Tirru a écrit :Ce pourquoi que tu proposes comme support de réflexion à propos du doigt qui montre la lune, est-ce possible de le reformuler en dehors des maitres, dans une approche personnelle par exemple ?
En fait, les maîtres sont censés montrer la lune — qui dans le contexte est la 3ème noble vérité (pour le Théravada) ou la nature de Bouddha pour le Mahayana ou encore l'Etat Naturel pour les véhicules qui y font référence. La métaphore du doigt et la lune est d'origine Tchan, je crois, mais il est possible que je me trompe. Quoi qu'il en soit, quand on montre à un enfant en bas âge la lune, l'enfant a tendance à regarder le doigt. Quand il ne s'agit plus d'enfants, le comportement devient problématique.
Quand nous allons à la recherche d'un maître pour nous guider sur le sentier, nous attendons de lui — en général — qu'il nous montre la lune. Ce dernier, en principe, possède une méthode — la 4ème Noble Vérité — et il n'y a plus qu'à s'y conformer.
Mais il semble que ça ne soit pas suffisant. Il semble en effet que certains pratiquants, sinon une majorité, ont besoin d'une relation affective entre le maître et eux-mêmes. Dans le Zen, il arrive qu'on appelle le maître "Papa-zen". C'est édifiant, non ? Tout cela montre l'immaturité de certains adeptes et la relation ambiguë qui va s'ensuivre. Dans une relation, il y a au moins deux personnes. Dans le contexte, il y a le maître et le disciple. Si le disciple a sa part de responsabilité, le maître a la sienne.
Si l'on admet — par principe — que le maître va faire en sorte que son disciple ne fasse pas de transfert (pour employer un langage psychanalytique), cela signifie qu'il devra se comporter, envers ce disciple, comme une sorte de professionnel froid ; un peu comme un médecin que l'on consulte et qui ne s'intéresse qu'à la maladie et non au malade. On comprend bien que ce n'est pas la bonne méthode. Il faut trouver un compromis, mais ça me paraît difficile. Le compromis, c'est à mon avis considérer le maître comme autre chose qu'un père. Dans le Bouddhisme, on utilise l'expression "ami de bien". Mais là encore, il y a confusion — mauvaise compréhension de ce qu'est un véritable ami de bien — car un ami renvoie à l'affect. En clair, on n'en sort pas.
Mais pourquoi l'affect ? A mon sens, cela vient d'une méprise fondamentale entre la notion de Compassion, au sens bouddhique, et celle au sens affectif. Le Dalaï Lama, quand il parle des femmes, fait indéniablement référence à l'affect ; à la compassion au sens affectif (avec la fameuse ocytocine). Je soupçonne notre moine national, docteur en biologie, d'avoir largement influencé la sphère pour que des moines et des disciples y adhèrent. C'est l'exemple flagrant du doigt qui montre la lune. La compassion affective est le doigt et la lune est la compassion au sens bouddhique, qui est une sagesse, comme on devrait le savoir.
Je pense que chacun d'entre nous devrait avoir à l'esprit cette problématique quand il s'engage sur la voie. C'est un piège dans lequel tombent aussi facilement les maîtres que les disciples. Quand c'est le disciple, on peut dire que c'est normal, mais quand le maître y adhère, ça devient inquiétant. À moins qu'il s'agisse d'un "moyen habile". C'est ce que je crois, mais c'est très dangereux, et il est possible que ce moyen habile ne soit pas autre chose qu'un moyen facile. Ce n'est bien sûr pas la même chose.