Sur la nature de l'esprit par Dilgo Khyentsé Rinpoché

Compagnon

En écho bienveillant et complémentaire avec le sujet de Ted, 2 textes issus du livre du moine Matthieu Ricard sur les plus beaux textes tibétains.

Les 2 textes ont pour auteur : Dilgo Khyentsé Rinpoché (tibétain: དིལ་མགོ་མཁྱེན་བརྩེ་; Wylie: dil mgo mkhyen brtse), (1910-28 septembre 1991, Bhoutan) né dans la région du Kham (Tibet oriental). Il était un maître du bouddhisme Vajrayana, un lettré, un poète, un enseignant, un tertön, et le chef de l'école Nyingma du bouddhisme tibétain entre 1987 et 1991. Il était considéré comme l'héritier spirituel de Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö.

Dilgo Khyentsé Rinpoché a été le premier maître de Matthieu Ricard.

Ci-dessous le premier (le second viendra peut être plus tard) :



"Ce qu'on appelle communément "esprit" est un tourbillon de pensées qui oscillent entre l'attachement et le rejet, la joie et la peine. Ces pensées entretiennent en nous un état de confusion qui, à son tour, perpétue le cycle des existences.

Contrairement à la conscience éveillée, ce flot de pensées nous entraîne continuellement d'une illusion à une autre.

Des sentiments de désir ou de haine surviennent soudain, provoqués par les circonstances les plus diverses comme la rencontre imprévue d'une ami ou d'un ennemi.

Si on ne les contrecarre pas immédiatement au moyen d'un antidote approprié, elles s'enracinent et prolifèrent en renforçant le pouvoir des émotions perturbatrices et en créant toujours plus de tendances aux conséquences malheureuses.

Pourtant, quelle que soit leur force apparente, il ne s'agît que de pensées qui finiront pas disparaître en révélant leur nature vide.

Dés que nous reconnaissons la véritable nature de l'esprit, les pensées qui semblent apparaître et disparaître sans jamais cesser ne peuvent plus nous impressionner ni nous leurrer. Comme les nuages d'été qui se forment dans le ciel, y demeurent un moment, puis se dissolvent dans l'espace, les pensées éphémères s'élèvent en nous, demeurent un instant, puis s'évanouissent dans la dimension vide de l'esprit.

En fait, rien ne s'est véritablement passé.

Quand un rayon de soleil traverse un morceau de cristal, il provoque l'apparition de lumières irisées, claires, brillantes et néanmoins sans substance.

De même, les pensées, dans leur infinie variété, qu'elles soient de désir, de dévotion, de compassion, de méchanceté ou autres, sont insaisissables, impalpables, immatérielles; il n'en est aucune qui ne soit pas pure vacuité.

Si vous savez reconnaître cela au moment même ou les pensées surgissent, ces dernières s'évanouiront.

La haine qu'elles expriment, par exemple, ne pourront plus vous ébranler, et les autres émotions perturbatrices cesseront d'elles-mêmes.

Vous ne commettrez plus d'actes malveillants, et par conséquent, vous ne causerez plus de souffrances."


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Compagnon

Le 2ème texte que je vous avais promis, plus long et plus explicite je trouve même si il est parfois assez ardu :

Sur la nature de l'esprit.

L'esprit connaît généralement deux états : la quiétude et le mouvement. Il est parfois calme et libre des pensées comme une étendue d'eau immobile : c'est l'esprit dans sa phase de quiétude. Cet état ne dure habituellement pas. Des pensées surgissent : c'est ce que l'on appelle «mouvement ».

En réalité, bien qu'a première vue le mouvement des pensées se distingue clairement de la quiétude, il n'existe entre ces deux états aucune différence de nature. L'un comme l'autre se caractérisent par l'absence de réalité en soi. Quiétude et mouvement ne sont que deux aspects de l'esprit.

La plupart du temps, nous ne sommes pas conscients de nos états mentaux. Nous ne remarquons même pas si notre esprit est calme ou agité. Supposez qu'au cours d'une séance de méditation vous ayez soudain l'idée d'aller au marché. Si vous êtes conscients de cette pensée et la laissez se dissoudre d'elle même, cela n'ira pas plus loin. Si, par contre, vous ne la remarquez pas et la laissez se développer, elle donnera naissance à une deuxième pensée – celle, par exemple, d'interrompre votre pratique – puis à une troisième – celle de vous lever et de prendre la direction du marché, et bientôt d'autres idées envahiront votre esprit : où acheter ceci, comment vendre cela, etc. Vous serez bien loin de votre méditation !

