A celui qui sait entendre...

longchen2

Je reprends ici un petit extrait du texte en ligne:
Une illustration vient du Dogen (1200-1253). Pour les bouddhistes du Dogen tous les êtres qui ont des sentiments sont sans exception la nature du Bouddha. Cette vision du Bouddha s’ouvre à toutes formes vivantes ou non. Le texte intitulé Montains and Waters Sutra (Sansui-kyo) est capital. Pour le Dogen les pays et les terres, les montagnes et les rivières possèdent toutes la nature de Bouddha. Ce n’est pas la marche humaine qui en est la cause mais celle de la montagne qui est a considérer de manière autonome. Chacun et chaque objet suivant leur voie de manière autonome.

Pour le Dogen, les montagnes et les rivières
sont elles-mêmes des sutras ou expressions du Bouddha.
Est-ce qu’il s’agit de comprendre que pour le Dogen les montagnes et les rivières sont des êtres sensibles (doués de sentiments), indépendamment de nos projections humaines ?
Je rame...
lausm

Je ne pense pas vraiment.
En fait, puisque nous sommes en plein trip non dualiste, et puis pour rester fidèle à Dogen, et surtout au-delà de Dogen, à la réalisation, je pense que ce que signifie ce genre de présentation, c'est de nous décentrer d'une vision égotique.
Et aussi, je pense, de déconstruire la tentation immédiate de la transférer ailleurs, sur des objets, par exemple.

Si Dogen disait que l'univers n'est pas doté de la nature de Bouddha, cela signifierait la séparation de l'homme et de la nature.
Alors certains commentateurs diraient que Dogen critiquait les thèses naturalistes.
Je pense que Dogen avait un esprit bien plus vaste que cela : on voit à la lecture du Shobogenzo, que fréquemment il emploie des termes, théories et langages issues d'autres écoles qui pouvaient être perçues comme concurrentes, ou percevoir le zen de Dogen comme concurrent.
Mais il subvertit ces enseignements sans les trahir, en les absorbant dans quelque chose de plus grand, d'universel.

En fait on s'en fiche de savoir si les montagnes ont une conscience ou pas....car on ne se préoccupe plus de la conscience personnelle.
On se préoccupe de la Conscience tout court.
Si on disait qu'elle est limitée à une classe d'êtres, d'existence, on la limiterait, ce serait une pure expression de séparation entre soi et l'autre.
Si on la disait indifférenciée, ce serait se perdre dans l'infini du sans forme.

Je pense qu'en formulant les choses ainsi, Dogen remet l'homme à sa place d'homme, mais en même temps à sa place d'homme éveillé potentiel.
et puis, j'ai entendu ce genre de textes en zazen, avec le bruit du vent au loin, le son de la rivière qui coule, le bruit des oiseaux, le chien qui jappe au loin dans le silence, le bruissement des feuilles......c'est à ces moments là qu'on comprend le mieux ce qu'il a voulu dire, dans le ressenti.

Si Tokuda a passé tant de temps sur deux mots, je pens que c'est justement parce qu'ils contiennent tellement de possibles, qu'il a voulu les éclairer sous toutes les coutures....et aussi parce que ces mots ont des acceptions différentes selon le contexte.

Je cite Yoko Orimo dans son commentaire sur sa traduction du sansuikyo (donc il y a cette traduction mais je ne la trouve pas extra au niveau du vocabulaire choisi) : "....-le sansui kyo-place au premier plan la question de la Nature. Or, aussi curieux que cela puisse paraître aux yeux des occidentaux, le mot nature (shizen-ziran en chinois)-qui veut dire littéralement "ce qui advient spontamément","ce qui est tel quel par soi-même-ne commencera à être reconnu en tant que nom qu'en 1891, dans le grand dictionnaire japonais Genkai. Le mot "shizen" n'est que la traduction du concept occidental de "nature", concept qui n'existait pas dans la pensée sino-japonaise. C'est par ce mot composé "sansui"(montagnes et rivières), que la culture sino-japonaise désigne traditionnellement la "nature" dans sa concrétude et avec tout sa pureté et sa noblesse. Lorsque Dogen emploie le mot "nature"(shizen) en tant qu'épithète, c'est toujours contre l'hérésie naturaliste dépourvue de la dimension de la pratique."

et dans le fait, le sansui kyo est le seul et unique chapitre du Shobogenzo qui porte le titre de sutra (kyo) dans son nom.
Alors qu'il y a d'autre chapitres autrement plus "dharmiques" au sens d'un enseignement plus formellement "orthodoxe" du bouddhisme.
Cela signifie pas mal de choses!
ted

longchen2 a écrit :Dans le cas du bruissement d'une feuille par exemple, jusque là c'est d'accord et je pense que tous les humains (et les animaux aussi) entendent le même son s'ils sont confrontés au même phénomène ; mais peut-on dire pour autant que ce bruissement sera comme un enseignement pour certains, comme un Bouddha pourrait donner un enseignement à des disciples en employant les mots. C'est curieux quand même.
Car il est question que dans ces choses là on puisse entendre à Loi (certes à qui sait entendre)....
Je m'interroge quand même, souvent je repense à cette histoire.
Il me semble que c'est en rapport avec la coproduction conditionnée. Et avec le contact (pali : phassa.)
  • Coproduction conditionnée : pratitya-samutpada

