Le Pardon par Matthieu Ricard

Compagnon

Ayant parfois perçu comme un certain scepticisme ou une défiance quand à la compétence de Matthieu Ricard pour s'exprimer quand au bouddhisme tibétain, je me permets, avant de proposer le texte sur le pardon, de rappeler son parcours, afin de savoir exactement de qui il est question. Peut être sa médiatisation tout comme celle du Dalaï-Lama ou de Thích Nhất Hạnh apparaît-elle comme incompatible avec l'image que certains se font d'un moine bouddhiste. Qui sait.

En tout cas Matthieu Ricard est moine est je ne crois pas qu'il ai jamais prétendu être autre chose, comme un maître par exemple. De plus ce n'est pas un homme qui se contente de poster sur un forum ou parler à la télé ou à la radio ou d'écrire des livres, il agît aussi.

Matthieu Ricard, né le 15 février 1946 à Aix-les-Bains, est un docteur en génétique cellulaire, un moine bouddhiste tibétain, un auteur et un photographe. Il est le fils de la peintre française Yahne Le Toumelin et du philosophe, essayiste, journaliste et académicien Jean-François Revel (né Jean-François Ricard), et le neveu de Jacques-Yves Le Toumelin. Il réside actuellement au monastère de Shéchèn au Népal.

Il voyage en Inde pour la première fois en 1967, où il rencontre des maîtres spirituels tibétains dont son maître Kangyour Rinpoché. Après sa thèse en génétique cellulaire à l'Institut Pasteur, sous la direction du Pr François Jacob (prix Nobel de médecine), il décide de s'établir dans l'Himalaya où il vit depuis 1972, étudiant et pratiquant le bouddhisme tibétain auprès de grands maîtres spirituels, Kangyur Rinpoché puis Dilgo Khyentse Rinpoché. Il devient moine en 1979 et vit au monastère de Shechen au Népal.

En 1980, grâce à Dilgo Khyentsé Rinpoché, il rencontre pour la première fois le dalaï-lama, dont il devient l'interprète pour le français à partir de 1989.

Il est l’auteur en 1997, avec son père, d'un dialogue, "Le Moine et le Philosophe" ayant reçu le Prix Alexandra-David-Néel/Lama-Yongden et traduit en 21 langues ; avec l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan, en 2000, de "L'infini dans la paume de la main" ; de "Plaidoyer pour le bonheur" (2003), du conte spirituel "La Citadelle des Neiges" (2005), de "L'art de la méditation" (2008), de "Plaidoyer pour l'altruisme" (2013) et de "Plaidoyer pour les animaux" (2014).

Il a également traduit du tibétain de nombreux ouvrages dont "La Vie de Shabkar", "Les cent conseils de Padampa Sanguié (Dampa Sangye)", "Au seuil de l'Éveil", "La fontaine de grâce", "Au cœur de la compassion", "Le trésor du cœur des êtres éveillés", et "Chemins spirituels", "petite anthologie du Bouddhisme tibétain".

Il consacre l’intégralité de ses droits d’auteurs à cent trente projets humanitaires menés à bien au Tibet, au Népal et en Inde (cliniques, écoles, orphelinats, centre pour personnes âgées, ponts), sous l'égide de l'association Karuna-Shechen.

Il photographie depuis quarante ans les maîtres spirituels, la vie dans les monastères, l'art et les paysages du Tibet, du Bhoutan et du Népal et est l’auteur de plusieurs livres de photographies, dont, en français, "L'Esprit du Tibet", "Moines danseurs du Tibet", avec Danielle et Olivier Föllmi, "Himalaya Bouddhiste", "Tibet", "regards de compassion", "Un voyage immobile", "L'Himalaya vu d'un ermitage" et "Bhoutan, terre de sérénité".

