Je pense qu'il n'y a pas de différence fondamentale, sur le fond. Par exemple, dans le Zen, le kensho n'est pas considéré comme libérateur, contrairement au satori qui l'est. En d'autres termes, le kensho pourrait être considéré comme un nirvana avec résidu, et le satori un nirvana sans résidu. Dans le Dzogchen, Rigpa n'est pas libérateur, et il existe un autre terme (que je ne connais pas bien, n'étant pas un adepte de cette Voie) qui est l'équivalent du satori, en quelque sorte, ou du nirvana sans résidu, car lui est libérateur. Mais quelle que soit l'expérience (libératrice ou non), il s'agit de la même Vue, exactement la même, et c'est le Dharmakaya. Il faut bien comprendre que la Vacuité associée à la Clarté du Dharmakaya n'est pas celle qui est inhérente aux phénomènes, mais est d'une toute autre nature car le Dharmakaya n'est pas un phénomène. Je sais parfaitement que pour le Théravada, le Nirvana est considéré comme un phénomène non conditionné, en ce sens que le mot Dharma comprend tout, c'est à dire également les choses sans commencement ni fin (non créées, non formées), l'espace cosmique, et Nirvana. Le Théravada considère donc que tous les dharmas ne sont pas impermanents et sujets au changement, puisque le Nirvana-dharma (et l'akasa = espace cosmique) sont permanents et libres de changements. De mon point de vue (et qui n'engage donc que moi) c'est là une considération qui ne correspond pas nécessairement à l'expérience. Je m'explique : un Dharma conditionné ou non est considéré comme un objet d'expérience et l'on dit régulièrement que l'on fait l'expérience du Nirvana. De ce point de vue, le nirvana est un dharma, très clairement. Mais de mon point de vue il s'agit là d'une méprise qui a été commise également dans le Zen jusqu'à Huineng, et D.T. Suzuki l'a clairement fait observer par l'usage du verbe voir, désigné 看 (kàn) jusqu'à Huineng, et qui s'applique aux dharmas (en terme d'objets conceptualisé, conditionnés ou non) et qui était régulièrement employé dans l'expression "voir dans sa vraie nature", et le même verbe voir, désigné 見 (jiàn), à partir de Huineng, et qui ne s'applique pas aux dharmas mais au Dharmakaya, au Nirvana et donc à la vraie nature ou l'état naturel.
D.T. Suzuki faisait remarquer justement que l'emploi régulier du verbe 看 (kàn) avant Huineng prêtait nécessairement à confusion, ce qui n'empêchait nullement, bien sûr, les Patriarches (de Bodhidharma à Hung jen) de réaliser leur vraie nature et d'avoir le satori, comme l'emploi indifférent du verbe voir en français ne s'oppose pas à la réalisation du satori. Mais très clairement, le fait de s'interroger si le Nirvana est un dharma ou non n'a pas une grande importance, sauf quand on n'a pas fait l'expérience et qu'alors il y a confusion sur la Vacuité et sur le terme voir : 看 (kàn) qui est impropre et 見 (jiàn) qui est correct. De fait, la fameuse gatha de Shen Xiu sur le "miroir à nettoyer" relevait clairement du verbe voir 看 (kàn) et non 見 (jiàn). C'est pourquoi Huineng a rectifié la gatha en précisant qu'il n'y a aucun miroir à nettoyer (donc pas de Dharma à observer, à voir, qu'il soit conditionné ou non). Ou dit autrement, le Dharmakaya (Nirvana) n'est pas un phénomène, n'est pas un Dharma. Mais je précise pour certains que ce n'est pas rien, hein
, ce n'est pas le néant.