Taisen Deshimaru : la vanité de la recherche spirituelle

Katly

La vanité de la recherche spirituelle


« L’homme qui a cessé d’étudier (et ne cherche plus rien), l’homme qui ne veut ni stopper ses illusions ni poursuivre la vérité, cet homme est le vrai Bouddha, le vrai Bodhisattva, le vrai Maître, celui qui a obtenu la vie cosmique : l’homme véritable, en harmonie avec la vérité des choses. Il a abandonné son propre ego et suit de façon absolue le véritable système cosmique.
Il a obtenu le vrai satori inconsciemment.
Ceux qui ont le satori ne le savent pas consciemment.
Si quelqu’un pense : « Je suis un homme bon », il n’est pas si bon que cela. S’il pense : « je suis un peu fou », en fait il n’est pas si fou, et inversement. Pour le satori, il en est de même.

Qu’est-ce que l’éveil ? Se comprendre soi-même.
Quand on est éveillé, plus besoin de chercher et de faire de vains efforts. La plupart des gens cherchent sans cesse, à droite, à gauche, dans les livres, à travers des pratiques compliquées, etc. Mais cela est vain. Il est possible d’aller tout droit et directement, en suivant l’ordre cosmique.
Nous devons comprendre qu’il est inutile d’aller chercher ailleurs. La vérité est là, ici et maintenant, en nous-mêmes. Sinon, nous demeurons comme des enfants désirant un chocolat et qui, lorsqu’ils voient une poupée…, puis un bonbon…, puis autre chose, changeant sans cesse. Notre société de consommation déclenche le même mouvement : on veut une belle maison, une belle auto, une belle femme…Puis le changement perpétuel.
Aussi ne faut-il pas imiter, mais trouver sa propre nature. Ne pas subir l’influence des autres, car l’essence de vous-même, de votre personnalité, est unique et se trouve en vous : véritable ego, vrais sens de l’individualisme qui n’a rien à voir avec l’égoïsme, qui, lui, reste le fruit de notre ego remplis de désirs.

Dans le sutra du Lotus il est écrit : « La vérité est toute proche, le vrai trésor se trouve tout près, il n’est ni compliqué ni éloigné…Mais nous sommes incapables de le voir. » Le Dieu véritable, le Bouddha authentique existe dans notre esprit, mais nous le recherchons très loin. On veut définir le satori, on fait des catégories et on finit par tomber en enfer. Pourquoi échouons-nous dans l’enfer ? Parce que nous imaginons un monde utopique et lointain comme le mirage de l’homme assoiffé dans le désert. On approche et il n’y a plus rien, seulement vent et sable : c’est cela l’enfer. L’extase aussi se révèle semblable à cet état. On veut s’échapper de là où l’on est, on ne veut pas rester ici et maintenant. Mais lorsqu’on a changé, on regrette ce qu’on avait auparavant et cela apparaît alors comme un paradis perdu. Toujours chercher crée une très grande souffrance. La vraie paix, la tranquillité d’esprit est absente de ce désir, désir de changement…de gagner de plus en plus, en amour, en affaires…d’obtenir le satori.

Quand on a le satori, on peut comprendre qu’il n’y a pas de satori.

Avant l’obtention du satori, le satori est une illusion. Après son obtention, il n’est plus besoin de satori.
L’homme qui a le satori n’a plus besoin de satori, l’homme qui n’a pas le satori veut obtenir le satori. Le satori échappe à ceux qui veulent l’obtenir. Le satori vient inconsciemment, naturellement automatiquement.

Avoir le satori signifie « devenir comme une feuille de papier blanc », tout est sans forme, sans différences.
On peut continuer zazen jusqu’à la mort et ne jamais avoir le satori. D’autres l’obtiennent à travers leur travail ou au toilettes, sans même être moine.
Le satori est le retour à la condition normale, à celle de Bouddha ou de Dieu, car nous sommes identiques à eux, chacun possède la nature de Bouddha.

