Première apparition du buffle

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Dumè Antoni

Le plus simple, pour se représenter ce que peut être l'apparition (et le reconnaissance) du buffle, est de se considérer comme si l'on était mort ou bien avant la naissance ou plutôt la conception. En général, il nous est difficile de nous représenter le monde avant notre naissance ou après notre mort, parce que, par définition, nous n'en faisons plus partie. Mais pour nous aider, on peut imaginer le présent, c'est à dire l'espace de temps entre le passé et le futur. Cet espace de temps est en réalité très "étroit", car au moment où nous y pensons, il n'est déjà plus là, et parce qu'il nous est impossible de vivre dans le futur, le présent est une sorte de limite inaccessible. Pourtant, nous y sommes évidemment à chaque instant car nous ne pouvons pas être ailleurs qu'au présent. Cependant, on comprend bien que ce n'est jamais ou très rarement du présent dont nous avons conscience mais d'une succession plus ou moins continue de moments de conscience qui se rattachent les uns aux autres par un fil de pensée. Si nous étions capable de saisir le présent en conscience, notre propre esprit disparaîtrait.

Cette disparition de l'esprit est le kensho, car le kensho est la réalisation du présent, quand l'esprit n'en est plus à construire le continuum de conscience qui lui donne la sensation d'exister.

La pratique du Zen, jusqu'à la première apparition du buffle, consistera donc à atteindre le présent et l'on saura qu'on l'aura atteint quand l'esprit disparaîtra. Et alors, nous saurons que nous aurons atteint le 3ème tableau du dressage du buffle.


http://saijojozen.forumprod.com/premier ... 8.html#p96
FA

Bonjour,

C'est un peu comme si au cinéma la pellicule ralentissait au point où le fondu-enchainé qui simule l'impression de réalité, disparaissait en laissant entrevoir le défilement des images une à unes.
On prend conscience alors que le fil dans lequel nous sommes plongés est une illusion, due au défilement rapide d'unités discrètes que sont les images de la pellicule, l'illusion de la réalité résultant
de ce défilement rapide. delphinus
Cette disparition de l'esprit est le kensho, car le kensho est la réalisation du présent, quand l'esprit n'en est plus à construire le continuum de conscience qui lui donne la sensation d'exister.
Disparition de l'esprit où cessation momentanée d'un état de conscience ? Car il faut bien être conscient de l'expérience, pour pouvoir en parler. Cette expérience ne met-elle pas toujours en présence un sujet, expérimentant, un état de conscience altérée ?
Cette expérience tend à confirmer ce que par ailleurs la science moderne sait au sujet de la perception. On ne perçoit même pas la réalité-qu'elle-est, mais il s'agit d'une construction relationnelle du cerveau, assez fidèle pour nous permettre de prendre les bonnes décisions pour assurer notre survie.

J'aimerai poser la question suivante :
Pourquoi la réalisation du Kensho est-elle une expérience si importante dans la vie d'un zenniste ? Car après tout il nous faut bien vivre avec cette représentation de la réalité, qui nous construisons ?

Fa
Dumè Antoni

Disparition de l'esprit où cessation momentanée d'un état de conscience ? Car il faut bien être conscient de l'expérience, pour pouvoir en parler. Cette expérience ne met-elle pas toujours en présence un sujet, expérimentant, un état de conscience altérée ?
Non, il s'agit bien d'une disparition de l'esprit (qui n'est pas momentanée) et non de la conscience. L'esprit n'a rien à voir avec la conscience dans le contexte. Pour dire les choses autrement, c'est Prajna qui éclaire la conscience (il y a donc réalisation = aspect sapiential de l'expérience) de la nature de l'esprit qui est vacuité (vue comme une disparition, au sens littéral du terme, de l'esprit).
Pourquoi la réalisation du Kensho est-elle une expérience si importante dans la vie d'un zenniste ? Car après tout il nous faut bien vivre avec cette représentation de la réalité, qui nous construisons ?
Le kensho ne modifie pas le sens commun de la réalité : "les montagnes restent des montagnes et les plaines de plaines". En revanche, il permet de voir que ce que nous nommons esprit ou âme ou ego... n'est pas autre chose qu'un continuum de conscience comparable à des vagues sur la surface de l'océan, alimenté et entretenu par des désirs, des passions... qui obscurcissent la vue. Mais il n'est pas possible d'arrêter les vagues ; seulement les prendre pour ce qu'elles sont : des mouvements à la surface d'un esprit dont la nature propre est la vacuité. En fait, il n'est pas possible de les arrêter, mais le kensho est le signe de leur disparition (vacuité).
FA

Bonjour,

Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu entends par Esprit et Conscience et comment tu les différenties ?

