L'état naturel dans le Zen

Robi

jules a écrit :Oui peut-être pour être pédagogue, il rajoute "ultimement". Mais pour lui, dans sa propre expérience il dit "il n'y a rien à réaliser" parce que pour lui c'est le cas.
Mais même pour lui ça ne peut passer que par "dans l'ultime, il n'y a rien à réaliser". Puisque les mots sont du domaine du non ultime.
Si tu es un bon pratiquant, vas-y là tout de suite dans l'ultime, tu verras que tu ne peux rien dire.
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jules
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Robi : Celui qui a la réalisation ne dira jamais cela sans précisé que c'est ultimement qu'il n'y a rien à réaliser. (C'est à cela qu'on voit qu'il est vraiment réalisé. Il sait qu'il s'exprime depuis le relatif et que depuis l'ultime il ne peut rien dire)
Ok je suis d'accord jap_8
Dumè Antoni

Jules a écrit :Alors la bonne formule c'est de dire qu'ultimement il n'y a rien à réaliser. Ca ça m'irait.

De ce fait celui qui a la réalisation dit : "Il n'y a rien à réaliser", et on peut dire qu'il a la vue ultime et juste en tant qu'expression de la délivrance.
Le terme "ultimement" est impropre ici, car ainsi que je l'ai mentionné plus haut, Hung Jen (le 5ème Patriarche, le maître de Huineng) ne considère pas cette Vue comme une Vue ultime (non pas au sens du Madhyamaka, qui je le répète, n'est jamais une Vue, mais au sens de la progression sur le sentier du dressage du buffle). En effet, la réalisation de la Vacuité/Clarté du Dharmakaya n'est qu'une étape dans l'Eveil Parfait et insurpassable. Il faut lui adjoindre le Samboghakaya et le Nirmanakaya. En réalité, il y a concomitance de réalisation dans l'expérience, car le Triple Corps du Bouddha est Un en réalité, mais l'expression de la réalisation que donne Huineng manque de profondeur. Bien sûr, c'est relatif quand je dis que ça manque de profondeur, car il faut quand même atteindre ce niveau, ce qui n'est pas à la portée de n'importe qui. Mais Hung Jen, à ce stade, a besoin de vérifier que Huineng ne s'est pas contenté de constater l'impossibilité de trouver l'esprit avec l'esprit et d'en déduire, à cause de l'échec (car on ne peut pas trouver l'esprit avec l'esprit), sa vacuité, ce qui ne serait pas une réalisation, au sens d'une Vue. Hung Jen avait besoin de vérifier que Huineng avait la Vue au sens de Voir le Samboghakaya, c'est à dire au sens de 見 (jiàn). Car si Huineng dit bien que tout est vide (ce qui veut dire "la forme est le vide") dans sa gatha, il ne dit pas que le vide est la forme, ni que la forme est la forme et le vide est le vide. C'est la raison pour laquelle Hung Jen lui dit, quand il lui donne la robe de la transmission tout en le sommant de fuir : "à présent, vous devez faire émerger la pensée du vide !". Cette simple phrase suffit à Huineng, d'après le sutra de l'Estrade, à avoir le satori, c'est à dire l'Eveil Parfait (Anuttara Samyak Sambodi). Ce qui démontre bien que la Vue de Huineng était correcte dès le début, mais qu'il n'avait pas encore franchi l'étape du 9ème tableau car il a fallu le petit coup de pouce de Hung Jen : "à présent, vous devez faire émerger la pensée du vide !" Ce point est important car il démontre que la Voie abrupte qu'est le Zen est aussi graduelle (voir "les 4 portes du connaître de l'esprit éveillé" de Hakuin). En d'autres termes, au stade de la gatha, Huineng en était encore à une vue dite "Hinayaniste", c'est à dire "insuffisante" dans le contexte du Mahayana. Mais elle dépassait déjà celle de Shen Xiu (qui n'avait pas la Vue, au sens du Zen).
FA

Bonsoir

Entre le Hinayana et le Mahayana que se passe-t-il ?
On passe de l'idée d'élimination du désir, au désir d'élimination de l'idée...
Dans le 3 ième tour de roue, on se rend compte qu'on a tourné en rond :lol:

jap_8
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jules
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Le troisième tour de roue c'est l'enseignement du Bouddha sur le pic des vautours avec la fleur, c'est ça ?
Dumè Antoni