    parce que l'ignorance existe, les formations mentales existent;
    parce que les formations mentales existent, la conscience existe;
    parce que la conscience existe, les phénomènes physiques et mentaux existent;
    parce que les phénomènes physiques et mentaux existent, les six sens existent;
    parce que les six sens existent, le contact existe;
    parce que le contact existe, les sensations existent;
    parce que les sensations existent, le désir existe;
    parce que le désir existe, la saisie existe;
    parce que la saisie existe, le devenir existe;
    parce que le devenir existe, la naissance existe;
    parce que la naissance existe, la vieillesse et la mort existent.
Nous avons 6 sens et donc, n'importe quel phénomène peut engendrer un contact (pali : phassa) puisque tous les phénomènes sont perçus par la porte de nos sens.
De ce contact (phassa) va naître une sensation (vedana) agréable, désagréable ou neutre. En fonction de notre karma.
Donc, si on comprend comment on passe d'une perception, à une sensation, on comprend comment fonctionne le maillon "contact" de la coprod.
Et si on comprend complètement comment fonctionne un maillon, on peut briser la chaîne à cet endroit.

Sachant que tous les phénomènes aboutissent à un point de contact en nous, tous les phénomènes sont donc susceptibles de nous enseigner la programmation de notre phassa. En ce sens, tous les phénomènes sont nos maîtres. En tout cas, je le comprends comme ça... :)
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Flocon
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ted a écrit :En tout cas, je le comprends comme ça
Moi aussi. Il y a un sutra ancien qui expose la même chose dans des termes proches, c'est le Sutra de la Pousse de Riz, qui insiste par ailleurs sur la pureté foncière des phénomènes, en sus de leur pouvoir pédagogique.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
longchen2

Merci pour vos éclairages les boubous, cela me donne à réfléchir jap_8
<<metta>>
longchen2

Hello,
Est-ce que dans le zen soto le concept de « Terre pure » est considéré ?

Je le demande car je me suis souvenu (pas très précisément) de la façon dont la terre pure d’Amitabha est décrite et il me semble que l’on y trouve que les arbres prêchent le dharma (le vent dans les feuilles il me semble), que les oiseaux chantent le dharma etc.

Pourrait-on faire un rapprochement avec ce que dit Dôgen ?
FleurDeLotus
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Dans le Soto tel qu'il est pratiqué actuellement je ne sais pas ce qu'il en est (quoiqu'il me semble me souvenir que Deshimaru a écrit à propos d'Amida, mais :?: ). Mais dans le Chan chinois, qui procède d'une unification entre les écoles Caodong (Soto) et Linji (Rinzaï), la Terre Pure est très importante. Et les arbres qui y enseignent le Dharma sont la même chose que ceux dont parle Dôgen, certainement.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
longchen2

Intuitivement si je peux dire j'irai peut être dans ce sens là, parce que c'est un peu ce qu'il m'avait semblé comprendre, mais :?:
J'aurais peut être l'occasion de me faire préciser cette question si cela se présente.
Merci jap_8
lausm

longchen2 a écrit :Hello,
Est-ce que dans le zen soto le concept de « Terre pure » est considéré ?

Je le demande car je me suis souvenu (pas très précisément) de la façon dont la terre pure d’Amitabha est décrite et il me semble que l’on y trouve que les arbres prêchent le dharma (le vent dans les feuilles il me semble), que les oiseaux chantent le dharma etc.

Pourrait-on faire un rapprochement avec ce que dit Dôgen ?
FleurDeLotus
On peut toujours, car si on lit Dogen, il fait un rapprochement avec tout ce qui existe.
Dans le Shobogenzo, on voit des allusions au bouddhisme Shingon -chapitre Mitsu Gyo, en abrégé Mikkyo, qui est un des noms du bouddhisme tantrique au Japon-, a la pratique des dharanis...il doit y avoir des allusions a la Terre Pure, mais je ne sais où. Pour lui, la terre pure est dans la pratique meme, je pense.
Plein d'allusions au sutra du Lotus, qui était censé représenté le véhicule transcendant tous les véhicules, émaillent son discours -hokke ten hokke est un chapitre dédié au sutra du Lotus.
Deshimaru a pu parler d'Amida, sa mère était profondément amidiste, et il disait que ça avait influencé son regard sur la vie spirituelle....mais on oublie que son premier engagement personnel a été dans le christianisme.
Voir le zen soto comme exclusif des autres tendances, est très dommage, et en meme temps lié a des faits...Dogen a bataillé contre les autres qui n'acceptaient pas sa vision large du bouddhisme...et Jacques Brosse, dans son livre "les maitres zen", dit que s'il avait au départ une vision oecuménique, il est devenu par la force des choses et contre son désir premier, chef d'un courant qui fut nommé par la suite zen soto.
En fait, au Japon, la plupart des moines sont immergés dans plein de courants différents qui se cotoient, se croisent et s'entrecroisent, plein de moines pratiquent dans une école particulière, puis se retrouvent dans une autre -entre tendai, shingon, zen soto ou rinzai, et d'autres encore, sans compter la cohabitation avec le shinto.
Dogen lui meme est le fruit de cette histoire dans son propre cursus.

Mais dans ses poèmes, plus particulièrement, on trouve des images évocatrices, liées a la nature, il en a fait des très profonds et très beaux, c'est peut etre la dimension de sa personne qui me parle le plus. Notamment dans le San Sho do ei, les chants du pin parasol.
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Flocon
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lausm a écrit :Deshimaru a pu parler d'Amida, sa mère était profondément amidiste, et il disait que ça avait influencé son regard sur la vie spirituelle....
Ah voilà, c'est ça! Merci de l'avoir rappelé, je l'avais oublié.
On ne pratique aucune récitation du nom d'Amida dans le Soto actuel, du moins en France?
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
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