Depuis 2000, il fait partie du Mind and Life Institute, qui facilite les rencontres entre la science et le bouddhisme, et il participe activement à des travaux de recherche qui étudient l'influence de l'entraînement de l'esprit à long terme sur le cerveau (Neurosciences contemplatives), qui se poursuivent aux universités de Madison-Wisconsin, Princeton, Berkeley aux États-Unis et à l'Institut Max Planck de Leipzig en Allemagne. Matthieu Ricard est également un homme engagé pour la protection de la nature et des animaux et végétarien depuis plus de 40 ans. Il est un ami fidèle du Dr Jane Goodall et membre de l'Institut Jane Goodall France.

Le Pardon :

A un niveau personnel, non seulement on peut toujours pardonner, mais on doit le faire. Beaucoup sont réticents au pardon du mal fait à autrui, pourtant il faut l’envisager en termes d’harmonie sociale. La société n’a nul besoin d’une absolution teintée d’indulgence, d’insouciance, ou pire encore, entachée d’une ambiguïté qui confine à l’approbation. Un tel pardon laisse la porte grande ouverte à la répétition des atrocités. La société a besoin de pardonner afin d’éviter que ne se perpétuent la rancune, l’acrimonie et la haine qui vont inévitablement mûrir et se traduire par de nouvelles souffrances. La haine ravage nos esprits et ruine la vie des autres. Pardonner signifie briser le cycle de la haine.

Un individu, comme une société, peut tomber sous son emprise, mais ce sentiment n’est pas inéluctable et peut disparaître de l’esprit de l’homme : voyez comme une rivière polluée peut retrouver sa pureté initiale et son eau redevenir potable. Sans la possibilité d’un changement intérieur, l’humanité se trouverait prisonnière de l’enchaînement du mal, du désespoir et des défaites sans fin, qu’elle s’infligerait à elle-même. Un proverbe bouddhiste dit : “Le seul aspect positif du mal réside dans le fait qu’il peut être purifié.” Si l’on se transforme réellement, le pardon qui vous est accordé n’est pas indulgence à l’égard des fautes passées, mais reconnaissance de ce changement. La notion de pardon est intimement liée à l’idée de transformation.

Du point de vue bouddhiste, au tréfonds de l’homme réside la bonté fondamentale, même chez le criminel. On compare souvent cette réalité à un lingot d’or gisant sous des immondices. En enlevant la saleté, on ne la nie pas mais on en dégage l’or pur.

Malgré le pardon, le criminel ne peut espérer échapper aux conséquences de ses actes. Un repentant sincère ne devrait même pas demander pardon : l’important est de tout mettre en oeuvre pour créer, en toute humilité et de tout son être, un bien équivalent au mal qu’il a commis. Comment peut-on demander pardon sans réparation ?

Lorsqu’on évoque l’idée du pardon, il faut établir une distinction entre punition et vengeance. La société a le devoir de protéger ses membres, mais elle n’a pas le droit de se venger. Tuer est un mal absolu, qu’il s’agisse de meurtre ou d’exécution légale. Neutraliser et empêcher de nuire n’impliquent ni la vengeance ni les représailles.

Répondre au mal par la fureur et la violence est souvent envisagé comme une réaction courageuse, voire héroïque. Mais le vrai courage, c’est ne pas réagir par la haine. En, 1998, un couple d’Américains se rendit en Afrique du Sud pour assister au jugement de cinq adolescents qui avaient sauvagement assassiné leur fille dans la rue. Ils regardèrent les meurtriers droit dans les yeux et leur dirent : “Nous ne voulons pas vous faire ce que vous avez fait à notre fille.” De même, le père de l’une des victimes de l’attentat à la bombe d’Oklahoma déclara la veille du verdict : “Je ne veux pas d’un mort de plus.” Il ne s’agit pas de parents insensibles. Ils avaient parfaitement compris l’inutilité de l’enchaînement de la haine. Ainsi, pardonner n’est pas excuser mais abandonner la soif de vengeance.

