Les composés et les incomposés

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Dharmadhatu
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:D Sa Sainteté le Dalaï Lama dit dans L'Hommage aux 17 Pandits de Nalanda:
6. Je rends hommage à Chandrakīrti qui a promulgué la voie complète des Sutras et des Tantras, et qui fut habile dans l'exposition du profond et vaste système de la Voie médiane, dans lequel l'apparence et la vacuité éliminent les deux extrêmes au moyen de l'existence dépendante et de la simple conditionnalité.
Pour clarifier ce qu'implique le terme "conditionnalité", voici à nouveau ce que dit Sa Sainteté (Dzogchen, l'essence du cœur de la Grande Perfection, p. 54):
Par exemple, certains érudits déclarent "Tout ce qui existe est nécessairement composé". Ceci doit être compris dans le sens où les choses sont, par nécessité, "assemblées" sur la base de concepts et sont, de ce point de vue, "composées". 38

Note 38: Dans son Union des écoles de traduction ancienne et modernes, Sa Sainteté dit: "Dans le même esprit, l'érudit et adepte Norsang Gyatso (1423-1513) dit que tout ce qui existe est nécessairement composé (saṃskṛta, 'dus byas) bien que son référent soit plus général que la signification usuelle du terme "incomposé". Il n'affirme pas que tous les phénomènes, y compris les phénomènes permanents, sont produits sur la base d'un agrégat de causes et de conditions, mais que tous les phénomènes existent de façon conditionnelle, dépendant à la fois de leurs parties et de la conscience conceptuelle qui les désigne. Pareillement, parce que cet esprit fondamental des Nyingma n'est pas nouvellement produit en dépendant de causes et conditions, il est appelé "non-produit", la référence étant un sens plus large du terme." Cent éléphants sur un brin d'herbe, p. 237. *
[* la version trouvée dans l'édition Seuil 1990 est légèrement différente mais le sens est le même].

C'est pourquoi Djé Tsongkhapa dit dans le Gongpa Rabsel (Commentaire au Madhyamakavatara de Chandrakirti, cf. Tsong-Kha-Pa's Final Exposition of Wisdom; Jeffrey Hopkins, p. 199):
Maintenant que ceci est établi [concernant les choses effectives], en dépendance de ce raisonnement on peut réfuter que les phénomènes non-effectifs sont établis en soi. En effet, concernant l'espace incomposé, il doit être déclaré comme imprégnant certains objets physiques, et par rapport à cela, il doit être déclaré comme ayant une partie imprégnant l'est et des parties imprégnant les autres directions. De la même façon, l'ainsité [ou la vacuité] a aussi de nombreuses parties imprégnant [les phénomènes], ainsi que différentes parties réalisées par différentes consciences antérieures et postérieures. De même, les autres [phénomènes] incomposés sont similaires.
-> Ceci veut dire que tout phénomène est conditionné, ce qui permet de comprendre qu'aucun phénomène n'existe en soi et par soi, car ce qui existe n'existe qu'en dépendance de conditions.

Mais cela ne veut pas dire que "conditions" renvoie toujours aux conditions causales, car l'ontologie bouddhiste affirme que tous les phénomènes ne sont pas causalement composés, et donc qu'il existe des phénomènes incomposés (c.-à-d. des phénomènes qui ne sont pas causalement composés).

En conclusion, tous les phénomènes (les existants) ne sont pas causalement composés car nombre d'entre eux sont permanents (puisque leur existence ne dépend pas de causes et conditions), mais tous les phénomènes (impermanents ou pas) sont conditionnés dans le sens précis où ils dépendent de parties distinctes (comme les directions pour l'espace, les vacuités des phénomènes individuels pour "la vacuité des phénomènes" en général etc.) et dans le sens où leur existence est le composite d'une base d'imputation (qui peut être vue comme étant l'ensemble de leurs parties distinctes) et d'une désignation établie en dépendance de celle-ci.

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apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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davi
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Dharmadhatu a écrit :
Maintenant que ceci est établi [concernant les choses effectives], en dépendance de ce raisonnement on peut réfuter que les phénomènes non-effectifs sont établis en soi. En effet, concernant l'espace incomposé, il doit être déclaré comme imprégnant certains objets physiques, et par rapport à cela, il doit être déclaré comme ayant une partie imprégnant l'est et des parties imprégnant les autres directions. De la même façon, l'ainsité [ou la vacuité] a aussi de nombreuses parties imprégnant [les phénomènes], ainsi que différentes parties réalisées par différentes consciences antérieures et postérieures. De même, les autres [phénomènes] incomposés sont similaires.
C'est l'école dite du réalisme Vaibhasika qui faisait des phénomènes incomposés un niveau ultime d'existence. Elle découpait (par l'analyse) les phénomènes jusqu'à leurs parties non sécables, divisibles en deux catégories : en particules matérielles et en particules de conscience. Tous les phénomènes existent réellement (ou ultimement) au niveau des particules élémentaires, c'est pourquoi les adeptes de cette école étaient désignés comme particularistes. Mais même un atome imaginé a des parties spatiales qui font que plusieurs autres atomes peuvent "entrer en contact" avec lui sans eux-mêmes se toucher entre-eux. Le fait qu'il n'y ait pas ces différentes parties est problématique, car si deux atomes sans parties se touchent, alors la seule solution est qu'ils doivent se (con)fondre en un seul.
Pour les Vaibhasikas, les phénomènes qui résistent à l'analyse relèvent de la réalité ultime. Cela signifie que lorsqu'ils sont déconstruits, soit physiquement, soit par le processus de l'analyse logique, ils continuent à exister dans l'esprit de celui qui les appréhende.
Université Rimay-Nalanda
Méditations sur la vacuité
Autrement dit, tout ce qui ne peut être analysé existe ultimement. Et pour les Vaibhasikas, ils existent des particules (matérielles et psychiques) ou d'autres existants ultimes (l'espace, le nirvana notamment), qui entrent dans cette catégorie d'incomposés et de permanents. Les phénomènes composés, eux, font partis de la réalité relative (ou apparente ou superficielle) impermanente.

Pour le Madhyamaka rien ne peut résister à l'analyse; c'est la vacuité.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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Dharmadhatu
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:D Oui, tout à fait. Il y a juste que pour le phénomène de la conscience, il est question d'instants infinitésimaux plutôt que de particules (qui, elles, concernent les phénomènes matériels).

Pour en savoir plus, l'excellent Les Deux vérités selon les quatre écoles de Géshé Dreyfus:

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davi
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Autre ouvrage possible :
Les deux réalités.gif
Vous ne pouvez pas consulter les pièces jointes insérées à ce message.
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