rencontre entre christianisme et bouddhisme zen

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lausm

Suite à une vidéo postée par Axiste, j'ai trouvé cette interview du bonhomme, très intéressante.


lBERNARD DUREL : ENTRE LE COUSSIN ET L’AUTEL
« Je ne peux plus aujourd’hui me comprendre comme homme, comme croyant, comme religieux, sans boire simultanément aux sources de plusieurs Traditions. Ce qui nous unit est toujours plus important, plus originel que ce qui nous sépare », écrit volontiers Bernard Durel, dominicain qui initie des chrétiens à l’assise dans l’esprit du zen. À travers le zen, il propose un approfondissement du silence intérieur, et à la suite de quelques précurseurs, dont Thomas Merton, trappiste américain parti en Asie à la recherche d’un souffle nouveau pour revivifier la tradition monastique, il prend part au dialogue intermonastique, certain qu’aujourd’hui « la vocation du moine est dans cet accomplissement au-delà de toute frontière ».
• Vous êtes dominicain depuis 1964, et vous êtes engagé dans la voie du zen, pouvez-vous préciser dans quelles circonstances ? • Pendant l’été 1971, peu après la fin de ma formation dominicaine, j’ai été envoyé en Suède en même temps qu’arrivaient en Europe les voies venues de l’Orient... J’ai eu la chance de me trouver dans un milieu œcuménique, où l’on y a vu un signe positif, disant : « il faut rencontrer ces gens-là et regarder de plus près ce qu’ils proposent. » C’est ainsi que j’ai été amené à « essayer » la méditation zen. Ce qui aurait pu rester un intérêt momentané et conjoncturel est alors entré dans ma vie.
• Qu’y avez-vous trouvé ?
• Il faut replacer ceci dans le contexte des années soixante-dix, fortement sécularisé en Suède. Nous sommes aussi dans la crise de l’après-concile qui a vu partir des communautés dominicaines au moins 80 % de ma génération ! J’étais moi-même ébranlé. Au fond, sans l’avoir cherché, j’ai trouvé dans la méditation dans l’esprit du zen une voie pour me poser, au-delà des débats de toutes sortes.
• Votre rencontre avec Dürckheim, qui pratiquait une forme occidentalisée du zen, a été un jalon sur cette voie ? • J’ai commencé très modestement par la lecture et la rencontre de certaines personnes qui avaient fréquenté Dürckheim. En 1982, j’ai pu moi-même séjourner à Todtmoos, en Forêt Noire, dans le centre de Leibthérapie1 qu’il avait fondé et j’ai passé là quelques semaines qui ont été déterminantes pour moi.
• Durckheim pratiquait la méditation « dans l’esprit du zen » ?
• Oui. Il n’était pas bouddhiste lui-même, ni maître de zen. D’un long séjour au Japon, il avait rapporté certains éléments et les avait traduits pour l’esprit occidental. Par honnêteté, il disait : « je propose un travail dans l’esprit du zen. »
• Par la suite, vous avez rencontré des croyants qui ont essayé d’articuler la tradition du zen et celle de la religion chrétienne. Quelles rencontres vous ont-elles le plus marqué ? • En 1983, après douze ans passés en Suède, je suis revenu en France et j’ai eu la chance d’être nommé à Strasbourg. A Würzburg, dans le nord de la Bavière, il y avait un centre de méditation fondé et dirigé par le bénédictin allemand, Willigis Jäger, et je m’y rendais fréquemment. Jäger avait passé de nombreuses années au Japon. Il pratiquait la méditation zen dans la voie sambo kyodan, et proposait également à partir de la même pratique, l’assise silencieuse, la contemplation dans la tradition mystique occidentale. Je suis devenu son élève, et je me suis engagé dans l’étude et l’approfondissement de la mystique occidentale avec Maître Eckhart.
• Autre étape importante pour approfondir la tradition zen, un voyage au Japon...
• En effet, en 1990, j’ai été invité à me joindre à une délégation de moines et moniales occidentaux qui sont allés au Japon, dans le cadre du dialogue intermonastique (DIM). Une délégation de moines et moniales européens séjourne quelques semaines dans des monastères zen, et quelques années plus tard des moines et moniales bouddhistes japonais viennent dans des monastères européens.
• C’est à cette occasion que vous avez pu rencontrer le père Oshida2, dominicain japonais, une rencontre quasi initiatique pour vous ?
1 K. G. Dürckheim distingue le « corps que j'ai » (Körper) par opposition au « corps que je suis » (Leib) et proposait diverses approches thérapeutiques pour accorder les deux.
2 Né au Japon en 1922, il est mort le 6 novembre 2003.
• Il est sûr que sur les quarante jours que j’ai passés au Japon, les heures les plus riches, je les ai vécues chez le père dominicain japonais Shigeto Oshida, dont le prénom chrétien est Vincent. Il était un pont entre la tradition du zen et la tradition chrétienne. Il avait réellement fait la synthèse en lui- même et vivait simultanément, sans rien endommager, les deux traditions. Les journées passées chez lui ont été le sommet de mon voyage, aussi bien du point de vue pratique que de l’enseignement.