Vouloir échapper à l’illusion pour ne saisir que la vérité reste aussi le fait d’un esprit de sélection et de discrimination, artificiel et imitateur.
Ne pas sélectionner, ne pas seulement chercher la vérité, ne pas abandonner les illusions, telle est l’essence du Mahayana. Les bouddhistes européens ne l’ont pas bien compris.

Vouloir abandonner les illusions et posséder la vérité est aussi une illusion. Cela signifie que nous ne devons pas créer des illusions ou une vérité dans notre esprit par notre propre volonté. Affirmer que la pauvreté et le malheur et la richesse bonheur est une erreur. Pour l’enfant qui vient de naître, cela n’existe pas et n’a aucun sens. Sans illusion, il ne connaît ni dieu, ni fantômes, ni enfer. Par la suite, les hommes lui enseignent les noms de ces catégories, de ces illusions de l’esprit.

Le satori ne s’obtient pas « après » la pratique de zazen, le satori se trouve ici et maintenant, en zazen.

Ici et maintenant, nous ne devons pas nous échapper de nous-mêmes. Je parle toujours de « ici et maintenant », notion très importante. Par exemple, vous pensez toujours : « Mon travail n’est pas parfait aujourd’hui, je dois penser au futur, je ne suis pas heureux… » Vous n’êtes jamais heureux au moment présent, mais c’est pourtant ici et maintenant qui demeure important. Si vous ne pouvez être heureux ici et maintenant, vous ne pourrez jamais l’être.

La vérité est ici et maintenant. Quand vous êtes en train de manger, elle est dans votre nourriture. Quand vous buvez du café, dans votre café, sur votre table. La vérité est dans les montagnes, dans les rivières, dans le ciel, les champs, les rues, le métro…Partout.
Je vous dis souvent que la vérité est aussi dans les toilettes ; les toilettes sont un vrai dojo. Quand vous faites la cuisine, la cuisine devient un dojo.
Le restaurant où vous mangez devient aussi un dojo. Partout, en tous lieux, votre posture est importante, la façon dont vous mangez, ce que vous dites…La Voie est partout, sous vos pieds.
Je dis toujours que si vous avez un but, si vous voulez obtenir le satori, vous échouerez. Si vous vous concentrez sans but, vous aurez le satori, inconsciemment.
La plupart des gens veulent trouver la vérité, avoir le satori, comprendre le Zen. Inutile de posséder la vérité, c’est de l’égoïsme ; et d’ailleurs, elle existe partout, ici et maintenant.

« Ne pas chercher le satori, ne pas couper les illusions » comme il est écrit au début du Shodoka.
Les livres actuels sur le Zen, aux Etats-Unis ou en Europe, font beaucoup d’erreurs à ce sujet.

La dégénérescence vient d’un trop grand matérialisme, d’un trop grand individualisme et égocentrisme, d’absence de spirituel. Cette dégénérescence ne fait que s’accentuer depuis le Bouddha et le Christ. La spiritualité est devenue comme un vin mêlé avec l’eau, qui a perdu sa saveur et sa couleur.

Nous sommes remplis d’illusions, nous rêvons à une autre vie après la mort, à un autre monde, un paradis où nous voudrions renaître ; tout cela n’est pas nécessaire. Tel est le véritable paradis. Ceux qui oublient l’ici et maintenant, et qui ne pensent qu’a leur avenir et à ce qui suivra leur mort, oublient l’essence et la racine de la vie : remplis d’illusions et du désir de posséder, ils ne peuvent avoir le vrai satori.
Ne pas manger de viande et de poisson pour préserver son corps et vivre mieux, ne pas se marier pour devenir un grand moine avec une personnalité forte et réussir dans la vie religieuse – cette attitude égoïste reflète un manque d’harmonie et un manque d’amour des autres.

La plupart des religions apprennent à craindre l’enfer, et à désirer le paradis ; tout cela n’est que du théâtre pour enfants. Pas nécessaire d’avoir peur ou de se réjouir à cause de l’argent, du pouvoir, de la possession, ni de vouloir obtenir le satori.

