un moine zen en France : constat d'une situation

lausm

Bonjour.
Je voulais partager ce texte que j'ai trouvé ici : http://www.shobogenzo.eu/archives/2013/ ... 50504.html

Que je trouve etre le constat qui pose courageusement et clairement des questions liées a la pratique du zen et au cadre qui y est lié dans beaucoup de ses structures.

Voici un message de Guillaume Tachon moine zen qui décrit ainsi son itinéraire :
Après avoir obtenu mon diplôme de l'école de commerce de Nancy en 2008, j'ai décidé de me consacrer entièrement à la pratique du zen et j'ai emménagé à la Gendronnière en janvier 2009. J'ai fait un ango de formation de trois mois en 2012 au temple de Shogoji au Japon et j'ai quitté la Gendronnière en décembre 2012. Je vis actuellement à Blois ou je travaille comme encadrant maraîcher aux jardins de cocagne.
J'ai 28 ans et suis moine zen depuis 2 ans
Guillaume lance des pistes de réflexion très intéressantes, n'hésitez pas à faire part de vos réactions et de vos propres propositions en postant un commentaire à la fin de ce message.


Un moine zen en France, quelques pistes de réflexion


Très brièvement, en Occident la notion de moine vient entre autres des premières communautés de chrétiens qui se sont regroupés à partir du quatrième siècle dans la région du Proche Orient pour mener une vie commune en suivant une règle précise (règle de saint Pacôme, règle de saint Benoit etc). Pour plus d'informations à ce sujet voir : http://www.shobogenzo.eu/archives/2013/ ... 48399.html"

Dans la tradition bouddhiste primitive, le pratiquant qui souhaite s'engager pleinement devient bikkhu - qui vit de mendicité - il quitte son foyer, se rase le crâne et mène une vie errante en s'attachant à suivre les règles du vinaya. Le chan chinois et le zen japonais ont progressivement abandonné les règles du vinaya jugées trop contraignantes : les pratiquants suivaient les dix préceptes majeurs et les 49 préceptes mineurs ; ils pouvaient vivre soit en monastère, soit comme moines mendiants.

Or ceux qui portent le titre de moine zen à l'heure actuelle (et dont je fais partie) n'ont rien de commun avec cela : les moines zen modernes en Occident vivent en grande majorité en société et en famille. Le système bikkhu (ou shukke, au Japon) est à mon sens une distinction sociale, la dénomination d'une catégorie avec des règles de vie bien précises, des coutumes, des marques physiques (kasaya, crâne rasé). Par conséquent la spécificité d'un groupe social se reconnaissant au travers de rites et de règles communes ne correspond pas à notre manière de pratiquer.

Au Japon, un pratiquant désireux de s'engager dans la voie a le choix entre deux possibilités :
- Effectuer la prise de refuge, la cérémonie du repentir, la cérémonie des dix préceptes et demeurer au sein de la société : il sera alors un laïc pratiquant, ce que nous nommons un bodhisattva. Cette cérémonie se nomme zaike tokudo.
- Ou bien il peut choisir de quitter la vie sociale et s'engager dans l'ordre du zen soto : la cérémonie est alors sensiblement la même et s'appelle shukke tokudo. Dans ce cas, il passera un temps plus ou moins long en monastère où, au bout de six mois de formation au minimum (généralement cela prend un ou deux ans), il accomplira automatiquement les cérémonies d'hossenshiki (shusso), shiho (transmission) et zuise (inscription dans la lignée) puis obtiendra le titre de kyoshi (enseignant). Il pourra alors reprendre un temple de famille (90% des moines sont fils de moine) dont il gérera le quotidien en assurant les services de prêtrise (célébrations mortuaires, etc) et de conseils spirituels de la même manière qu'un prêtre catholique en France. Il peut également choisir de rester en monastère.

Dans l'A.Z.I., les ordinations de bodhisattva puis de moine sont successives. Ces étapes reflètent une gradation dans l'engagement d'un pratiquant sur la voie bouddhique mais c'est une invention récente qui existe surtout parmi les héritiers de maître Deshimaru. Or ces deux voies ne sont pas graduelles mais parallèles.
Bien que le moine zen moderne japonais ne suive ni le vinaya ni même la majorité des préceptes, il a un rôle social, une position reconnue. Il appartient à une catégorie socio-professionnelle bien distincte au sein de la société japonaise.
Mais rien de tout cela en France

D’où la problématique identitaire qui m'anime : mon ordination de moine n'a aucun sens en tant que telle car elle symbolise mon appartenance à un groupe social, l'ordre du zen soto, dans lequel je ne me reconnais pas. Pour moi, seule la prise de refuge et la cérémonie des préceptes ont une signification claire, réelle et profonde pour un pratiquant actuel.

Ne pourrait-on pas envisager de remettre au centre la prise de refuge comme étant un aboutissement en soi de la pratique sans qu'il soit nécessaire de devenir moine pour être reconnu comme un "vrai pratiquant" ?

Ne sommes-nous pas en train de créer une sorte de nouveau statut à mi-chemin entre le laïc et le monastique ? Ne serait-il pas intéressant de réfléchir au sens de la pratique dans notre vie quotidienne à partir de cette vision ?

