La nature de Bouddha : tatagathagarba

ted

Peut-on parler de la nature de bouddha (tatagathagarba) sur un mode autre que poétique, sachant qu'il s'agit de notre rapport intime avec la réalité (voir les choses telles qu'elles sont : tathatā) ?

Comment est-elle définie précisément dans les enseignements ?
yves a écrit : sachant que l'expérience que j'en ai pour l'instant (de l'état de Bouddha) pourrait se résumer comme: un espace conscient empli de paix et de joie love_3
Ça se serait plutôt la définition du premier jhana de la forme dans theravada. Voire même de samatha. jap_8
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Dharmadhatu
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:D

Ce qu'indique verbalement Yves pourrait correspondre à pas mal d'expériences méditatives, ainsi qu'à l'Eveil. La différence se sentira au niveau subjectif par le pratiquant lui-même.

Il y a plusieurs ouvrages dispo en français: La Nature de bouddha (commenté par le IIIème Kongtrul Rinpotché), Le Message du futur bouddha (traduction de l'Uttaratantra de Maitreya et Asanga), et en anglais, comme Buddha Nature (de Geshe Sonam Rinchen).

Seuls les enseignements du niveau des Tantras supérieurs (comme le Dzogchen, le Mahamudra tantrique etc.) expliquent que la nature de bouddha est l'esprit inné de grande félicité, avec des choix sémantiques différents d'un corpus à l'autre, mais avec toujours le même référent: l'esprit subtil qui émerge au moment de la mort en particulier.

Donc, dans le Bouddhisme indo-tibétain, c'est une conscience et plus particulièrement une conscience mentale. Pour les corpus que je viens d'indiquer, c'est la conscience mentale la plus subtile.

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apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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tirru...
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yves a écrit : sachant que l'expérience que j'en ai pour l'instant (de l'état de Bouddha) pourrait se résumer comme: un espace conscient empli de paix et de joie love_3
Ted a écrit : Ça se serait plutôt la définition du premier jhana de la forme dans theravada. Voire même de samatha. jap_8
Une telle affirmation sur l’état de Bouddha pourrait être assimilée a une connaissance erronée sur ce qu'est réellement l’état de Bouddha, ou du moins en théorie pour les humbles upasaka que nous sommes (je parle pour moi !) ;-)
Dhammdana.org a écrit :Ainsi, lorsque nous nous absorbons, grâce à des exercices de méditation, que nous faisons l’expérience d’une certaine jouissance intérieure, nous n’avons pas évacué, ni même ébranlé les fondations de la souffrance. Nous avons momentanément neutralisé une fonction. Comme nous n’avons plus la capacité de percevoir la souffrance, nous sommes convaincus d’avoir atteint un état qui en est vide. Source
La satisfaction n'est pas l'indice du vrai !

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Dumè Antoni

Ted a écrit :Peut-on parler de la nature de bouddha (tatagathagarba) sur un mode autre que poétique, sachant qu'il s'agit de notre rapport intime avec la réalité (voir les choses telles qu'elles sont : tathatā) ?
On ne peut pas parler de la nature de Bouddha ; seulement la montrer. Mais pour la montrer, il faut bien sûr la voir et il faut aussi que celui (ou celle) à qui on la montre la voie aussi. Quand le Bouddha montra un bouquet de fleurs (ou une fleur) à Kashyapa, il montra la nature de Bouddha. Pour certains, c'est de la poésie ; pour d'autre, c'est un moyen habile ; pour d'autre — comme Kashyapa — c'est vraiment la nature de Bouddha.
Comment est-elle définie précisément dans les enseignements ?
Ça dépend des écoles. Dans le Zen, c'est parfois une corne de rhinocéros, un cyprès... Dans certaines écoles, c'est plus détaillés. Mais la notion de définition est impropre, parce qu'une définition est limitée, par nature, à l'objet et ce qui n'est pas l'objet. Existe-t-il quelque chose en dehors de la nature de Bouddha ? C'est un kôan (dont la forme classique est : "toutes choses retournent à l'Un, à quoi l'Un retourne-t-il ?")
sachant que l'expérience que j'en ai pour l'instant (de l'état de Bouddha) pourrait se résumer comme: un espace conscient empli de paix et de joie love_3
Ça se serait plutôt la définition du premier jhana de la forme dans theravada. Voire même de samatha. jap_8
Je ne sais pas si c'est du 1er jhana ou d'autre chose qu'on pourrait atteindre sous LSD ou en fumant de l'herbe qui fait rire. Difficile à dire. Mais ce n'est certainement pas l'état (nature) de Bouddha qui n'est pas "un état conscient rempli de paix et de joie".
Serge Zaludkowski

ted a écrit :
Comment est-elle définie précisément dans les enseignements ?
Pour les écoles du bouddhisme tibétain, le texte de référence est l'Uttartantra Shastra de Maitreya.

