Bouddhisme, compassion et violence : par le Dalaï Lama

Compagnon

A l'occasion d'une rencontre inter religieuse entre chrétiens et bouddhistes rapportée en détail dans le livre : Le Dalaï Lama parle de Jésus (1996), la question suivante fut posée par le Père Laurence comme porte parole d'une groupe de discussion sur la non-violence :

Père Laurence : On demande si la compassion recèle un élément actif, ou si elle est passive ? La compassion peut-elle exiger un acte violent ? L'idée, je suppose, est que si vous voyez quelqu'un s'apprêtant à commettre une mauvaise action - faire exploser un immeuble, par exemple - peut-on, par compassion, utiliser la violence pour l'arrêter ?

Le Dalaï Lama :

Il est absolument certain que la compassion comporte un élément actif et que la possibilité est offerte d'utiliser la force, si on l'estime vraiment nécessaire. Ceci est clairement démontré dans les récits des jatakas, dans un épisode d'une des vies antérieurs du Bouddha dans laquelle il est né marchand.

Alors qu'il traversait une rivière sur un bas, le bodhisattva se retrouva dans une situation délicate : le passeur était un meurtrier qui avait projeté de tuer les 499 passagers dans la nuit.

Il n'y avait pas d'autre moyen de traiter la situation que de se débarrasser du meurtrier.

Il assuma la responsabilité. Ce bodhisattva s'engagea dans une action qui non seulement sauva la vie de 499 personnes, mais, par compassion, sauva le meurtrier potentiel de la nécessité d'affronter les conséquences négatives de tant de meurtres.

Pour un bouddhiste, le sacrifice du bodhisattva a consisté à prendre sur lui l'acte négatif de tuer une personne et à affronter les conséquences de cet acte.

Cela dit, quand nous parlons de violence, nous devons comprendre que nous parlons d'un phénomène dont il est pratiquement impossible de prévoir le résultat. Même quand la motivation de l'auteur de l'acte est pure et positive, si l'on a recours à la violence, il est très difficile d'en prévoir les conséquences.

Pour cette raison, il est toujours préférable d'éviter une situation exigeant d'avoir recours à la violence.

Néanmoins, si vous vous trouvez placé dans une situation qui exige manifestement d'agir par la force pour se défendre, il est impératif de répondre de manière appropriée.

Dans ce contexte, il est important de comprendre que la tolérance et la patience n'impliquent pas de se soumettre ou de céder à l'injustice. La tolérance, dans son sens véritable, devient une réponse délibérée de votre part à une situation qui, normalement, appellerait une forte réponse émotionnelle négative, comme la colère ou la haine. Ceci apparaît nettement dans le terme tibétain söpa qui signifie, littéralement "capable de supporter".

C'est notamment le cas de la tolérance qui consiste à rester indifférent au mal qu'on vous fait, qui est l'une des trois espèces de patience discutées plus haut.

On pourrait comprendre faussement qu'il nous faut céder ou nous soumettre à tout mal qu'autrui nous infligerait - comme si nous devions nous contenter de dire "Allez-y, faites moi mal !".

Ce n'est pas de cela qu'il s'agît, mais bien plutôt d'un état d'esprit courageux qui nous évite d'être trop affecté par l'incident. Elle contribue à nous épargner la souffrance mentale quand nous rencontrons le mal. Elle ne signifie pas que nous nous contentons de céder.

Il est compréhensible que les gens aient une notion erronée de la tolérance. J'ai rencontré des Tibétains qui, ayant lu "La voie du Bodhisattva" où il est longuement question de la tolérance, me disaient : Si nous pratiquons la tolérance, le Tibet ne retrouvera jamais son indépendance !". Mais pour eux, la tolérance est une sorte de soumission ou d'abandon.


jap_8
ted

Une belle mise au point. jap_8
En même temps, celui qui respecterait le premier précepte et qui se laisserait tuer, plutôt que de tuer, que pourrait on lui reprocher ?
Compagnon

@Ted : si il y a un autre moyen que se laisser tuer, oui on pourrait le lui reprocher je pense, car le respect de la vie, s'applique aussi à soi, donc se laisser tuer équivaudrait à une forme de suicide indirect. Le Dalaï Lama a il me semble condamné les immolation spontanées de bonzes en signe de protestation, car la vie est précieuse, même si l'intention était bonne, le signe fort, le sacrifice important, suprême, le moyens choisi n'était pas approprié, je suppose que le Dalaï Lama a sans doute estimé que ces bonzes pouvaient encore trouver d'autre moyens de protester plutôt que mettre un terme prématurément à leur vie au risque de perdre toute chance d'atteindre la libération dans cette vie.
Du moins c'est mon interprétation.
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