Ne pourrait-on pas étudier le système du lama tibétain qui me semble parfois plus pertinent pour décrire la pratique de nombreux moines ou nonnes zen en France ?

Une autre problématique me touche personnellement : petit à petit se forment des communautés en France mettant le zazen, le samu et les rites du zen soto au centre de leur vie. Des centres tels que Kanshoji en Dordogne ou Fudenji en Italie ne m’intéressent pas vraiment car ils tentent de calquer le système japonais.

Le temple zen bouddhiste de la Gendronnière, qui n'est pas, jusqu'à présent, un monastère typique du zen soto mais plutôt un exemple de vie communautaire basée sur la pratique du zazen et du travail, pourrait en revanche être un laboratoire extrêmement intéressant pour la pratique du bouddhisme zen en France.
Car en effet, comment répondre aux vocations de ceux qui souhaitent s'extraire d'un mode de vie ordinaire insatisfaisant, mettre la pratique du bouddhisme au centre de leur vie sans pour autant adhérer à un mode de vie monastique stricte qui in fine est réservé à une élite et à un profil de gens très particuliers ?

La réflexion sur notre identité de moine ne doit-elle pas s'accompagner d'une réflexion sur le sens du "vivre ensemble" en tant que pratiquant du zen ? En mettant de coté cette « barrière » du moine, en réfléchissant profondément à ce que signifie le sentiment religieux et comment le manifester dans une vie communautaire, en se recentrant sur la pratique du recueillement assis et du travail désintéressé, il me semble que l'on pourrait créer une dynamique autrement plus intéressante que ce qui se fait actuellement.

Nous pourrions imaginer un rythme à plusieurs niveaux avec des personnes qui vivraient sur place en payant un loyer tout en continuant d'exercer à temps plein une activité professionnelle à l’extérieur et sans avoir à suivre le rythme de vie communautaire dans sa totalité - la pratique du zazen quotidien devant bien sûr rester le ciment liant tout le monde. D'autres qui pourraient utiliser les infrastructures sur place telles que le four à bois, les champs de blé et le moulin ou bien le potager ou encore la forêt et les outils d'abattage afin de fournir des biens à la communauté et de vendre les surplus leur permettant d'avoir un apport d'argent décent. D'autres enfin pourraient vivre sur place à temps plein et gratuitement, assurer le service du quotidien et être soutenus financièrement par les actifs qui travaillent à l’extérieur.

Ce ne sont que quelques exemples, les modalités organisationnelles sont nombreuses et il ne tient qu'à nous de les imaginer.


Il me semble que la notion de moine est aujourd'hui peu pertinente car génératrice d'illusions vis-à-vis de la société civile et surtout vis-à-vis de nombreux pratiquants. Il m'apparait nécessaire de nous recentrer sur ce qui fait les fondements de notre pratique et de créer à partir de cette connaissance au lieu de vouloir sans cesse copier ce qui se faisait dans les temps anciens.

Guillaume Tachon
ted

lausm a écrit :Bonjour.
Je voulais partager ce texte que j'ai trouvé ici : http://www.shobogenzo.eu/archives/2013/ ... 50504.html

Que je trouve etre le constat qui pose courageusement et clairement des questions liées a la pratique du zen et au cadre qui y est lié dans beaucoup de ses structures.


...
Bien que le moine zen moderne japonais ne suive ni le vinaya ni même la majorité des préceptes, il a un rôle social, une position reconnue. Il appartient à une catégorie socio-professionnelle bien distincte au sein de la société japonaise.
Mais rien de tout cela en France
...
Il y a quand même un statut des prêtres et des moines en France. Et ils sont reconnus comme tels.
Il y a même une sécurité sociale spécifique je crois : la CAVIMAC.
lausm

Oui, mais dans le zen ça n'est pas le cas.
Il faut avouer que l'on devrait appeler cela "moine laic", plus que moine, et qu'en fait ça ne correspond pas culturellement a ce que nous envisageons comme moine, lié en général a une vie a l'intérieur d'un établissement conventuel destiné a la pratique spirituelle.
Or les moines japonais, peuvent se marier, les temples se transmettent d'ailleurs de père en fils, etc....
Je ne suis pas sur que la Cavimac souhait financer des moines laics, sinon ok, je prend. Cela dit il parait que leurs cotisations sont hyper chères, m'avait-on dit.

Mais je pense que certains dirigeants du zen français tentent de faire en sorte d'acquérir ce statut.
Perso je ne crois pas que ça soit ça le challenge le plus important pour aider le zen a vivre en France.
Ce statut de moine crée une mentalité de niveau, un cloisonnement, une vision verticale de quelque chose qui devrait etre parallele a la voie du laic, comme le décrit très bien l'auteur de cet article.
Et on devrait dépasser cette façon de voir les choses.
ted

Normalement, c'est aux associations (Zen ou autres) de déclarer leurs membres à la CAVIMAC.

Mais si tu as déjà un boulot, je crois que ça ne marchera pas. ya pas de cumul possible...