Pardonner ne signifie pas absoudre : on ne triche pas avec la loi des causes et des conséquences. Une personne responsable d’actes odieux souffrira vie après vie, jusqu’à ce qu’elle en ait épuisé le potentiel négatif. Un bouddhiste voyant un homme qui a porté atteinte à autrui pense qu’il est voué à une souffrance proportionnelle à la gravité de ses actes. Cette conscience fait naître en lui non pas une pitié superficielle, mais une immense compassion pour tous les êtres : sans se délivrer de la haine et de l’ignorance, les hommes perpétuent le cycle sans fin de la douleur. Contempler l’horreur de certains crimes doit renforcer cette compassion et l’amour envers tous les êtres plutôt qu’attiser la haine envers quelques uns.

L’être humain n’est pas fondamentalement mauvais, mais il peut facilement le devenir. Notre ennemi le plus féroce n’est pas autrui, mais la haine elle-même. Il ne peut y avoir de désarmement extérieur sans désarmement intérieur. Il faut que tout le monde change et ce processus commence par soi-même.


J'ai mis en gras de passages qui me paraissaient frappants, évidemment c'est un choix personnel on peut en avoir d'autres.

jap_8
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davi
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En ce jour c'est la commémoration du souvenir des victimes des attentats du 13 novembre. Il y a ceux qui sont directement concernés, touchés par la perte ou la blessure d'un être proche. Le pardon ne doit être chose aisée pour eux. Il y a aussi ceux qui ne sont pas directement concernés, qui voient ça de plus loin, mais qui ressentent tout de même une forme de ressentiment plus ou moins prononcé. Nous avons tous au cours de nos vies passées commis des actes répréhensibles. C'est vrai parce que sinon nous ne ferions pas l'expérience de leurs effets désagréables. Pour le mahayana tous les êtres sensibles possèdent la graine de Bouddha. C'est une nature qui fait que des êtres sont sensibles, c'est-à-dire qu'ils ressentent les choses, les appréhendent. Mêmes les êtres les plus vils sont des êtres sensibles et possèdent ces capacités sensibles. En tant qu'êtres ordinaires, ces capacités sont extrêmement limitées et souvent dévoyées. Mais leur nature essentielle sont ces capacités épurées, sans limitation et sans dévoiement. Elles habitent l'espace vide de l'esprit et rayonnent en une multitudes d'aspects tous aussi merveilleux les uns que les autres.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Compagnon

Eh oui, que ce soit dans des êtres comme Salah Abdeslam, Vladimir Poutine, Bachar al Assad ou Donald Trump il y a la graine du Bouddha. Même si elle est très très profondément enfouie.

C'est difficile à accepter comme vérité. C'est un fait (que ce soit difficile à accepter).
ted

Qu'on soit bien clair : pardonner, en éprouvant simultanément de la compassion pour l'agresseur, n'empêche aucunement qu'on soit capable de mettre en oeuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter la répétition des agressions.

Pardonner consiste simplement à éviter de nous empoisonner l'esprit avec des sentiments négatifs. C'est quelque chose de totalement personnel.

Il ne s'agit pas "d'absoudre" l'autre de ses fautes. Nous n'avons pas ce pouvoir. Ni de banaliser, relativiser ou minimiser les agressions, sous prétexte de vacuité.

A la limite, pardonner permet une réponse pertinente, efficace et juste, non teintée de vengeance ou de ressentiments superflus, mais qui pourra passer pour implacable au yeux de l'agresseur jusqu'à ce qu'il prenne conscience de la sagesse profonde de cette réaction.

Ainsi est la vraie justice qui n'est que rétribution parfaite des actes. L'action des 5 éléments Terre Eau Feu Air et Espace peut être ressentie comme une punition. Il n'en est rien.

Il n'y a personne qui est punie et personne qui puni.

Ainsi, dans la tourmente des réactions provoquées par ses mauvaises actions, un ignorant pourra atteindre l'Eveil.
Compagnon

@Ted : cela me paraissait claire aussi. Pardon, oui, passivité/inaction (et donc complicité par inaction) non.