Voilà comment je l'interprète :

Ce qui disparaît dans l'expérience du kensho, c'est l'enchainement des formations mentales, Est-ce cela que tu appelles l'esprit ?
La conscience elle demeure, et c'est elle qui expérimente le Kensho.
Ce que tu désignes comme étant Prajna.

Cela prouve en effet la vacuité de notre expérience du monde, qui dépend de facteurs de composition.
Bouddha est parvenu ainsi à "craquer le code" qui structure notre expérience du monde,
Il a trouvé une alternative, un cheminement qui se situe hors devenir, de la forme, du conditionnement mondain.

Fa
Dumè Antoni

Ce qui disparaît dans l'expérience du kensho, c'est l'enchainement des formations mentales, Est-ce cela que tu appelles l'esprit ?
Non, pas seulement. Ce que j'appelle esprit c'est le lien (continuum) entre ces enchaînement de formations mentales (ou moments de conscience) et qui nous fait croire en l'existence d'un moi, d'une âme, d'un esprit... qui pourrait, à l'instar d'un miroir, refléter des objets ou des phénomènes sans être pour autant (fondamentalement) affecté par ceux-ci. Or, il n'y a pas de miroir. Ceci est très important car l'idée communément admise est qu'il existerait un miroir "libre de reflet" qu'il faudrait donc débarrasser de souillures (ou d'erreurs) et/ou pacifier. Un tel miroir n'existe pas. Seule la vacuité est la nature véritable de l'esprit, et cette vacuité implique sa disparition effective dans le kensho.
La conscience elle demeure, et c'est elle qui expérimente le Kensho.
Non plus. La conscience n'expérimente rien. Elle est seulement une sorte de film sur lequel s'imprime la lumière de Prajna. Ce qu'il importe de comprendre, c'est que le kensho n'est pas une expérience inconsciente.
Ce que tu désignes comme étant Prajna
Prajna n'est pas la conscience. Prajna est désignée par la Sapience, mais en réalité, elle n'est pas quelque chose dont on puisse dire que c'est ceci ou cela. C'est la qualité de la nature de Bouddha, une source éclairante. Il n'y a pas d'expérience sapientiale sans Prajna. Bien sûr, Prajna illumine la conscience et c'est ce qui est appelé, dans d'autre traditions, "clarté du Dharmakaya", mais si elle illumine la conscience, elle n'est pas celle-ci.
Cela prouve en effet la vacuité de notre expérience du monde, qui dépend de facteurs de composition.
Bouddha est parvenu ainsi à "craquer le code" qui structure notre expérience du monde,
Il a trouvé une alternative, un cheminement qui se situe hors devenir, de la forme, du conditionnement mondain.
Je ne suis pas sûr que tu puisses tirer des conclusions justes de considérations qui sont à la base erronées. Je ne m'inscrirai donc pas dans la conclusion que tu apportes, même si ce que tu affirmes n'est pas faux.
FA

Mouais tu dis avec des termes très compliqués ce que je dis simplement.
C'est sûr c'est moins glamour !
Prajna n'est pas la conscience. Prajna est désignée par la Sapience, mais en réalité, elle n'est pas quelque chose dont on puisse dire que c'est ceci ou cela. C'est la qualité de la nature de Bouddha, une source éclairante. Il n'y a pas d'expérience sapientiale sans Prajna. Bien sûr, Prajna illumine la conscience et c'est ce qui est appelé, dans d'autre traditions, "clarté du Dharmakaya", mais si elle illumine la conscience, elle n'est pas celle-ci.
Le seul truc qui peut nous orienter dans cette existence est notre conscience, c'est sa fonction première, sans elle on est comme un légume. C'est le Skanda non-conditionné de notre existence, c'est pourquoi une forme de sagesse peut s'éveiller en elle. Prajna, prajna c'est comme tout, cela n'a pas d'existence inhérente. La sagesse, la prajna résulte de la prise de conscience qui peut résulter de la découverte de la vacuité de notre expérience, et donc de la réalité du non-soi.
Dumè Antoni