Dans le chapitre sur "les quatre derniers points vajra", il est dit :

The Last Four Vajra Points

The virtuous Three Jewels, which are rare and sublime,
arise from suchness bound up with pollution, from the one free from pollution,
from the qualities of unpolluted buddhahood, and from the deeds of the Victor.
This is the object of those who see the ultimate truth.
The disposition of the Three Rare and Sublime Ones
is the object [of vision] of those who see everything.
Furthermore, these four aspects in the given order
are inconceivable, for the following four reasons:

[The buddha element] is pure and yet has affliction.
[Enlightenment] was not afflicted and yet is purified.
Qualities are totally indivisible [and yet unapparent].
[Activity] is spontaneous and yet without any thought.
Constituting what must be realized, realization,
its attributes, and the means to bring it about,
accordingly the first is the cause to be purified
and the [latter] three points are the conditions.

The Fourth Vajra Point: The Element

The perfect buddhakaya is all-embracing,
suchness cannot be differentiated,
and all beings have the disposition.
Thus they always have buddha nature.

The Buddha has said that all beings have buddha nature
“since buddha wisdom is always present within the assembly of beings,
since this undefiled nature is free from duality,
and since the disposition to buddhahood has been named after its fruit.”

Essence, cause, fruit, function, endowment, manifestation,
phases, all-pervasiveness of suchness, unchangingness,
and inseparability of the qualities should be understood
as intended to describe the meaning of the absolute expanse.

Just as a jewel, the sky, and water are pure
it is by nature always free from the poisons.
From devotion to the Dharma, from highest wisdom,
and from samadhi and compassion [its realization arises].

[Wielding] power, not changing into something else,
and being a nature that has a moistening [quality]:
these [three] have properties corresponding
to those of a precious gem, the sky, and water.

Enmity towards the Dharma, a view [asserting
an existing] self, fear of samsara’s suffering,
and neglect of the welfare of fellow beings
are the four veils of those with great desire,
of tirthikas, shravakas, and pratyekabuddhas.
The cause that purifies [all these veils]
consists of the four qualities [of the path],
which are outstanding devotion and so on.

Those whose seed is devotion towards the supreme vehicle,
whose mother is analytical wisdom generating the buddha qualities,
whose abode is the blissful womb of meditative stability,
and whose nurse is compassion, are heirs born to succeed the Muni.

The fruit is the perfection of the qualities
of purity, self, happiness, and permanence.
Weariness of suffering, longing to attain peace,
and devotion towards this aim are the function.

In brief, the fruit of these [purifying causes]
fully divides into the remedies [for the antidotes],
which [in their turn] counteract the four aspects
of wrong beliefs with regard to the dharmakaya.

The [dharmakaya] is purity, since its nature is pure
and [even] the remaining imprints are fully removed.
It is true self, since all conceptual elaboration
in terms of self and non-self is totally stilled.
It is true happiness, since [even] the aggregates
of mental nature and their causes are reversed.
It is permanence, since the cycle of existence
and the state beyond pain are realized as one.

Their analytical wisdom has cut all self-cherishing without exception.
Yet, cherishing beings, those possessed of compassion do not adhere to peace.
Relying on understanding and compassionate love, the means to enlightenment,
noble ones will neither [abide] in samsara nor in a [limited] nirvana.

If the buddha element were not present,
there would be no remorse over suffering.
There would be no longing for nirvana,
nor striving and devotion towards this aim.

... etc.
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davi
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Dharmadhatu a écrit :Donc, dans le Bouddhisme indo-tibétain, c'est une conscience et plus particulièrement une conscience mentale. Pour les corpus que je viens d'indiquer, c'est la conscience mentale la plus subtile.
Quelles seraient les caractéristiques de la conscience mentale la plus subtile ? J'ai un doute que ce soit véritablement la nature de bouddha. Puisque la nature de bouddha est censée être dénuée de dualité, pourquoi la caractériser encore par une conscience mentale ?
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Dumè Antoni