Il est tout à fait naturel que les pensées surviennent les unes après les autres. Notre but n'est pas de les arrêter, ce qui serait d'ailleurs impossible, mais de les libérer. On y parvient en demeurant dans la simplicité et la fraîcheur du moment, en laissant les pensées aller et venir sans les entretenir ni s'y attacher. Lorsqu'on alimente plus le mouvement des pensées, celles-ci s'évanouissent d'elles-mêmes sans laisser de traces. Quand on altère plus l'état de quiétude par des constructions mentales, on peut maintenir sans effort la sérénité naturelle de l'esprit.

Parfois, des pensées afflueront en grand nombre. Laissez-les venir et observez ce qu'il y a d'immuable en elles, à savoir la nature fondamentale de l'esprit. Parfois encore, interrompez brusquement leur cours et observez la conscience éveillée ainsi mise à nu. Dés qu'une pensée se manifeste alors, reconnaissez sa nature vide. Elle perdra aussitôt son pouvoir de susciter une deuxième pensée, et la chaîne de l'illusion sera interrompue.

Comme nous l'avons dit, cela ne signifie pas que vous devez essayer de supprimer l'activité naturelle de l'esprit ni d'éliminer chaque pensée au moyen d'un antidote spécifique. Ce serait de tout façon impossible. Il suffit de reconnaître la vacuité des pensées et de laisser celles-ci se décanter dans l'esprit détendu pour que la nature primordiale de l'esprit, immuable et inaltérée, réapparaisse, claire et stable.

Par la force des habitudes, notre esprit est sans cesse le théâtre d'une multitude de pensées qui semblent disparaître l'une après l'autre dans le passé pour faire place aux pensées présentes qui, à leur tour, engendreront les pensées futures. Chacune d'elles renforce la suivante, si bien qu'avec le temps le pouvoir des chaînes de pensées s'accroît. A cette succession de pensées éphémères on donne le nom de conscience ou d'esprit, comme on donne le nom de collier à une rangée de perles. Les pensées constituent le flot de la conscience, et cette conscience alimente l’océan des existences.

Nous croyons à la réalité de cet esprit par simple manque de réflexion. Une rivière ne reste jamais la même, ne serait-ce qu'une fraction de seconde. Pourtant, nous pensons que la rivière que nous voyons est identique à celle que nous avons vue la veille, alors que l'eau de cette dernière c'est peut être déjà jetée dans l'océan. Il en va de même des innombrables pensée qui, du matin au soir, traversent notre esprit et font que ce dernier est absolument pas une entité indépendante et identifiable en tant que telle.

Examinons donc attentivement ce qui se passe dans notre esprit. Il nous apparaîtra avec évidence que les pensées passées sont aussi mortes que des cadavres, que les futures n'existent pas encore et que les présentes, malgré l'emprise qu'elles exercent sur nous, ne possèdent ni forme ni couleur et ne peuvent jamais être localisées ; Elles sont absolument insaisissables. En outre, il ne peut logiquement y avoir de rencontre entre les pensées passées, présentes et futures. S'il existait une quelconque continuité entre une pensée passée et une pensée présente, cela impliquerait que la pensée passée est encore présente et non passée, ou que la pensée présente ferait partie du passé et ne serait donc pas présente. Si le passé pouvait ainsi s'étendre au présent, il s'ensuivrait que le futur pourrait également être déjà présent. Or il n'en est rien, mais par ignorance de la véritable nature des pensées, nous les laissons se succéder jusqu’à ce que les émotions et la confusion nous dominent totalement.

Il est vital de prendre conscience des pensées que se forment dans notre esprit et d'apaiser les vagues de raisonnements ou d'émotions qui nous assaillent.

La colère par exemple, est une des émotions les plus néfastes, capable de détruire toutes les qualités que nous possédons par ailleurs. Personne n'apprécie la compagnie d'un être en colère. Si la simple vue d'un serpent nous inspire la terreur, ce n'est pas que son aspect en lui même est effrayant, c'est parce qu'il est la plupart du temps irascible et susceptible de nous attaquer. La prépondérance de l'animosité en nous est tout simplement due à une accumulation incontrôlée de pensée malveillantes. Si, au moment où nous avons une pensée de colère, nous pouvons la reconnaître pour ce qu'elle est, et comprendre à quel point elle est destructrice, la colère retombera d'elle même et nous resterons toujours en bons termes avec les autres. En revanche, si nous laissons la première pensée d'animosité donner naissance à une seconde, en un rien de temps nous perdrons tout contrôle et nous serons même prêts à risquer notre vie pour détruire notre adversaire.


jap_8
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