• Que vous a-t-il transmis de plus important ?
• Cette simplicité du zen. Nous vivions des journées très simples, en silence : les travaux des champs, beaucoup de temps passé à faire zazen3, la méditation silencieuse. Même les offices chrétiens, la prière du matin, l’eucharistie en fin d’après-midi, étaient pétris de culture japonaise : simplicité, dépouillement, intensité de la Présence. Ce sont des choses qu’on ne peut pas oublier. C’est très difficile à transmettre, mais je pense que dans ma vie, cette semaine passée chez le père Oshida à l’automne 1990 a constitué un tournant.
On lui demandait : « Pourquoi, vous, un prêtre catholique, vous pratiquez zazen ? » Il répondait : « Je mange du riz avec des baguettes, c’est tout. » C’était pour lui une chose naturelle.
• Qu’est-ce qui caractérisait son enseignement ?
• Il ne se situait jamais au plan des choses qui pour nous font débat ou constituent des oppositions inconciliables. Il pensait d’ailleurs que bon nombre d’oppositions, et peut-être même l’opposition entre chrétiens et bouddhistes, étaient des abstractions. Elles se situent dans le mental. C’est cela qu’il refusait. D’ailleurs, une des réflexions qui revenaient souvent, lorsqu’il évoquait la conception occidentale des choses, était celle-ci : « Nous sommes dans la prison de la conscience », « Prison of consciousness ». Cela revenait de mille façons ! Nous sommes, disait-il, environnés d’abstractions, de choses qui n’existent pas et qui finissent par nous faire peur, nous empêcher de dormir. C’est le grand obstacle.
On ne peut pas vivre sans abstractions, mais bientôt nous ne vivrons plus que dans les abstractions. Alors il combattait cela avec une pédagogie très zen.
• Qu’est-ce qu’une pédagogie très zen ?
• Le maître déstabilise le disciple pour le faire sortir de la prison de la conscience. On appelle ça « tirer le tapis sous les pieds » ! Jésus lui-même pratiquait cela sans arrêt... Par exemple, aux Pharisiens qui lui posent des questions, il dit : « Attendez un instant, je vais vous poser une question, si vous y répondez, je répondrai à la vôtre ! »
Cela m’est longtemps apparu puéril, mais c’est cette pédagogie qui fait que la personne tombe assise par terre et doit prendre contact avec le réel..., c’est-à-dire le sol sur lequel elle est assise.
• Aujourd’hui, vous dites : « Je suis un chrétien qui a rencontré le Bouddha »... • Enfin, c’est le père Oshida – ma source d’inspiration – qui dit cela : « Je suis un bouddhiste qui a rencontré le Christ. » De sa petite enfance jusqu’à l’âge adulte, c’était un fervent bouddhiste. Et, dans les années quarante, il a rencontré le Christ. Plus tard, il a demandé le baptême, il est devenu dominicain, prêtre catholique, mais vers la fin de sa vie, il disait : « Je suis un bouddhiste qui a rencontré le Christ. » Il ne disait pas : « J’étais bouddhiste et maintenant je suis chrétien. » Je pourrais tenir un langage symétrique : « Je suis un chrétien qui a rencontré le Bouddha. » Disons que Bouddha a croisé ma route. Je suis allé au Japon en 1990 et j’ai eu cette immersion brève mais vigoureuse dans le bouddhisme. Alors la figure du Bouddha est là quelque part dans le champ de mon attention. Son enseignement m’accompagne et éveille, ou réveille, certains aspects de ma propre foi chrétienne.
• Cette rencontre avec le Bouddha vous a-t-elle permis de considérer le Christ avec un œil neuf ?
• Oui, tout à fait, mais je dirais latéralement. Au fond, Siddharta Gautama devenu le Bouddha est un homme qui a connu l’expérience de l’Éveil, a compris qu’elle était possible pour tous : « la voie est ouverte pour tout le monde, si vous vous y engagez ». Par contre, avec le Christ, les prophètes, l’Ancien et le Nouveau Testament, nous avons affaire à une révélation située dans le temps et dans l’espace, pour laquelle joue la parole de Paul, au début de l’épître aux Corinthiens. Je vois mieux aujourd’hui l’originalité et la puissance de cette affirmation qui
Zazen, ou assise immobile, se pratique sur un coussin, le zafu. De za, s’asseoir immobile comme une montagne et zen, comprendre l’essence de l’univers.
résume toute la Bible, si l’on peut dire : « Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté du cœur de l’homme, nous vous l’annonçons. » Jamais Bouddha n’a dit ça. Le Christ transmet cela au nom du Père. Alors, si ceci est vrai, ce ne sont pas des traditions qui se situent au même plan et l’on peut dire : « Je suis chrétien et bouddhiste », comme certains sont chrétiens et philosophes.
