La prise de refuge mahayaniste

Dumè Antoni

Oui, j'avais bien compris, mais, au risque de décevoir, ce n'est pas ainsi que fonctionne l'omniscience d'un Bouddha. L'omniscience est la "dimension" sapientiale associée à la vacuité du Dharmakaya (qui n'a rien à voir, répétons-le jusqu'à plus soif, avec la vacuité inhérente aux phénomènes). En d'autres termes, la vacuité compénètre tout l'univers, jusqu'au moindre atome. Bien entendu, puisqu'il existe une dimension sapientiale et visionnaire (une Vue, au sens bouddhique), chaque particule subatomique est vue (sans que ce soit une sensation visuelle) comme on voit la lune ou un caillou qu'on tiendrait dans sa main (la dimension visuelle n'est pas niée en ce qu'elle est associée à une représentation sapientiale). Il existe un kôan secondaire (désolé de revenir au Zen) qui dit : "avale d'une seule gorgée l'eau de tous les océans". Répondre à ce kôan, qui peut paraître se raccorder, dit comme ça, à une forme d'omnipotence, fait en réalité directement référence à la vacuité/clarté du Dharmakaya, la clarté étant bien évidemment l'éclairage sans limite de Prajna. Cet éclairage permet de faire l'expérience de l'univers non pas comme d'un Tout, mais comme étant "notre Vrai Soi". Il ne faut pas s'imaginer que le Vrai Soi représente une sorte de Dieu ou une sorte d'entité océane qui subsisterait après qu'il ne reste plus rien ; c'est tout simplement notre nature de Bouddha. Avaler les eaux de tous les océans d'une seule gorgée, c'est comme être capable de cueillir une météorite dans le ciel sans bouger de sa place sur Terre (ou voir/entendre un arbre qui tombe dans une forêt lointaine qui est exactement voir/entendre "le son d'une seule main"). Cela ne résulte pas non plus d'une action au sens limité de faire quelque chose, mais au sens du Connaître. Comme disait Taitsu à propos du satori de Kokushi : "il entendait la pluie avec ses yeux, de même qu'avec ses oreilles, il pouvait la voir ; et cela n'est compréhensible et possible qu'en réalisant la Vacuité" (au sens du Dharmakaya).

Les mesures physiques que tu décris pour connaître l'univers sont des mesures de l'ignorance (au sens du Bouddhisme). Je vais donner un exemple. L'ensemble des nombres naturels est infini. On sait, de fait, qu'il n'existe pas de nombre naturel qui soit le plus grand. En voulant connaître toutes les mesures physiques de l'univers, on se comporte un peu comme un enfant qui rechercherait le nombre le plus grand. Voilà pourquoi l'omniscience du Bouddha n'est pas rattachée à celle dont tu parles, qui n'est pas omniscience parce que ça relève de l'incommensurable (ou inconcevable), au sens du début du Samsara (et/ou du karma). Et le Bouddha lui-même a dit "inconcevable est le commencement de cette errance (dans le Samsara)". Le mot "inconcevable" échappe à l'omniscience du Bouddha, non pas parce que cette omniscience serait limitée, mais parce qu'on ne peut pas connaître ce commencement (comme on ne peut pas connaître le nombre le plus grand, qui n'existe pas en réalité). Et il faut faire très attention aussi à ne pas prendre Çakyamuni pour un Bouddha de seconde zone qui serait limité par rapport aux Bouddhas du Mahayana. Ce n'est pas comme le premier Terminator (Schwarzi) et ses répliques de plus en plus sophistiquées.(je plaisante) :lol:
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Dharmadhatu
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Zopa2 a écrit :
Dharmadhatu a écrit ::D Juste un mot cher Zopa:
C'est pareil pour l'omniscience : on peut essayer de comprendre ce que cela signifie (notamment grâce aux textes du Mahayana), mais je pense qu'il est très difficile, voire même peut-être impossible, de se représenter pleinement ce que cela signifie. Cela dépasse toutes conceptions.
C'est justement un sujet de discussion que j'ai avec Julien par mp; c'est vrai qu'il est difficile pour une chenille de sonder l'expérience du papillon en plein vol, mais il semble que si les textes traditionnels mahayanistes (comme l'Abhisamayalamkara, le Madhyamakavatara, en plus de certains Sutras) évoquent les modalités de l'omniscience, c'est peut-être parce que le sujet, bien que difficile, n'est pas si impossible à appréhender.
On parlait par exemple du filet de Brahma enseigné par le Bouddha pour évoquer l'interdépendance. J'imagine ce filet en 3D et le Bouddha qui perçoit la totalité de la réalité (le filet) quand nous en percevons une partie.
Amitié FleurDeLotus
Bonjour Dharmadhatu, :)
Les 70 sujets de l'Abhisamayalamkara donnent l'occasion d'essayer de comprendre ce qui y est appelé : " le connaisseur sublime de tous les aspects", mais cela est tellement incroyable pour un être humain ordinaire d'imaginer tout connaître, l'Univers en son entier, et toute son histoire se déployant depuis un temps infini.
Tu évoques le filet de Brahma en 3 D, j'ai trouvé cette video sur YouTube : celle d'un amas d'étoiles, situé à des années-lumière de la Terre, dans la Constellation du Chien. Video prise par le téléscope spatial Hubble. Penses-tu que le Bouddha connaissait chacune de ces étoiles ?