Davi a écrit :Quelles seraient les caractéristiques de la conscience mentale la plus subtile ? J'ai un doute que ce soit véritablement la nature de bouddha. Puisque la nature de bouddha est censée être dénuée de dualité, pourquoi la caractériser encore par une conscience mentale ?
Pour ma part (et pour le Zen) la nature de Bouddha n'est pas une conscience. Ainsi que je l'avais exprimé, il existe 8 sortes de consciences dans le Bouddhisme et Prajna n'est spontanée dans aucune d'entre elles. Par conséquent, la nature de Bouddha n'est pas une conscience. En revanche, l'expérience de la nature de Bouddha est consciente en ce que Prajna — qui est spontanée dans la nature de Bouddha (Vacuité/Clarté) — "illumine" cette conscience (d'où le terme d'Illumination). Du reste, on s'éveille à sa nature de Bouddha ; on n'éveille pas la nature de Bouddha. S'éveiller, cela veut dire que Prajna illumine la conscience et la nature de Bouddha est alors réalisée.
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Dharmadhatu
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davi a écrit :
Dharmadhatu a écrit :Donc, dans le Bouddhisme indo-tibétain, c'est une conscience et plus particulièrement une conscience mentale. Pour les corpus que je viens d'indiquer, c'est la conscience mentale la plus subtile.
Quelles seraient les caractéristiques de la conscience mentale la plus subtile ? J'ai un doute que ce soit véritablement la nature de bouddha. Puisque la nature de bouddha est censée être dénuée de dualité, pourquoi la caractériser encore par une conscience mentale ?
:D La caractériser de nature de bouddha est la rendre duelle aussi, non ?

Il n'y a qu'au moment où elle est vécue telle qu'elle est qu'il n'y a pas la dualité, mais en dehors de ce moment, tout le reste redevient duel... jusqu'à ce que ça ne le soit plus (!).

Pour le Madhyamaka (tel qu'il est exposé dans les Soutras et non pas tel qu'il est réalisé dans les Tantras supérieurs), la nature de bouddha est la vacuité de l'esprit (ou de la conscience mentale) en particulier. D'après ce que j'ai trouvé dans Buddha Nature, Geshe Sonam Rinchen (p. 20) avance qu'il y a, pour le Madhyamaka des Sutras, une nature de bouddha coémergente (innately abiding disposition) et une nature de bouddha cultivée (developmental disposition) qui donneront respectivement le Svabhavikakaya et le Jñanadharmakaya.

:idea: Pour clarifier ce que le Bouddhisme entend par "conscience" (skt. vijñana, tib. rnam shes) , "esprit" (buddhi, blo ou chitta, sems) "cognition" (jñana, shes pa/rig pa) *, qui sont synonymes pour l'épistémologie/psychologie bouddhiste: toute conscience a pour caractéristique conventionnelle (ou définition): ce qui est clair et cognitif ; et l'esprit a pour nature la claire lumière (skt. prabhasvaram idam chittam), ce qui revient exactement au même. Donc, pour résumer, selon l'ensemble du corpus de l'Inde (cf. Dhamakirti et son Pramanavarttika ou Nagarjuna et son Dharmadhatustavam entre autres exemples frappants) et du Tibet (cf. les commentaires aux Sutras du 3ème cycle, au Madhyamaka des Tantras supérieurs, au Dzogchen et au Mahamudra tantrique), la nature de bouddha est ce qui deviendra l'esprit éveillé du Bouddha (le Dharmakaya, conceptuellement distingué en Svabhavikakaya et Jñanadharmakaya), tandis que la méthode (les 5 premières perfections transcendantes dans les Sutras et le yoga de la déité dans les Tantras) deviendra le corps de forme du Bouddha (Rupakaya), c'est pourquoi la nature de bouddha (sauf pour le Madhyamaka tel qu'il est exposé dans les Soutras pour qui la nature de bouddha est la vacuité de l'esprit) est une conscience, un type d'esprit.

Le Dzogchen dira que les 3 Kayas (le Dharma-, le Sambhoga- et le Nirmana-) sont déjà présents en quelque sorte dans les 3 aspects (conceptuellement distingués) de rigpa (cf. As Its Is T. 2, Tulku Orgyen Rinpotché).

_________________
* ou "mental" (manas, yid), bien qu'avec ce dernier terme il n'y ait pas synonymie avec cognition car par exemple une cognition sensorielle n'est pas mentale et une cognition yogique est mentale mais pas sensorielle.

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davi
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Merci Dumé. J'aime bien cette façon "de voir". invision-board-france-126-1--1a78
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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davi
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Dharmadhatu a écrit :
davi a écrit :
Dharmadhatu a écrit :Donc, dans le Bouddhisme indo-tibétain, c'est une conscience et plus particulièrement une conscience mentale. Pour les corpus que je viens d'indiquer, c'est la conscience mentale la plus subtile.
Quelles seraient les caractéristiques de la conscience mentale la plus subtile ? J'ai un doute que ce soit véritablement la nature de bouddha. Puisque la nature de bouddha est censée être dénuée de dualité, pourquoi la caractériser encore par une conscience mentale ?
:D La caractériser de nature de bouddha est la rendre duelle aussi, non ?
Non, je ne pense pas, car à cet instant je n'ai encore rien décidé sur elle. :D
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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