J'en avais parlé sur le forum à une époque :
ted a écrit :
A l’adresse des centres bouddhistes


Informations importantes sur la Sécurité Sociale des religieux : Cavimac

1. Qui doit être affilié à la Cavimac ?

Important : Ce sont les collectivités religieuses qui adhèrent à la Cavimac, puis y affilient leurs membres correspondant aux 3 critères suivants :
critère de la « qualité cultuelle » : ministres du culte et/ou membres des collectivités religieuses (monastères, congrégations, associations cultuelles, autres)
critère de résidence : séjour en France supérieur à trois mois
critère de subsidiarité : pas d’affiliation à un autre régime obligatoire (salariés, retraités, travailleurs indépendants, professions libérales, étudiants - 28 ans, etc.). Pour les étudiants jusqu’à 28 ans déjà inscrits au régime étudiant maladie avant d’avoir acquis la qualité religieuse, ils doivent cotiser uniquement pour le risque vieillesse à la CAVIMAC à la date d’entrée dans la vie religieuse.

NB La Cavimac laisse à chaque culte le soin de définir le statut cultuel de ses membres, et lui demande les normes à appliquer, éventuellement différentes selon les courants.

2. Délais de déclaration

Les collectivités religieuses ont l’obligation légale de déclarer à la CAVIMAC ceux de leurs membres qui ont un statut cultuel (ministres du culte, moines, moniales, etc.), dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle les conditions d’affiliation sont remplies.
Les dossiers sont à demander au siège de la Cavimac.

3. A propos de la CMU (Couverture Maladie Universelle)

* Les personnes qui sont ministres du culte ou membres de collectivités n’ont pas droit à la CMU , car elle est strictement destinée aux personnes nécessiteuses.
Toutes les CPAM de France ont reçu en 2010 des directives pour vérifier le statut des demandeurs de CMU et leur adresse. A la moindre suspicion du statut cultuel (adresse d’un monastère, mention du statut de moine ou nonne), le dossier est désormais transmis à la Cavimac, qui lance une procédure de contrôle.

* En revanche, les personnes affiliées à la Cavimac peuvent déposer des demandes de CMU complémentaire (en tant que mutuelle).

Rappel de la Législation française relative à la Sécurité Sociale
1975 : Loi de généralisation de la sécurité sociale, désormais obligatoire pour tous les Français ainsi que pour tous les résidents étrangers à long terme (séjour de plus de trois mois). Les résidents temporaires (séjour de moins de trois mois) doivent donner la preuve d’une assurance personnelle.
A noter : le recours à des assurances privées n’est donc pas permis aux personnes résidant en France de manière permanente ou pour un séjour de plus de trois mois.
1978 : Institution d’un régime de la protection sociale des ministres du culte et des membres des congrégations et collectivités religieuses, qui ne sont pas affiliés à un régime obligatoire de Sécurité sociale.
Ce régime est « particulier » et « subsidiaire ».
Il est avantageux, car moins onéreux que les autres régimes.
2000 : La Caisse prend le nom de Cavimac - Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes.

4. Tarifs en 2012 (calculés sur la base du Smic)

A taux plein : 426,39 € par personne et par mois
Régime particulier (couverture maladie limitée aux gros risques, cad aux frais d’hospitalisation) : 351,04 €


5. Quelques avantages de la CAVIMAC
couverture maladie
droits à la retraite exportables : les pensions sont versées à tous assurés parvenus à l’âge de la retraite, qu’ils résident en France ou à l’étranger
la pension de retraite est versée au choix du retraité sur son compte personnel ou sur le compte de la collectivité religieuse dont il relève
diverses aides sociales (par ex, prise en charge partielle ou totale des frais d’aménagement de l’habitat en cas de handicap, ou d’acquisition de petits matériels médicaux rendus nécessaires par l’âge ou la maladie, etc.)

6. Quelques chiffres

En 2010, sur 1300 collectivités affiliées à la Cavimac, 50 sont bouddhistes, pour un chiffre de 129 assurés sociaux

http://www.bouddhisme-france.org/docume ... vimac.html
lausm

Oui, le cout est prohibitif.
Aussi, je pense que ce régime est pensé pour des écclésiastiques "reclus", des moines qui vivent dans pour et par la structure dans laquelle ils pratiquent.
Or dans le zen, en France, ce n'est pas du tout le cas, et ce statut ne ressemble pas a ce qu'il est meme au Japon.
Au final, pour moi c'est un faux problème : Deshimaru avait voulu lier le fait d'etre moine avec le fait de pratiquer zazen. Alors qu'au Japon la tradition veut qu'on soit d'abord ordonné, puis qu'on pratique...ce sont des façons d'aborder le problème totalement antagoniste, et Deshimaru s'était posé a contrecourant de ce qui se faisait.
Du coup ça crée des confusions, meme si pour moi l'ordination m'a probablement permis de continuer la pratique dans les périodes de doute.
Et si j'avais eu un statut "sécurisé", je pense que ça ne m'aurait pas permis de travailler sur moi, si j'avais un truc dans lequel m'installer, ce qui n'est pas l'esprit du zen fondamental.
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