http://youtu.be/xnUzbqiwltM


Amicalement,
jap_8 Oui c'est vrai, tellement incroyable que pour d'aucuns c'est de la science fiction (vu cette affirmation sur Nangpa un jour :lol: ); mais ne devrait-on pas malgré tout se dire que c'est possible (au travers d'une inférence se basant sur un constat de la nature de l'esprit, comme le fait Dharmakirti) si on a cultivé l'esprit d'Eveil: dans le sens où on a attesté que seule l'omnisciente bouddhéité peut nous permettre d'accomplir sans erreur le bien des êtres ?

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

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Zopa2
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Bonjour Dume,

A vrai dire j'ai pas tout compris dans ton précédent message, en partie parce que les termes employés dans une tradition bouddhiste ( le zen par exemple) n' ont pas toujours la même signification dans une autre.

Quoi qu'il en soit, dans les textes du Mahayana tel que l'Ornement des Claires Réalisations, ou encore le Sublime Continuum, l'Eveil est présenté, décrit, dans une certaine mesure et jusqu'à un certain point....

Et là, Dharmadhatu me corrigera si je me trompe, mais ces textes disent qu'une des qualités de l'Eveil est l'omniscience.
Cette omniscience désigne la parfaite connaissance simultanée des deux vérités : la vérité ultime et la vérité conventionnelle. Cette connaissance parfaite et simultanée est obtenue grâce à l'élimination du voile à l'omniscience qui est lui-même constitué par les empreintes des perturbations mentales.
La connaissance de la vérité ultime désigne la connaissance parfaite de la vacuité. Réaliser la vacuité d'un phénomène, c'est réaliser la vacuité de tous les phénomènes, car les phénomènes ont une seule saveur, celle de la vacuité. C'est comme goûter une cuillère d'eau de mer : en gouter une seule permet de connaître la saveur de l'océan...

La connaissance de la vérité conventionnelle désigne la connaissance parfaite et totale de tous les existants. Et cela dans les trois temps : passé, présent et futur.

Comme si cela ne suffisait pas :) , la conscience omnisciente d'un Éveillé perçoit ces deux vérités en un seul instant de conscience ( il y a 65 instants de conscience dans la durée d'un claquement de doigt...). Et ce prodige, un Éveillé le reproduit à chaque instant. Par conséquent, un Éveillé connaît toutes les caractéristiques des étoiles situées dans la Constellation du Chien... C'est du moins de cette manière que j'ai compris ce que représente l'omniscience d'après les textes cités.

Dharmadathu, t'en penses quoi ?
Dumè Antoni

Zopa2 a écrit : Et ce prodige, un Éveillé le reproduit à chaque instant. Par conséquent, un Éveillé connaît toutes les caractéristiques des étoiles situées dans la Constellation du Chien... C'est du moins de cette manière que j'ai compris ce que représente l'omniscience d'après les textes cités.
Ce que tu connais (conventionnellement) à titre personnel et à ton niveau, Bouddha le connaît parce que ta vraie nature est nature de Bouddha. Si quelqu'un connaît conventionnellement toutes les étoiles dans la constellation du Chien, alors Bouddha les connaît car ce quelqu'un ne diffère pas de Bouddha. Les deux vérités (ce n'est pas une approche zen de parler des deux vérités, car il me semble qu'elles sont associées au Madhyamaka et non au Saijojo zen, par exemple, mais peu importe) ne s'opposent pas. Mais si l'on ne connaît pas sa vraie nature (de Bouddha), alors on ne comprend pas que chaque instant ou niveau de connaissance est connaissance (Sapience) de Bouddha. Que dire d'autres ? Je ne sais pas. Sauf à te souhaiter bien sûr de connaître ta vraie nature (et tu connaîtras alors toutes les étoiles de la constellation du Chien) ;-) . Ce n'est pas une boutade (je ne me moque pas de toi) ; ce qui manque, ce n'est pas la vue avec un très puissant télescope ; ce qui manque, c'est la vue dans sa vraie nature.

