Au point où nous parvenus de notre compréhension, il importe de préciser la nature, la constitution et éventuellement la perversion des états psychiques, psychologiques et spirituels des "êtres sensibles" susceptibles par ailleurs de réaliser l'Eveil authentique et Parfait.
Ces états résultent de "méprises" déterminées par CANDRAKIRTI, reprises par NAGARJUNA dans la stance suivante et concrétisent l'ignorance radicale (avidya)
23, 1 - Il est dit que la concupiscence, l'aversion et l'aveuglement proviennent (d'une attente) de l'imagination. En effet, ces états se produisent en fonction, respectivement, de ce qui s'annonce comme bon, mauvais et des méprises.
Quelles sont-elles ?
1 -
Prendre pour permanent (nitya)
ce qui est impermanent (anitya)
2 -
Prendre pour bien-être (sukha)
ce qui est mal-être (duhkha)
3 -
Prendre pour pur (suci)
ce qui est impur (asuci)
4 -
Prendre pour soi (atman)
ce qui n'est pas soi (anatman)
23, 7 - Les formes visibles, les sons, les saveurs, le tangible, les odeurs et les objets mentaux, en tant qu'ils seraient la sextuple base de la concupiscence, de la faute et de l'aveuglement, c'est vous qui les érigez en concepts !
Or la stance 23, 4 ne précise t-elle pas ?
23, 4 - Car les passions appartiennent bien à quelqu'un, (n'est-ce pas ?) Or l'existence de ce "quelqu'un" n'est pas assurée. S'il n'y a personne, les passions pourraient-elles n'appartenir à personne ?
Démonstration évidente que l'existence "de rien" ni "de personne" n'est assurée. Ainsi, les passions n'ont-elles aucun support pour s'épanouir... et encore moins pour générer, plus tard, de quelconques bienfaits si, par hypothèse, elles étaient vaincues. Et pourtant, elles sont vécues... Plus fondamentalement, le quiddam qui les porterait serait lui-même constitué des 5 skandas et le concept de corps lui appartenant par rapport à un moi lui-même composé serait encore une illusion.
23, 13 - Voir du permanent dans ce qui est impermanent, cette prise est une méprise. Mais il n'y a pas d'impermanent dans le vide. Comment pourrait-il y avoir une prise qui fût méprise ?
23, 14 - Voir du permanent dans ce qui est impermanent, cette prise est une méprise. Et même si l'on croit qu'il y a de l'impermanent dans le vide, comment ne serait-ce pas une méprise ?
Un échelon supplémentaire est gravi dans la réalisation de la Vacuité. Croire au permanent, croire à l'impermanent alors qu'il s'agit de substance sans substance propre, c'est toujours et à jamais une méprise. Si tout est méprise alors rien n'est méprise. D'ailleurs L'HANNYA SHINGYO ne précise t-il pas :
Mu mumyo yaku mu mumyo jin, soit : il n'y a ni
ignorance ni extinction de l'ignorance, idem pour l'action, la conscience, la forme, les six sens etc etc
Puisqu'il en est ainsi,
23, 15 - L'instrument de la prise (graha), la prise elle-même, le sujet qui prend, l'objet qui est pris : tout cela est apaisé. C'est pourquoi la prise n'a pas lieu.
23, 23 - Ainsi s'arrête l'ignorance (avidya) par l'arrêt des méprises (viparyaya). L'ignorance arrêtée, les tendances héritées du passé (samskara) s'arrêtent elles aussi et tout ce qui s'ensuit.
L'ignorance précède et conditionne notre existence. Elle est en réalité factuelle et conventionnelle un savoir faux qui veut se faire apprécier comme vrai et se manifeste par notre attitude courante à figer, réifier des évènements, des choses, des êtres dont la modalité d'être est changeante et par conséquent source de méprises multiples.
Si le dévoilement des méprises garde son intérêt thérapeutique, il n'en demeure pas moins qu'elles n'ont pas de Nature Propre et que leur "usage" est plus subi que volontaire. Il convient donc de ne pas fomenter une ontologie (science de l'Etre) des méprises et de les doter, par ce simple fait, d'une réalité qu'elles n'ont pas.
Car il s'agit bien là d'entités-fantôme.