Kaikan a écrit :Donc, selon ce que j’ai pu en déduire, les maîtres rinzai suivent attentivement l’évolution de leurs élèves et pour ce faire on recours à ce que je vais appeler arbitrairement « la grille des koans ». Je veux dire par là qu’il y aurait en quelque sorte des étapes de compréhension de plus en plus pointues
Ceci n'est vrai que pour les moines. Les laïcs ne sont pas soumis à la "grille des kôans", ce qui ne les empêchent pas, bien sûr, d'y travailler et de soumettre leurs "réalisations" au maître durant sanzen.
et donc qu’il est possible que l’élève ait plusieurs kenshō avant la réalisation.
Pas tout à fait. Le kensho est indépendant du passage des kâons, même si le kensho peut être le résultat de ce passage, bien sûr. En clair, on peut "passer" les kôans sans avoir une véritable profondeur de vue, et donc le kensho. Mumon Yamada le dit de façon très explicite à Jyoji (voir "itinéraire d'un maître zen venu d'Occident"). Le kensho ne se mesure pas selon un degré de difficulté (de kôan) mais selon sa capacité "libératoire". Si le pratiquant est encore soumis à ses "démons" (ou ses makyo) il n'est pas encore libéré, même s'il a eu le kensho. Ce qui ne veut pas dire que son kensho manque de profondeur de vue mais que le karma est tel que la libération nécessite un "mûrissement" du kensho. Bien entendu, ce mûrissement ne vient pas tout seul. Les 10 tableaux du dressage du buffle est explicite sur ce point.
Sans exclure la possibilité d’un seul kenshō amenant la réalisation d’un seul coup.
La réalisation est indépendante de l'Eveil Complet et Insurpassable qui est libérateur. Le fait de voir dans sa vraie nature permet de ne plus se laisser abuser, mais ne libère pas. Ce n'est pas suffisant. Pour être un Bouddha, il faut non seulement réaliser mais aussi, et surtout, se libérer. C'est la libération qui prend le plus de temps (7 tableaux sur 10).
our le zen sôtô, les maîtres suivent tout aussi attentivement l’évolution de leurs élèves, mais ils considèrent que toute recherche est un obstacle à la réalisation.
C'est ce que j'avais compris, en effet. La difficulté, c'est que les adeptes du Sôtô pensent que cette recherche est dualiste, qu'elle se fait avec l'esprit dualiste, cherchant l'Esprit (la nature de Bouddha). Or, ce n'est pas ça. Ce n'est pas la recherche au sens du Rinzaï, mais je t'accorde volontiers que ceux qui s'adonnent à la pratique des kôans vont souvent dans ce sens, et c'est pourquoi ça ne garantit pas le kensho. Les maîtres savent bien sûr cela et c'est la raison pour laquelle ils ont retiré le protocole des kôans de la pratique laïque. Elle est conservée dans le Rinzaï mais uniquement parce que c'est un protocole initié par Hakuin — qui est le réformateur du Rinzaï — et, pour l'instant, personne ne songe à changer cela.
Donc ils disent que le satori est actualisé immédiatement dans la pratique de zazen sans but (mushotoku) en laissant l’esprit au-delà des pensées (hishyrio), un peu comme chez les tibétains de l’école Tilopa qui recommandent de laisser l’esprit dans son état ordinaire avant qu’on l’utilise et donc : ne pense pas, ne réfléchis pas, ne cherche pas, n’imagine pas, n’analyse pas, ne médite pas, laisse l’esprit dans son état sans affaires. Le zen sôtô appelle cela la « condition normale ». Il n'y a par conséquent rien à chercher.
J'avais bien compris cela, et cela diffère de la pratique Rinzaï car, ainsi que je le disais ailleurs, cela conduit à penser que Prajna est spontanée dans les 8 consciences. En fait, en laissant les pensées aller à leur guise, sans recherche (dans le sens indiqué plus haut), la réalisation n'est pas certaine (puisque Prajna n'est pas spontanée dans la conscience Alaya ou Manas) et l'on risque de "s'abîmer en samadhi", ce qui est nommé (par Hakuin) la "caverne des démons". Attention, je ne dis pas que le kensho ne peut pas arriver de cette façon, car cela dépend aussi du karma du pratiquant. Si le karma est favorable, alors le kensho viendra, mais supposer a priori, qu'on a un karma favorable, est risqué à mon sens.
Donc dans le sôtô le kenshō n’est pas reconnu et même toute trace de satori est considérée comme une impureté.
C'est un point de désaccord total avec le Rinzaï. Et qui, contrairement à ce qu'affirme Shalistamba, n'est pas si "futile" que ça. Et comme je le disais plus haut à shalistamba, je pense que cette divergence de vue n'est qu'en fait le résultat de la méconnaissance de ce qu'est le kensho, son mode de réalisation et sa profondeur pour son rapport à la Libération. Cela dit, je prends acte et te remercie pour ces indications.