L’homme qui se connaît lui-même, celui qui demeure en harmonie avec le système cosmique. Cela signifie devenir le Bouddha, ne pas courir après la vérité, ne pas fuir les illusions, être toujours naturel, dans la condition normale, suivre le système cosmique inconsciemment, naturellement, automatiquement.

On ne peut emporter son or dans son cercueil. Une belle femme sans sa peau est comme un lapin écorché.
Le démon ne diffère pas du Bouddha.
Si les hommes n’existaient pas, il n’y aurait pas besoin de Dieu ou de Bouddha.
Le ventre de la mère est aussi tranquille que la tombe. »

Taisen Deshimaru


FleurDeLotus



<<metta>>
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Flocon
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Très beau texte.
Deshimaru avait vraiment un style puissant. ba11
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
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FleurDeLotus
Merci, c'est plein de fraîcheur ce matin à lire vos mots.
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
lausm

Ouais, il soufflait fort! En tous cas, ça recentre le débat, et c'est toujours très actuel! Super contribution,,grand merci!
Jean

Vanité de la recherche spirituelle?

Si on a une pratique essentielle, et que l'on est intéréssé par la spiritualité, pourquoi cela serait forcément une expression de vanité de faire des recherches vouloir comprendre d'autres chemins spirituels? Et dans le cas de la spiritualité il y a deux aspects, la recherche intellectuelle et la recherche expérimentale. La recherche spirituelle peut-être un violon d'Ingres si on a sa propre pratique essentielle, pas forcément de la vanité, au même titre que la recherche des differents type de papillons qui vivent en Amazonie?

Il me semble pas que le principe seul de recherche soit expression de vanité? Mais seule la recherche spirituelle le serait?

Les gens qui écoutaient Deshimaru avaient fait de la recherche spirituelle pour arriver à lui. Et Déshimaru dit "Stop! Vous avez trouvé, ne cherchez plus". A ce moment là, je trouve les Jésuites plus ouverts. Ils ont étudié le Bouddhisme, l'Hindouisme, la religion musulmane, tout en gardant leur foi Catholique.etc

Il y a des gens qui sont passés par lui et qui ont continué leur recherche et qui se sont trouvés trés à l'aise dans le Théravada, avec TNH ou dans le BT. L'inverse est aussi vrai.

la condamnation de la recherche spirituelle me fait un peu peur. Condamnation, lapidation, arrachage des yeux, démembrement, dépeçage, bucher...la routine.

D'un point de vue Zen, cela se comprend "Tout est dans l'ici et maintenant", mais je trouve que cela manque de nuance.

Vue d'une manière positive la recherche peut être un signe d'ouverture d'esprit

Il y a ce poeme de lama Guendune qui dit la même chose mais sans l'accusation de "vanité"

Le bonheur

ne se trouve pas
avec beaucoup d'effort
et de volonté
mais réside là, tout près,
dans la détente et l'abandon.
Ne t'inquiète pas,
il n y a rien à faire.
Tout ce qui s'élève dans l'esprit
n'a aucune importance
parce qu'il n a aucune réalité.
Ne t'y attache pas.
Ne te juge pas.
Laisse le jeu se faire tout seul,
s'élever et retomber, sans rien changer,
et tout s'évanouit
et commence à nouveau sans cesse.
Seule cette recherche du bonheur
nous empêche de le voir.
C'est comme un arc-en-ciel
qu'on poursuit sans jamais le rattraper.
Parce qu'il n existe pas,
qu'il a toujours été là
et t'accompagne à chaque instant.
Ne crois pas à la réalité
des expériences bonnes ou mauvaises,
elles sont comme des arcs-en-ciel.
A vouloir saisir l'insaisissable,
on s'épuise en vain.
Dès lors qu'on relâche cette saisie,
l'espace est là, ouvert,
hospitalier et confortable.
Alors, profites-en.
Tout est à toi, déjà.
Ne cherche plus.
Ne va pas chercher
dans la jungle inextricable
l'éléphant qui est tranquillement
à la maison.
Rien à faire.
Rien à forcer.
Rien à vouloir.
Et tout s'accomplit spontanément...
Dernière modification par Jean le 30 janvier 2014, 13:19, modifié 1 fois.
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La recherche spirituelle peut-être un violon d'Ingres si on a sa propre pratique essentielle, pas forcément de la vanité, au même titre que la recherche des differents type de papillons qui vivent en Amazonie?
<<metta>> :)