C'est l'enseignement d'esprit à esprit, celui que reçut Kashyapa du Bouddha, dont le lankavatara sutra affirme qu'il a eu lieu au Pic du Vautour, mais il semble que cette thèse (à propos du lieu) ne soit pas acceptée par tous. Traditionnellement, l'enseignement au Pic du Vautour concerne le deuxième tour de roue, c'est à dire l'enseignement du Mahyamaka (Nagarjuna). Ce qu'il faut retenir, je pense, c'est la nature de l'enseignement entre le deuxième et le troisième tour, notamment pour ce qui concerne la vacuité. Celle du Dharmakaya est enseignée au troisième tour de roue, et celle des phénomènes (dharmas), y compris les phénomènes non conditionnés, est enseignée au deuxième tour de roue. Et ce n'est bien sûr pas le même enseignement, ni la même Vue. Mais je ne reprendrai pas à mon compte la plaisanterie (mais s'agit-il d'une plaisanterie ?) de Fa.
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jules
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jap_8

Cette fleur c'est l'enseignement ultime, là où tout est dit lorsqu'il n'y a plus rien à dire.
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Zopa2
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Dumé,

Pourquoi dis-tu et répètes-tu que la vue de Nagarjuna n'est pas la Vue ? qu'est ce que la vue de Nagarjuna n'a pas de juste ou de correct selon toi ? Cette vue est-elle erronée ? est-elle incomplète ? Et svp parlons avec des mots simples ou bien alors prenons la peine de donner les définitions des termes principaux s'ils sont techniques. Ça fera gagner du temps à tout le monde, lecteurs et intervenants, et puis ça évitera souvent des échanges un peu stériles sur le fond.

Toi qui sait être si exigeant avec les autres, on attends aussi de toi la précision de l'orfèvre. ;-)

Alors que le Dalaï Lama dit et répète que la vue du Nagrajuna est parfaite pour réaliser la perfection de la sagesse, et qu'elle est en totale conformité avec les paroles du Bouddha, je ne vois pas en quoi on peut le réfuter, et ainsi critiquer le moyen de réaliser la perfection de sagesse résultante.
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Dharmadhatu
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jap_8 Bonjour Zopa,

Selon le Bouddhisme indo-tibétain, il existe 2 types de vue: celle des Sutras et celle des Tantras. Dans les Sutras, la vue est la claire lumière objet: la vacuité d'existence inhérente. Dans les Tantras, la vue est ce qui réalise cette vacuité, c'est la claire lumière sujet.

De nombreux bouddhistes se sont mélangés les pinceaux (et continuent de le faire hélas) en pensant que le référent était le même parce que le terme est le même. C'est pourquoi certains vont jusqu'à dire qu'on peut aller au-delà de la vacuité sous prétexte qu'ils évoquent la vue ne relevant pas des Sutras: :arrow: comme la vue des Tantras (et/ou du Dzogchen) renvoie à quelque chose de différent de la simple négation exclusive d'un soi inhérent, d'aucuns pensent que les Tantras et/ou le Dzogchen n'ont rien à voir avec la vue enseignée par le Bouddha et Nagarjuna (entre autres). C'est assez grave comme confusion parce que c'est simplement être à côté de la voie libératrice. Mais heureusement, ce n'est pas définitif, tout chercheur sincère peut à tout moment se dire qu'il n'a pas encore tout compris et peut ainsi remettre tout ça à plat afin de voir jusqu'où va la cohérence de la voie qu'il emprunte.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Dumè Antoni

