J'ai discuté avec Taïkan Jyoji, après qu'il ait "examiné" mon cas, de cette affirmation d'Hakuin à propos de grand et de petit satori. T. Jyoji m'a dit qu'il n'y avait pas à se prendre la tête avec ça, car le problème n'est pas tant la "taille" du kensho que ce qu'il "apporte" dans la Libération. Ça me paraît très juste (avec du recul).Kaïkan a écrit : J'ai trouvé ce texte intéressant car cette description :
d'après ce qu'on dit dans les fils de ce forum semble être un kensho, et dans le sôtô un satori. Je voulais en profiter pour dire qu'il y a aussi dans le sôtô des "petits" satori avant ce quon pourrait appeler le "grand" satori libérateur. C'est peut-être ce que l'on expérimente dans le rinzai puisqu'on peut avoir plusieurs kensho. Donc ces petits satori du sôtô pourraient bien être la même chose. Ce n'est qu'une supposition, une hypothèse.Brad Warner a écrit :C'est un moment où l'on voit avec une clarté parfaite que tout ce qu'on raconte sur l'unité avec le cosmos, sur le moi individuel identique avec le Grand Soi de l'Univers, sur la non-différence/séparation entre sujet et objet, et tout le toutim n'est pas qu'une abstraction ou une stance philosophique. Mais c'est au contraire une meilleure description de ce que sont réellement les choses que tout ce qu'ont pu nous raconter tous ceux qui nous ont jamais enseigné quelque chose, que l'histoire qu'on a crue absolument et sans le moindre doute depuis le début de notre vie.
Pour ce qui est de "juger" un kensho à partir d'une phrase ou d'un bouquin sans pouvoir s'entretenir vraiment (directement) avec la personne, et donc sans que cette dernière ait la possibilité de "s'expliquer", ça me paraît difficile. Mais il existe des indices à peu près certains, dans un sens (c'est un kensho) ou dans un autre (ce n'est pas le kensho).
Par exemple : quand un contributeur qui s'exprimait ici a dit qu'il "pensait avoir eu le kensho mais qu'il ne voulait pas s'illusionner avec", ceci est un indice qu'il n'a pas eu le kensho. L'indice étant que celui qui a eu le kensho sait qu'il ne peut pas s'illusionner avec. Mais bien sûr, quand je dis que cette personne n'a pas le kensho, ce n'est pas l'expérience que je juge (et qui n'a aucune importance) mais sa conclusion, c'est donc un jugement "indirect". Pour trancher, il faudrait que ce contributeur puisse parler de son expérience directement (en voyant) un maître qui a eu le kensho. Le fait que ce contributeur ne fasse pas cette démarche (de se confronter au maître) est également un autre indice d'absence de kensho, car celui qui a le kensho n'a de cesse d'éprouver son expérience au garant de la Transmission (qui est le maître). Car le kensho a ceci de particulier qu'il doit s'inscrire dans une lignée ininterrompu depuis le Bouddha.
Dans la phrase de Brad Warner : "C'est un moment où l'on voit avec une clarté parfaite que tout ce qu'on raconte sur l'unité avec le cosmos, sur le moi individuel identique avec le Grand Soi de l'Univers, sur la non-différence/séparation entre sujet et objet", l'expérience du kensho de Brad Warner n'est pas probante à mon avis (ce qui ne signifie bien sûr pas qu'il ne l'a pas eu). Les notions "d'unité avec le cosmos ou du moi individuel identique avec le Grand Soi", plaident en effet davantage pour une expérience samadhique d'union (ce dont il était question dans l'entretien avec Robi) que pour un kensho. C'est difficile d'expliquer pourquoi, mais je vais me servir d'autres exemple qui peut-être aideront à comprendre.
Un exemple intéressant est le passage d'un article de Yuno Rech, à propos de Wanshi et d'une grenouille qui avale la lune. On trouvera ce passage ici : http://www.abzen.eu/fr/enseignement/con ... re-chinois
C'est ce passage de Yuno Rech qui est intéressant : "La grenouille au fond du puits, c’est vous et moi, ici et maintenant. Comment peut-elle avaler la lune ? Logiquement, ce n’est pas possible mais si on abandonne l’esprit qui crée des séparations, qui se voit comme petit alors que la lune est grande, qui se voit comme ici alors que la lune est là-bas, qui pense que la nature de Bouddha est tout autre que lui-même, si on abandonne cet esprit-là, alors il n’y a même pas besoin d’avaler la lune, de vouloir la saisir car c’est elle qui vient à nous!"
Il y a, dans ce passage, quelque chose qui est du langage du kensho, et quelque chose qui montre, à mon avis, que c'en ait pas (mais encore une fois, il faudrait pouvoir s'entretenir avec Yuno Rech pour savoir ce qu'il a vraiment à l'esprit). Le passage qui est du langage du kensho est celui-ci qui va de "La grenouille au fond du puits,... jusqu'à "si on abandonne cet esprit-là". Et le passage qui montre (à mon avis) qu'il est passé à côté du kensho sans l'avoir est tout le reste, à savoir : "alors il n’y a même pas besoin d’avaler la lune, de vouloir la saisir car c’est elle qui vient à nous". Ce que j'ai souligné en gras est ce qu'il ne fallait pas dire, parce que, précisément, il FAUT avaler la lune. Bien sûr, c'est peu pour décider de façon rédhibitoire que ce n'est pas le kensho, car peut-être Yuno Rech a tout autre chose à l'esprit, qu'il voudrait dire et qui mériterait peut-être d'être étudié, mais en l'état, ce passage est un indice d'absence de kensho.
Un autre exemple intéressant, et à partir duquel je ne peux pas me prononcer (en terme d'indice, je veux dire) c'est le poème de Richard Baker, le "successeur" de Shunryu Suzuki, lorsqu'il reçut la transmission de ce dernier. Le poème commence ainsi :
"Ce morceau d'encens
Que j'ai eu si longtemps
Je l'offre sans main".
Ce passage est le langage du kensho, mais on ne peut savoir s'il s'agit d'une véritable expérience pour Baker, ou bien s'il s'est contenté de paraphraser le maître national Daito qui vivait parmi les mendiants et qui fut "capturé vivant parce qu'il aimait trop les melons". En effet, suivant la tradition, lorsque l'empereur Hanazono voulut rencontrer Daito, personne ne put lui dire qui il était parmi la foule des mendiants. L'officier chargé de le retrouver apprit que Daito aimait les melons. Aussi dit-il aux mendiants : "Venez le (le melon) chercher sans vos pieds". L'un d'eux répondit : "Donnez-le moi sans vos mains !". C'est de cette manière que Daito fut "piégé". Pour revenir à Richard Baker, il est difficile de ne pas faire le lien entre son poème et cette histoire (qu'il devait sans doute connaître) mais il est impossible de dire que Baker ne savait pas offrir ce morceau d'encens "sans main".