Cela me fait penser aux 5 éléments du shinto. Curieux que le Temps ne soit pas mentionné. Les alchimistes médiévaux ne mentionnaient pas l'espace/vide mais incluaient comme 5ème élément le Temps.

On croise régulièrement la symbolique des éléments dans les enseignements de TNH. L'eau très souvent, de manière positive, le terre et l'air indirectement aussi de manière positive, le feu par contre n'est guère positif. Puisqu'il représente les passions qui nous brûlent de l'intérieur comme l'avidité. Et j'ai pu le vérifier, si on fait attention à son corps, quand on est en proie à des émotions violentes comme la colère, la rancoeuy ou le désir sexuel débridé on ressent de la chaleur dans le corps. Comme une conssumation intérieure, des picotement, ou fourmillememnt désagréables et chaud, qui bien sûre troublent aussi l'esprit.

Cela me fait penser aussi à l'usage du Kyosaku dans la pratique du Zen Sôtô. Non seulement ce n'est pas une pratique agressive puisqu'elle a pour but de maintenir le méditant dans la vigilance mais en plus elle est faite sur demande du méditant lui même.

Il n'y a aucune violence ou agressivité chez le maître qui porte le coup, aucune volonté de faire mal ou de nuire, c'est même pédagogique et bienveillant.

Si non ne connait pas le sens réel d'une telle pratique on peut facilement se méprendre.

Je pense à cela dans le sens ou on peut empêcher une personne de nuire à nouveau tout en lui pardonnant sans charger son acte d'opposition d'une quelconque émotions négative comme la vengeance.

Un exercice d'état d'esprit sans doute pas simple a acquérir tant nous avons tendance à réagir naturellement, de façon instinctive, animale, à l'agression par l'agression en retour.

Toute proportion gardée je repense à une scène dans un comics il y a prêt de 20 ans. Un comics américain, dans un Iron Man, évidemment c'était le point de vue américain dans un monde de "super-héros" concernant l'invasion du Tibet par la Chine. On y voyait une colonne de soldats chinois bloqués par un certain nombre de moines en méditation se tenant par la main. Ils développaient une barrière surnaturelle de lumière qui faisait que chaque balle tirée contre eux , en les heurtant, se transformait en fleur. Evidemment c'est de la fantasy mais... cela montrait une forme d'opposition passive mais ferme. Les moines ne retournaient pas la violence vers la violence mais la transformait tout en maintenant leur opposition au passage soldats qui voulaient envahir un monastère. On y voit aussi un vieux moine, très vieux, qui sacrifie sa vie pour sauver le héros en prenant une rafale d'énergie à sa place. Evidemment le vieux moine n'avaient aucune chance de survivre et le héros ne comprend pas le sens d'un tel sacrifice. Et le vieux moine de lui expliquer qu'au contraire, en sacrifiant sa vie, il rompt le dernier lien qui l’empêchait d'accéder à une forme d'existence supérieure, transcendante, il est donc très heureux que le héros lui donne cette opportunité, il le remercie, meurt et on voit une sorte de corps astrale du moine, lumineux qui sourit et dit au revoir avant de disparaître. Bon je reconnais c'est ... de la BD. Mais y a un peu d'idée non ? Et cela montre bien l'incompréhension culturel entre le héros et les locaux.
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Zopa2
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ted a écrit :Qu'on soit bien clair : pardonner, en éprouvant simultanément de la compassion pour l'agresseur, n'empêche aucunement qu'on soit capable de mettre en oeuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter la répétition des agressions.
Tout à fait ! Cela me fait penser à une histoire des vies antérieures du Bouddha. Je la cite de mémoire.
Il était capitaine d'un bateau qui transportait 500 passagers dont un qui s'apprêtait à tuer tous les autres. Le futur Bouddha vit en avance, le massacre qu'il s'apprêtait à commettre. Réagissant aussitôt, il le tua.

Cela renvoie aussi à l'éthique des bodhisattva.
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