Le Dharmakaya est Samboghakaya (et Nirmanakaya, bien sûr).

Edit : Il importe aussi de ne pas considérer l'omniscience de Bouddha comme équivalente à celle d'Indra (ou Brahma) ou de n'importe quel Dieu (quel que soit son nom), car alors on se retrouverait dans une représentation éternaliste dénoncée par le Bouddha comme une vue erronée. Le Bouddha ne lit pas, par exemple, dans les pensées d'un autre individu ; il lit dans ses propres pensées parce que l'autre individu, c'est lui (le Bouddha).
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Dharmadhatu
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Zopa2 a écrit :Bonjour Dume,

A vrai dire j'ai pas tout compris dans ton précédent message, en partie parce que les termes employés dans une tradition bouddhiste ( le zen par exemple) n' ont pas toujours la même signification dans une autre.

Quoi qu'il en soit, dans les textes du Mahayana tel que l'Ornement des Claires Réalisations, ou encore le Sublime Continuum, l'Eveil est présenté, décrit, dans une certaine mesure et jusqu'à un certain point....

Et là, Dharmadhatu me corrigera si je me trompe, mais ces textes disent qu'une des qualités de l'Eveil est l'omniscience.
Cette omniscience désigne la parfaite connaissance simultanée des deux vérités : la vérité ultime et la vérité conventionnelle. Cette connaissance parfaite et simultanée est obtenue grâce à l'élimination du voile à l'omniscience qui est lui-même constitué par les empreintes des perturbations mentales.
La connaissance de la vérité ultime désigne la connaissance parfaite de la vacuité. Réaliser la vacuité d'un phénomène, c'est réaliser la vacuité de tous les phénomènes, car les phénomènes ont une seule saveur, celle de la vacuité. C'est comme goûter une cuillère d'eau de mer : en gouter une seule permet de connaître la saveur de l'océan...

La connaissance de la vérité conventionnelle désigne la connaissance parfaite et totale de tous les existants. Et cela dans les trois temps : passé, présent et futur.

Comme si cela ne suffisait pas :) , la conscience omnisciente d'un Éveillé perçoit ces deux vérités en un seul instant de conscience ( il y a 65 instants de conscience dans la durée d'un claquement de doigt...). Et ce prodige, un Éveillé le reproduit à chaque instant. Par conséquent, un Éveillé connaît toutes les caractéristiques des étoiles situées dans la Constellation du Chien... C'est du moins de cette manière que j'ai compris ce que représente l'omniscience d'après les textes cités.

Dharmadathu, t'en penses quoi ?
jap_8 Oui, Zopa je suis d'accord;

pour les 65 instants ça dépend des écoles; ça peut aller jusqu'à 360 je crois.

Dans les Tantras supérieurs, il y a en plus une autre façon de voir le voile afflictif: attachement ordinaire aux choses; et le voile cognitif: apparence ordinaires des choses; avec en plus un voile très subtil à l'omniscience que sont les 3 apparences blanche, rouge et noire.

L'omniscience pour les écoles comme Vaibhashika, est séquentielle: le Bouddha connaît tout d'un phénomène quand sa conscience appréhende ce phénomène, mais pour les écoles mahayanistes indiennes (et donc tibétaines par la force des choses), l'omniscience du Bouddha est simultanée, et bien sûr, pas uniquement par rapport aux 2 vérités, mais aussi au sein des conventions qui sont toutes perçues en même temps et sans aucune confusion. Ca fait partie des 18 qualités spécifiques du Dharmakaya.

L'exemple du 'filet de Brahma' employé par le Bouddha explique bien tout ça: à chaque intersection, il y a un diamant qui reflète tous les autres diamants. Thich Nhat Hanh aussi explique bien ça: en gros, quand le brin d'herbe est vu, le nuage aussi, ainsi que le soleil, la vers de terre etc....

FleurDeLotus
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FA

C'est pareil pour l'omniscience : on peut essayer de comprendre ce que cela signifie (notamment grâce aux textes du Mahayana), mais je pense qu'il est très difficile, voire même peut-être impossible, de se représenter pleinement ce que cela signifie. Cela dépasse toutes conceptions.
Qu'Est-ce que l'omniscience ? Ne serait-ce pas le fait pour un éveillé d'éprouver son éveil dans le monde, plutôt qu'en marge du monde ?
Cela semble possible parce-que la vacuité des phénomènes n'est pas une condition spéciale, elle est toujours effective même
au cœur de la vie mondaine. La forme est vide, le vide est forme.
L'éveil n'est-il pas d'une certaine manière, la reconnaissance de cette possibilité de changement à tout moment des conditions imposées par l'inertie des phénomènes,
les forces d'habitudes ?
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Dharmadhatu
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