Je commence avec un film à l'affiche ces jours-ci.
Miss Hokusai
Keiichi Hara
Un joli film, en demi-teintes, sur un sujet rare : la vie de la fille d’Hokusai, Katsushika O-Ei.
Le « Maître du Studio du Nord », le génie du manga, le Vieillard fou de peinture avait une fille

Miss Hokusai lui rend hommage. Le film laisse une impression mitigée. Les scénaristes ont pris le curieux parti de faire de "Miss Hokusai" une femme moderne, au langage et aux manières rudes, aux élans égalitaristes anachroniques, tiraillée entre sa fidélité aux valeurs confucéennes de soumission et de service de la famille et ses désirs de liberté, artistique et sexuelle. Le résultat n’est pas très convaincant psychologiquement, et l'on regrette surtout que l’artiste elle-même soit finalement bien peu présente. Des dix estampes survivantes de l’œuvre de Katsushika O-Ei, seules trois sont reconnaissables au fil du film, qui enchaîne par ailleurs les allusions aux grands maîtres masculins (on voit défiler les cerisiers et le pont sous la neige d’Hiroshige, le dragon et la vague d’Hokusai, la mante religieuse de Bunchô, le phénix et les courtisanes d’Utamaro). La plus fameuse, une rareté pour l’époque par ses effets d'ombres et de lumières, ne bénéficie que d’un très bref clin d’œil.

Mais le film a d’autres atouts : ses atmosphères multicolores sont un enchantement pour la vue, l’intrigue principale, autour de la mort de la seconde fille d’Hokusai est touchante, et les passages fantastiques poétiques, dignes des légendes chinoises qui les ont inspirés.
Les bouddhistes apprécieront également une critique de l’hypocrisie religieuse au profit d’une valorisation du Zen véritable que professe hardiment Hokusai.
Certains moments sont à cet égard d’une grande délicatesse et dégagent une mélancolie prégnante, comme l’unique scène amoureuse du film, où O-Ei couche avec un acteur travesti, prostitué d’un bordel pour hommes : la jeune artiste s’interroge sur la présence au mur d’une triade d’Amida, de médiocre facture. A quoi peut-elle bien servir ? « je l’ai choisie pour me protéger, répond l’acteur, mais cela ne sert à rien. Mes clients sont sans pitié, même les moines, et ne craignent ni Dieux ni Bouddha. La nuit dernière, j’ai même rêvé qu’Amida en personne m’écrasait sous ses pieds. Le paradis de l’Ouest existe-t-il ? » O-Ei ne peut que partager cette interrogation douloureuse qui la renvoie à ses propres angoisses. Avec l'aide de son père, néanmoins, elle dépassera ce stade et "tuera le Bouddha" pour accéder à une approche plus juste des choses.
Bref, une œuvre à découvrir pour les amoureux du Japon et même pour les autres.