Ce parallèle avec la philosophie est assez juste. D’une certaine façon, Bouddha en Asie tient la place de Platon en Occident. Il est sûr que la philosophie de Platon a fécondé le christianisme aux premiers siècles de l’Église, et la théologie des Pères de l’Église est née de cette rencontre entre la Révélation biblique et hébraïque et la philosophie grecque. Peut-être quelque chose d’analogue est-il en train de s’amorcer avec le Bouddha. C’est le début. Il ne faut pas oublier que cette rencontre est tout à fait récente : quarante, cinquante ans au maximum pour quelques pionniers, Il va falloir plusieurs siècles pour qu’elle s’accomplisse.
• La différence, il me semble c’est que l’enseignement de Platon n’était pas un mode de vie, il se situait davantage au plan des idées... • Oui. Encore que les études contemporaines ont montré que la philosophie grecque, qui est devenue chez nous une matière qu’on enseigne, qui est transmise sous la forme d’écrits et de paroles, au début, même chez Platon, était tout un mode de vie : il y avait une académie, comme un monastère. Voyez Philon d’Alexandrie, etc. Nous avons perdu cela. Ceci étant, c’est très différent, effectivement. La place du corps, des pratiques dans le bouddhisme, notamment dans le bouddhisme zen, est beaucoup plus grande que dans la tradition occidentale.
• Donc pour vous le zen et la voie chrétienne peuvent parfaitement coexister et se fondre ?
• J’emploie de plus en plus l’expression « fertilisation croisée » où la tradition bouddhiste vient se greffer et éveiller, réveiller des choses qui étaient un peu dormantes dans la tradition chrétienne...
• Qui existaient aussi : dans la tradition chrétienne, il y avait la voie hésychaste...
• Oui. On l’a vu pour la philosophie mais aussi pour d‘autres domaines. Ce n’est pas la première fois qu’une tradition vient se greffer sur le christianisme, vient lui donner des ressources d’expressions nouvelles, sans le défigurer. Paul dit : « Il faut examiner, retenir ce qui bon, rejeter ce qui ne convient pas », et nous faisons cela depuis vingt siècles. C’est simplement aujourd’hui une nouvelle étape, une autre dimension.
•` Quoi donc après la philosophie grecque ?
• Au plan liturgique, on peut citer le chapelet. Le chapelet existe ailleurs, on répète une parole toujours la même, en passant le doigt le long des grains. Nous l’avons sous la forme catholique avec le « Notre Père » et « Je vous salue Marie ». Les bouddhistes l’ont avec les 108 grains qui correspondent aux vices et aux vertus qu’il faut acquérir. Les musulmans l’ont également avec 99 grains, les 99 noms de Dieu, le 100e restant inconnu. Le chapelet est un instrument que l’humanité a trouvé pour se concentrer. Chaque tradition lui a donné une forme homogène à sa spiritualité.
• Donc, selon vous, il y aurait presque un fonds commun à toutes les traditions ?
Il y a un fonds commun de potentialités : c’est l’être humain. Je vis en Scandinavie, je me suis approché des cultures de là-bas et il y a un grand théologien, écrivain danois, Grundvig. Il a cette expression : « D’abord homme, chrétien ensuite » ; –dans les langues scandinaves, homme veut dire à la fois homme et femme (Mensch) – et le père Chenu, dominicain bien connu, décédé il y a plusieurs années disait : « Chrétien c’est un adjectif ». Pourquoi je dis cela ? Parce qu’avant d’être chrétiens, nous appartenons à la condition humaine, qui a un corps, qui respire, qui a des lois, qui se tient debout, qui s’assoit... Ce sont les données de la vie humaine comme telle, que les traditions valorisent ou non. Et si elles valorisent la posture, le geste, le chapelet, l’icône, ces modes d’expression humains, si elles les valorisent, elles le font à l’intérieur de leur symbolique propre. Alors, si une tradition a oublié quelque chose, une autre vient le révéler. C’est tout à fait vrai pour le corps. Regardons une assemblée chrétienne dans les années 40, 50. On faisait le signe de croix, on s’agenouillait et c’était à peu près tout, Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’assemblées qui prennent en compte cette dimension-là. On est en voie de guérison, je pense. Alors qu’est ce qui se passe ? Voilà que nos contemporains font du yoga, de l’aïkido, du zen, du taï ji... Ce n’est pas par hasard. C’est pour donner corps à l’expression profonde. Et s’ils vont chercher ailleurs ces pratiques, c’est parce que l’Église qui devrait le faire – et qui le faisait encore jusqu’au Moyen Age – ne le fait plus ou presque. C’est un des éléments du diagnostic.
On voit alors comment une tradition tout à fait autre arrive et réveille des choses endormies ou oubliées chez nous. Dürckheim cite Maître Eckhart. On demande à Me Eckhart : « D’où vient ta sagesse ? Il répond : « De mon assise ». Me Eckhart n’avait rien à faire avec le bouddhisme dont il ignorait tout. Il n’avait pas besoin de recevoir d’ailleurs ce qu’il avait. Nous, nous sommes handicapés, mais on peut guérir (rires............)..................etc.....
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jules
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Très intéressant merci. On sent une parole habitée, qui frappe par sa simplicité. jap_8