Mouais tu dis avec des termes très compliqués ce que je dis simplement.
Il n'y a rien de bien compliqué dans ce que je dis et je ne crois pas dire ce que tu affirmes, que ce sois "glamour" ou pas. Il existe une différence de taille entre le lien qui est la nature même du continuum de conscience et les enchaînements de formations mentales qui l'habillent, car le lien paraît subsister même quand il y a interruption des enchaînements des formations mentales (en samadhi, par exemple). Je ne crois pas que tu aies évoqué la disparition du "miroir sans reflet".
Le seul truc qui peut nous orienter dans cette existence est notre conscience, c'est sa fonction première, sans elle on est comme un légume.
Certes, mais cela ne signifie pas que la conscience soit Prajna. Les animaux ont une conscience, comme la totalité des êtres sensibles, oserais-je. Mais ça ne suffit pas pour s'éveiller. Pour s'éveiller, il faut Prajna. Ça n'est pas possible autrement.
C'est le Skanda non-conditionné de notre existence, c'est pourquoi une forme de sagesse peut s'éveiller en elle.
Il existe 8 consciences dans le Bouddhisme. A laquelle de celles-ci fais-tu allusions ? Je demande parce qu'il me semble que tu orientes la discussion dans un sens précis, qui est le point de vue des neurosciences. Je n'ai rien contre, mais j'aime autant qu'on parle dans le même langage. Par ailleurs, Prajna n'est pas une sagesse ni un forme de celle-ci. Une sagesse – comme la compassion ou l'omniscience – se développe à partir (et seulement à partir) de la réalisation de sa vraie nature, mais cette réalisation est assujettie à la brillance de Prajna. Autrement dit, Prajna n'est pas une sagesse mais est à la source de toutes les sagesses.
Prajna, prajna c'est comme tout, cela n'a pas d'existence inhérente. La sagesse, la prajna résulte de la prise de conscience qui peut résulter de la découverte de la vacuité de notre expérience, et donc de la réalité du non-soi.
C'est là que tu commets une véritable – et très grave – erreur. Prajna n'est pas un phénomène (en dépendance de la conscience ou de ce qu'on voudra) et n'est donc "vide d'existence inhérente". Elle ne résulte pas du tout de la prise de conscience mais en est la source car aucune prise de conscience, aucune réalisation sapientiale ne peut intervenir sans Prajna. Je pense très sincèrement que tu analyses le Zen ou le Bouddhisme sous l'angle d'une notion de "conscience non conditionnée" qui ressemble à s'y méprendre à une représentation éternaliste de la conscience et de Prajna, même si tu fais intervenir la notion de vacuité inhérente aux phénomènes qui est inadaptée dans le contexte. Ce n'est pas sur cette base que nous pourrons poursuivre un dialogue, je suis désolé.
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jules
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Dumè : Le kensho ne modifie pas le sens commun de la réalité : "les montagnes restent des montagnes et les plaines de plaines". En revanche, il permet de voir que ce que nous nommons esprit ou âme ou ego... n'est pas autre chose qu'un continuum de conscience comparable à des vagues sur la surface de l'océan, alimenté et entretenu par des désirs, des passions... qui obscurcissent la vue.
Excuses moi Dumè mais cette histoire de vagues sur la surface de l'océan etc ressemble furieusement à celle des nuages dans le ciel que tu critiques par ailleurs. :shock:
Dumè Antoni

En fait, ce que je critique ailleurs, ce n'est pas de voir les "vagues" comme des mouvements de notre propre esprit, et donc de la nature de celui-ci, mais la pratique qui consiste à regarder seulement cela comme si cela était suffisant. Relis bien ce que j'ai écrit et tu verras que je précise "qu'il convenait de les laisser aller comme des "nuages dans le ciel" en considérant (à tort) qu'il n'y avait rien au-delà". Cette pratique de ne pas chercher à arrêter les vagues est celle qui se situe très loin après le kensho et en aucun cas avant le kensho. On ne peut pas arrêter les vagues mais on doit pouvoir les faire disparaître. Si l'on n'est pas capable de cela (de les faire disparaître) cela revient à conduire un véhicule qu'on ne sait pas piloter. On pense que ça marche tant qu'il n'y a pas d'accident, mais c'est seulement de la chance (qui n'a qu'un temps). En d'autres termes, considérer qu'il n'y a rien au-delà, cela revient à mettre la charrue avant les boeufs car tant qu'on ne sait pas faire disparaître les vagues (c'est à dire tant qu'on n'a pas le kensho), il ne sert à rien de remarquer qu'elles sont vides de nature propre, car on ne sait pas vraiment s'en protéger (le cas échéant).
FA

Prajna n'est pas un phénomène (en dépendance de la conscience ou de ce qu'on voudra) et n'est donc "vide d'existence inhérente"
Bonjour,

Je ne crois pas avoir relégué Prajna au rang de phénomène, Prajna n'en est pas moins vide d'existence inhérente. Comme tout d'ailleurs, y compris la vacuité elle-même c'est dire...
Du reste je pense qu'il faut faire attention au terme vacuité, car dans le bouddhisme, c'est un concept qui peut revêtir pas au moins de 18 significations différentes. Bref si on fait pas gaffe, on peut faire dire
au mot vacuité n'importe quoi, ou l'interpréter à sa sauce, ce qui peut générer bien des malentendus...
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