Ce que perçoivent les Āryas

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Dharmadhatu
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:D

Saṃvṛti ne veut pas seulement dire obscurcissant

Dolpopa considère que les objets conventionnels n'existent qu'au regard d'une conscience erronée (cf. Mountain Doctrine, p. 537-538)…

… Il associe apparaître "au regard de l'erreur" - autrement dit, apparaître à une conscience erronée - et exister conventionnellement. Il est probable qu'il envisage "exister conventionnellement" (kun rdzob tu yod pa, saṃvṛtisat) dans le sens d'exister pour l'ignorance, puisqu'il est généralement admis que dans l'expression "vérité obscurcissante" (kun rdzob bden pa, saṃvṛtisatya), le terme kun rdzob (saṃvṛti) signifie ce qui obscurcit, ou ce qui voile, la réalité, et donc que kun rdzob bden pa (saṃvṛtisatya) signifie "ce qui est vrai pour l'ignorance", c'est-à-dire, quelque chose qu'une conscience ignorante saisit comme existant tel que cela apparaît, ou comme ayant une concordance entre la façon dont ça apparaît et la façon dont ça existe en fait.
Pour montrer que les objets conventionnels peuvent être des vérités obscurcissantes tout en étant validement établis, Tsongkhapa doit distinguer entre le saṃvṛti des vérités obscurcissantes (kun rdzob bden pa, saṃvṛtisatya) et le saṃvṛti des existants conventionnels (kun rdzob tu yod pa, saṃvṛtisat). Il justifie la distinction en citant Chandrakīrti et [le Sutra de] La Descente à Lanka:

Les Paroles claires [Prasannapadā] de Chandrakīrti décrivent trois [sens] de saṃvṛti - 1) qui obscurcit l'ainsité, 2) objets mutuellement dépendants, et 3) conventions mondaines. Puisqu'il explique le dernier comme ayant le caractère de l'objet d'expression et des moyens d'expression, de connaisseur et d'objet de connaissance, etc., il ne s'agit pas uniquement des conventions subjectives - les consciences et les signifiants - [mais aussi des connaissables et des signifiés]. Néanmoins, [ceci n'est pas une définition puisque] tous les connaissables et les signifiés ne sont pas indifféremment tenus pour être des vérités obscurcissantes [car une vacuité est un connaissable et un signifié mais constitue une vérité ultime].
Le saṃvṛti qui est une conscience voilée au regard de laquelle les formes etc. sont posées comme des vérités [en ce sens que l'ignorance les saisit comme existant de la façon dont elles apparaissent, comme si elles existaient de manière inhérente] est le premier des trois [sens]. C'est l'ignorance qui surimpose aux phénomènes une existence selon leur propre entité établie intrinsèquement, alors qu'ils en sont dénués. Ceci parce que:
- l'existence réelle n'a pas cours dans les objets, et par conséquent, envisager des [objets qui paraissent exister réellement] comme des vérités relève de la perspective d'une conscience, et
- il n'y a aucun postulat [d'objets qui paraissent exister réellement] comme étant des vérités au regard d'un esprit qui n'appréhende pas l'existence réelle.

C'est ainsi qu'en outre, le Madhyamakāvatāra de Chandrakīrti affirme:
Le Vainqueur disait qu'à cause du fait que la confusion [c.-à-d. l'appréhension d'une existence inhérente] obscurcit [la perception directe de] la nature [du mode d'être des phénomènes],
[Cette ignorance] est toute-obscurcissante (kun rdzob), et il disait que ces fabrications qui paraissent
Vraies pour cette [ignorance] sont des vérités voilées (kun rdzob bden) [parce qu'elles sont vraies au regard de l'appréhension obscurcissante d'une existence inhérente].
Les choses qui sont des fabrications [existent] conventionnellement (kun rdzob tu).
Sur ce point, L'Auto-commentaire du Madhyamakāvatāra de Chandrakīrti dit:
De cette façon, respectivement, les vérités obscurcissantes sont posées par la force de l'ignorance afflictive qui est incluse dans les [douze] liens [de production dépendante] de l'existence cyclique. De plus, pour les [Arhats] Auditeurs, les [Arhats] Eveillés Solitaires et les Bodhisattvas [du 8ème bhūmi], qui ont [entièrement] abandonné l'ignorance afflictive et qui voient les phénomènes composés [qui, malgré le fait qu'ils soient complètement vides du fait d'être établis selon leur propre caractère, paraissent être établis selon leur propre caractère] comme l'existence de reflets etc., ils ont [seulement] une nature fabriquée [fausse] et ne sont pas des vérités, parce qu'ils ne surimposent pas [aux formes et autres] le fait d'être [établies] réellement. Pour les puérils [les êtres ordinaires], celles-ci sont trompeuses, mais pour les autres [c.-à-d. pour les Auditeurs, les Eveillés Solitaires et les Bodhisattvas décrit plus haut], elles sont de simples conventions par le fait d'être des productions dépendantes, comme les tours d'un magicien etc. [qui paraissent exister réellement tout en n'existant pas de la façon dont elles apparaissent].
Ce passage ne signifie pas 1) que le fait d'envisager les vérités obscurcissantes comme existantes revient au fait qu'envisager leur existence est dû à l'ignorance, et ne signifie pas non plus 2) que les vérités obscurcissantes ne sont pas envisagées dans la perspective des Auditeurs, des Eveillés Solitaires et des Bodhisattvas qui ont abandonné l'ignorance afflictive.
* * * * *