<<metta>>
boudiiii !

très interessant ce texte en effet love3

Dans le même sens de la nécessité pour les occidentaux de revenir au corps de la pratique , un interview de Khandro Rinpoche :
http://www.viewmagazine.org/index.php/a ... -west.html
centrino2

lausm, merci pour ce partage !

Je ne le dirai pas aussi bien que le Monsieur, mais en effet j'aime comme lui cette idée de boire à d'autres sources, afin de goûter ce qu'elles ont à nous offrir, et ainsi d'éviter tout cloisonnement. Ca permet aussi indirectement de ne pas rester figé sur des concepts et abstractions.

Passe une bonne journée !
Dernière modification par centrino2 le 30 mars 2014, 16:52, modifié 1 fois.
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Dharmadhatu
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anjalimetta A lire et à relire !

L'humain est en effet ce coeur qui nous réunit tous.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Robi

Il existe le centre "Assise" fondé par le père Jacques Breton (ex assistant de Dürckheim) dont voici le site

http://www.centre-assise.org/centre-ass ... e-dassise/

je connais aussi un moine bénédictin fortement impliqué dans la relation zen/christianisme:
- le Frère Benoît Billot
http://www.dailymotion.com/video/xeylrm ... s-d_webcam
http://www.bouddhisme-france.org/mot/bi ... e-benoit-m

(il y en a d'autres...)
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jules
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"Assise", cela porte bien son nom... shuuuuuuuuuuuuttttt
François d'Assise est considéré comme le précurseur du dialogue interreligieux.
http://fr.wikipedia.org/wiki/François_d'Assise
binah

Merci pour le partage... Au fond, chrétiens et bouddhistes ne sont pas si éloignés que ça dans la quiétude de l'esprit, ils sont juste différents dans les pratiques religieuses et dans l'approche divine.

Pour ceux qui sont intéressés par Maître Eckhart, pdf, ci-dessous.
http://www.pileface.com/sollers/IMG/pdf ... s_1-30.pdf
ted

J'ai énormément de respect pour les moines, quels qu'ils soient. Qu'ils soient chrétiens ou bouddhistes.
Robi

Un reportage intéressant sur le dialogue et rencontre inter religieux, avec au milieu du reportage une rencontre davantage entre christianisme et bouddhisme zen.

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