Zopa2 a écrit :Pourquoi dis-tu et répètes-tu que la vue de Nagarjuna n'est pas la Vue ? qu'est ce que la vue de Nagarjuna n'a pas de juste ou de correct selon toi ? Cette vue est-elle erronée ? est-elle incomplète ? Et svp parlons avec des mots simples ou bien alors prenons la peine de donner les définitions des termes principaux s'ils sont techniques. Ça fera gagner du temps à tout le monde, lecteurs et intervenants, et puis ça évitera souvent des échanges un peu stériles sur le fond.
La Vue, et plus précisément la Vue de la Vacuité du Dharmakaya, est une véritable expérience qui est tout à fait affirmative. Quand, par exemple, Joshu dit que la nature de Bouddha est le cyprès dans la cour, il ne dit pas, "on ne peut pas dire que la nature de Bouddha soit ceci ou cela, et on ne peut pas dire non plus que ce n'est pas ceci ou cela"... Le cyprès, c'est quelque chose de visible, comme la fleur de Kashyapa. En fait, quand on analyse le tétralemme, on ne sait pas clairement si Nagarjuna voit quelque chose de précis, de net. On comprend bien qu'une chose est vide de nature propre, mais on n'en sait pas plus de cette chose. On ne peut pas dire que c'est une chose, et en même temps, on ne peut pas dire le contraire. Si quelqu'un est capable de réaliser la vraie nature de cette chose à partir de cette présentation, il est vraiment très fort. En réalité, on ne peut pas dire plus que ce qu'en dit Nagarjuna car il a, en quelque sorte, fait le tour de la question. Mais ce n'est pas suffisant. Cette insuffisance est très difficile à comprendre pour celles et ceux qui n'ont, précisément, pas fait l'expérience de la vraie nature ce cette chose. Par exemple, la fleur de Kashyapa pourrait être considérée, du point de vue de Nagarjuna ou du Madhyamaka en général, comme étant vide de nature propre. Ce n'est évidemment pas faux, fondamentalement, mais ce n'est pas ce qu'a vu Kashyapa. Kashyapa a vu le Samboghakaya en voyant la fleur. Ce qui veut dire qu'il a réalisé que cette fleur, c'était lui. Mais que veut dire "cette fleur, c'était lui" ? Ça veut dire que ce qui le séparait de cette fleur, en tant qu'objet, en tant que dharma ou phénomène, c'était l'esprit discursif, l'esprit duel, l'esprit qui nous fait dire "je suis moi et non un autre". Cet esprit discursif s'est effondré dans la réalisation du Dharmakaya, et il a vu la fleur non pas comme vide de nature propre, au sens du Mahyamaka, mais il l'a vue telle qu'elle était après que cet esprit discursif se soit effondré. C'est à dire qu'il a fait l'expérience de la vacuité de cet esprit discursif en sorte que cette fleur n'était pas (ou plus) séparée de lui-même, mais qu'elle était lui-même. Et s'il en était ainsi, c'était parce qu'il réalisait la vacuité de son esprit, non pas au sens de vide d'existence inhérente, mais parce qu'il avait tout simplement disparu. Pour représenter cela, on se sert souvent d'un cercle avec un point au centre : le point représentant le moi, l'ego, l'atman, et la circonférence, le reste de l'univers, c'est à dire tout ce qui est différent de moi. Sans la Vue, au sens de la Vacuité du Dharmakaya, la fleur est sur la circonférence, comme mes chaussures, ma maison, la lune, la planète mars... Avec la Vue, le point central disparaît et tout est sur la circonférence : la fleur, moi, la planète mars, tous les dharmas... Il faut donc bien comprendre que la Vacuité n'implique pas la disparition de tout mais seulement du point central, c'est à dire du moi, de l'atman, de l'esprit, et bien évidement de la distance entre ce point et la circonférence. Et les objets sur la circonférence ne sont pas vides d'existence propre au sens du Madhyamaka, mais ils sont vides de leur différence qui les place en tant qu'objets, en tant que phénomènes (dharmas) objectivables. En d'autre terme, la réalisation n'est pas autre chose que la disparition de la dualité sujet/objet. Pour autant, les objets ne perdent pas leurs caractéristiques propres. La fleur reste une fleur, elle n'a pas changé de statut ; elle n'a pas changé de forme. Mais sa vacuité n'est pas liée uniquement à son absence d'existence inhérente ; elle est liée à son absence de dharma "différent". Elle est donc une fleur, et en même temps elle n'est pas une fleur distincte de moi. Et donc si l'on me demandait "quelle est la nature de Bouddha ?" je pourrais dire "la fleur". Mais qui peut voir cette fleur "telle qu'elle est" (c'est à dire en tant que Samboghakaya), sinon un esprit aussi éveillé que l'était Kashyapa ? C'est le sens de l'enseignement d'esprit à esprit. Kashyapa a vu le Samboghakaya et cela est très différent de dire que la fleur est vide d'existence inhérente.
Toi qui sait être si exigeant avec les autres, on attends aussi de toi la précision de l'orfèvre. ;-)
J'espère avoir été clair, mais je suis pas sûr que ce soit le cas... Chaque lecteur pourra se faire sa propre opinion.
lors que le Dalaï Lama dit et répète que la vue du Nagrajuna est parfaite pour réaliser la perfection de la sagesse, et qu'elle est en totale conformité avec les paroles du Bouddha, je ne vois pas en quoi on peut le réfuter, et ainsi critiquer le moyen de réaliser la perfection de sagesse résultante.
Mais très certainement ! Nagarjuna ne dit pas de contrevérité et sa manière d'exprimer les choses est certainement la meilleure qui soit au plan discursif, mais ce n'est pas suffisant. J'espère avoir montré en quoi ça ne l'était pas.
Verrouillé