La sagesse omnisciente d'un Bouddha perçoit le conventionnel explicitement, pas implicitement

Pour Tsongkhapa, un esprit omniscient doit connaître tous les phénomènes, ordinaires inclus:
Si un Bouddha ne percevait pas les agrégats etc., cela infirmerait la noble connaissance de la diversité et tous les objets multiples car "ce qui existe" et "ce qui n'est pas connu par un Bouddha" sont mutuellement exclusifs.
Dolpopa envisage de la même manière qu'un esprit omniscient doit connaître tous les phénomènes, mais il fait la distinction selon laquelle il connaît seulement de manière implicite les phénomènes, qui par conséquent ne lui apparaissent pas. Au contraire, Tsongkhapa affirme qu'un esprit omniscient doit connaître explicitement tous les phénomènes, qui, par conséquent doivent lui apparaître. Il continue:
En conséquence, les objets multiples doivent apparaître à un noble connaisseur de la diversité [des phénomènes]. Comme une noble connaissance sans aspect [de l'objet apparent] n'est pas le système [prāsaṅgika], [les objets sont connus par une conscience omnisciente] au moyen de l'apparence de leur aspect.
Afin d'établir qu'un esprit omniscient connaît explicitement tous les phénomènes, ordinaires inclus, sans pour autant qu'il devienne illusionné, Tsongkhapa fait une distinction entre un esprit omniscient qui connaît depuis sa propre perspective et ce qu'il connaît depuis la perspective d'autrui:
Au regard du mode d'apparence, quand les marques et beautés d'un Bouddha apparaissent aux personnes qui n'ont pas abandonné l'ignorance, leur apparence comme étant établies selon leur propre caractère - bien que n'étant pas établies ainsi - (…) est une apparence due aux sujets [qui les perçoivent] en étant souillés par les empreintes de l'ignorance. En effet, ces [marques et beauté d'un Bouddha] n'apparaissent pas à ce sujet [c.-à-d., la conscience d'un Bouddha] du simple fait d'apparaître ainsi (a) aux autres personnes mais apparaissent ainsi du propre point de vue [d'un Bouddha].
L'apparence d'objets tels que des formes et des sons (b) - qui paraissent aux yeux de ceux qui n'ont pas abandonné l'ignorance comme s'ils étaient établis selon leur propre caractère alors qu'ils ne sont pas établis ainsi - à la sagesse primordiale d'un Bouddha qui connaît la diversité est une apparence à un Bouddha uniquement selon le point de vue de [ces phénomènes] qui apparaissent aux personnes qui sont polluées par l'ignorance. (…)
Du point de vue d'un noble connaisseur de la diversité en tant que tel, toutes les choses apparaissent dans la perspective du non-soi et de l'absence d'existence inhérente, selon laquelle elles apparaissent comme des faussetés, comme des illusions; elles n'apparaissent pas comme des vérités. Quand [les phénomènes] apparaissent à cette sagesse primordiale selon le mode d'apparition à ceux qui ont l'ignorance, ceci ne fait que rendre visible [leur] façon d'apparaître aux autres personnes en tant que vérités. (…)
De cette manière, La Distinction des deux vérités de Jñānagarbha explique que [la sagesse primordiale] perçoit nettement et directement la diversité:
Un connaisseur omniscient perçoit directement
Toutes les productions dépendantes
Telles qu'elles apparaissent
Dénuées de toute entité surimposée.
_________________________
a) C'est-à-dire, en tant que marques et beautés d'un Bouddha.
b) La fausse apparence d'objets tels que des formes et des sons comme s'ils existaient intrinsèquement est quelque chose qui existe, et donc elle doit être connue par un Bouddha omniscient, et doit alors apparaître à un Bouddha. Cependant, cette apparent a lieu pour un Bouddha non pas à cause d'un défaut chez ce Bouddha, mais uniquement parce qu'elle advient de cette façon chez les êtres qui sont souillés par l'ignorance. Du point de vue d'un Bouddha, seule une infinie pureté est perçue.
...
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Jeffrey Hopkins (Tsong-Kha-Pa's Final Exposition of Wisdom, p. 322-325 et p. 348-350)

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apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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davi
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Après avoir médité sur la vacuité, les phénomènes continuent à m'apparaître exister intrinsèquement, mais j'y crois un peu moins. Si je continue à méditer, je n'y crois plus du tout. Et si je médite encore, c'est l'apparence même d'exister intrinsèquement qui disparaît.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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Dharmadhatu
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davi a écrit :Après avoir médité sur la vacuité, les phénomènes continuent à m'apparaître exister intrinsèquement, mais j'y crois un peu moins. Si je continue à méditer, je n'y crois plus du tout. Et si je médite encore, c'est l'apparence même d'exister intrinsèquement qui disparaît.
ba11 Excellent résumé, Davi !

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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
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davi
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Merci pour tes encouragements Dharmadhatu, et merci aussi pour tes contributions... jap_8
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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