l'espace.

191 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent en utilisant l'écoulement de la salive. Lorsqu'ils ont perfectionné les vertus de cette humidité, on les connaît comme des immortels voyageant dans le ciel.

191-92 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent par l'essence du soleil et de la lune. Lorsqu'ils ont perfectionné l'inhalation de cette essence, on les connaît comme des immortels pénétrant tout.

193 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent grâce aux mantras et aux préceptes. Lorsqu'ils ont perfectionné ces capacités, on les connaît comme des immortels de la Voie.

193 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent par l'usage des processus de la pensée. Lorsqu'ils ont perfectionné leur pensée et leur mémoire, on les connaît comme des immortels illuminants.

194 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent grâce à l'union interne. Lorsqu'ils ont perfectionné la réaction, on les connaît comme des immortels d'essence.

195 «Certains de ces êtres à la résolution inébranlable se renforcent grâce aux transformations. Lorsqu'ils ont perfectionné leur éveil, on les connaît comme des immortels du suprême niveau.

196-97 «Ananda, ce sont tous là des gens qui raffinent leurs esprits mais ne cultivent pas l'Eveil Correct. Ils obtiennent un principe de vie spécial et pourront vivre pendant des milliers ou des dizaines de milliers d'années. Ils se retirent profondément dans les montagnes ou sur des îles dans la mer et se coupent eux-mêmes du monde des humains. Cependant, ils font toujours partie de la roue qui tourne, parce qu'ils s'écoulent et tournent selon leurs pensées fausses et ne cultivent pas la samadhi. Lorsque leur récompense prend fin, ils doivent encore retourner et entrent dans leurs divers destins.


Shurangama Sûtra - Sûtra de la Marche héroïque
<<metta>>

N'est-ce pas aussi pour aider ceux qui s'accrochent ainsi que les bodhisattvas prennent des voeux et restent dans le samsara ? C'est à dire, acceptent sciemment d'adhérer à ce regard réducteur qu'ont choisi les êtres qu'ils veulent aider ?
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