La vanité c'est sans doute celle qui est au fond de nous et qui cherche à attraper ses certitudes...? Butterfly_tenryu
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
lausm

Pas de panique, Jean, je pense que ce que Deshimaru a dit était très contextuel...mais je trouve que ça ne vieillit pas.
Après, tu l'as connu, avec ses défauts...il était comme beaucoup, il voulait que la boutique tourne!

Mais avec le recul, je trouve ce discours très moderne....après tout, il disait ça en un temps où le progrès technique effaçait toute velléité spirituelle, il n'était pas tant la mode qu'aujourd'hui d'être dharmique. Fallait oser.
Oser critiquer aussi ce qui se faisait dans des "spititualités-systèmes".
Mais bon, quand on lit Deshimaru, on voir en fait une grande fidélité à ce que Dogen a compris.
Au final, si il y a bien un truc où ça rejoint le Dzogchen, et même le Taoisme, c'est bien sur ce point : au final, on est déjà arrivé....ne reste qu'à le reconnaître.
Shu Sho Ichi Nyo, disait Dogen : satori et pratique sont un.
Sho Butsu Ichi Nyo : le Bouddha et les êtres ordinaires sont un.

En fait, c'est totalement moderne et totalement traditionnel!
Mais là, c'est la tradition-racine, pas la tradition-costard.

et cela, je me demande si ses disciples ne l'ont pas oublié aujourd'hui : se rappellent-ils de cela :

"On peut continuer zazen jusqu’à la mort et ne jamais avoir le satori. D’autres l’obtiennent à travers leur travail ou au toilettes, sans même être moine.
Le satori est le retour à la condition normale, à celle de Bouddha ou de Dieu, car nous sommes identiques à eux, chacun possède la nature de Bouddha
.

Vouloir échapper à l’illusion pour ne saisir que la vérité reste aussi le fait d’un esprit de sélection et de discrimination, artificiel et imitateur.
Ne pas sélectionner, ne pas seulement chercher la vérité, ne pas abandonner les illusions, telle est l’essence du Mahayana. Les bouddhistes européens ne l’ont pas bien compris.

Vouloir abandonner les illusions et posséder la vérité est aussi une illusion. Cela signifie que nous ne devons pas créer des illusions ou une vérité dans notre esprit par notre propre volonté. Affirmer que la pauvreté et le malheur et la richesse bonheur est une erreur. Pour l’enfant qui vient de naître, cela n’existe pas et n’a aucun sens. Sans illusion, il ne connaît ni dieu, ni fantômes, ni enfer. Par la suite, les hommes lui enseignent les noms de ces catégories, de ces illusions de l’esprit.

Le satori ne s’obtient pas « après » la pratique de zazen, le satori se trouve ici et maintenant, en zazen.

Ici et maintenant, nous ne devons pas nous échapper de nous-mêmes. Je parle toujours de « ici et maintenant », notion très importante. Par exemple, vous pensez toujours : « Mon travail n’est pas parfait aujourd’hui, je dois penser au futur, je ne suis pas heureux… » Vous n’êtes jamais heureux au moment présent, mais c’est pourtant ici et maintenant qui demeure important. Si vous ne pouvez être heureux ici et maintenant, vous ne pourrez jamais l’être.
"

Je crois que là, tout est dit, mais que beaucoup l'ont oublié.

Tu l'as trouvé dans quel bouquin, ce passage, Katly?
Katly

Par hasard, sur un forum. Cela m'a frappé net, comme un éclair.
Je l'avais mis de côté, non-publié sur mon p'tit blog. :) Et cela m'est revenu de le lire ! :D
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