La vacuité

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Dharmadhatu
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:D

"La vacuité" est un diminutif pour "la vacuité ou l'absence d'existence absolue/indépendante/inhérente/objective".

Pourquoi tout ce qui existe est-il vide d'existence indépendante ? Parce que tout ce qui existe ne peut exister qu'en dépendance.
En dépendance de quoi ? il y a 3 types de dépendance de plus en plus subtils:

1) en dépendance de causes et conditions (pour les choses produites): une fleur dépend de la graine, de l'eau, de l'air, de la terre, la lumière etc.

2) en dépendance de parties constituantes (pour les choses produites et les phénomènes permanents): la fleur dépend aussi de sa couleur, de sa forme, de ses pétales, de ses pistils, de sa densité, de ses cellules etc. L'espace incomposé dépend des directions spatiales etc.

3) en dépendance d'une désignation conceptuelle (pour n'importe quel phénomène): si on cherche vraiment la fleur, on ne la trouve pas: elle n'est aucune de ses causes et conditions et n'est aucune de ses parties constituantes, ni le tout, ni la configuration etc. Donc la fleur n'existe qu'en tant que simple désignation en dépendance d'une base: un ensemble de caractéristiques.

C'est la voie médiane au-delà des extrêmes de l'éternalisme (ou absolutisme) et du nihilisme: on échappe au nihilisme en disant que les phénomènes sont vides (parce qu'ils sont vides d'existence indépendante mais pas vides d'existence), et on échappe à l'absolutisme en disant que les phénomènes existent en dépendance (comme ils dépendent, ils ne peuvent pas être absolus/indépendants).

Si on arrive à accepter que la vacuité implique la causalité (et en particulier la causalité karmique) au lieu de la nier, et que la causalité implique la vacuité au lieu de la nier, alors on a la vue juste (ou la juste compréhension), la vue médiane. Alors on se familiarise avec cette compréhension, encore et encore parce que cette vue juste est l'exact opposé de notre ignorance fondamentale source d'afflictions et de karmas contaminés. Donc notre familiarisation (un autre nom pour "méditation") avec cette compréhension doit entraîner un amoindrissement progressif de notre ego, de nos réactions malsaines etc.

Cette familiarisation éliminera totalement et définitivement l'ego et les autres émotions perturbatrices quand le "reflet conceptuel" entre le miroir de notre esprit et la réalité telle qu'elle est aura disparu: on parlera alors d'une perception yogique. Si notre voie est celle du Mahayana (ayant pour but l'Eveil omniscient pour aider tous les êtres), alors on poursuivra sur la voie de méditation jusqu'à ce qu'on finisse par éradiquer de notre esprit non seulement les graines de l'ego et des émotions négatives (le "voile afflictif"), mais aussi l'abat-jour qui empêche notre esprit de tout connaître (le "voile cognitif").

La question de la vacuité est d'une importance primordiale parce que parmi tous les remèdes enseignés par le Bouddha, certains soignent certaines émotions négatives, mais ne soignent que celles-là et pas les autres, alors que la sagesse de la vacuité soigne toutes les émotions négatives sans exception puisqu'elle tranche leur racine qu'est l'ego.
Il est important d'étudier les textes fondamentaux pour approcher la juste compréhension: ceux de Nagarjuna en particulier (qui fut prophétisé par le Bouddha comme allant exposer son intention ultime sur la vacuité), de Chandrakirti, Shantideva etc. Mais il existe d'excellentes introductions à ces traités comme certains ouvrages de S.S. le Dalaï Lama:
La Sagesse transcendante
Se voir tel qu'on est
L'Art de la sagesse
etc.

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Bref, l'outil dépend de l'usage qu'on en fait, et vice-versa.

Je me demande si les poètes n'ont pas cette intuition au fond d'eux quand ils voient les choses à travers le prisme de leur coeur.

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
ted

Bonjour

Il me semble pas trop difficile de comprendre qu'un objet dépende :
1) de causes et conditions (pour les choses produites): une fleur dépend de la graine...
2) de parties constituantes (exemple de la charette du Bouddha)
3) d'une désignation conceptuelle (on va nommer, étiqueter, séparer mentalement)

Mais quand il s'agit d'appliquer les 3 types de dépendances à nous-mêmes, ça se complique, non ?

Car :
1) oui, nous sommes issus de causes et conditions : le désir de nos parents, leur fertilité, les conditions de survie d'un bébé etc... ok ??
2) oui, d'après les enseignements, nous sommes composés de "parties" appelées "agrégats". On les présente tantôt par 5 (5 agrégats), ou tantôt par 2 (nama, rupa). d'accord ??
3) Mais "QUI" nous designe ? :shock:
Nous-mémes ? Le Bouddha ? Les autres ? :)

La désignation laisse supposer une intelligence conceptuelle extérieure. Un observateur qui montre du doigt. Or, un individu qui médite profondément et qui s'aperçoit de la vacuité de son existence, peut-il vraiment se dire qu'il n'existe qu'en tant que désignation ? Dans ce cas, où est la personne qui arrive à cette conclusion ? Et qui est-elle ? :) Et "qui donc" est présent pour nous désigner dans la solitude de la méditation ?
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Dharmadhatu
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:D Coucou Ted, heureux de te lire,

Il y a deux contextes dans ce que tu soulignes: le contexte épistémologique et le contexte ontologique: le premier concerne la façon dont les choses nous apparaissent en période méditative et post-méditative; et le 2ème la façon dont les choses existent en général.

1) quand on médite sur la vacuité, on cherche vraiment la personne: où est vraiment Ted ?
-> on ne le trouve pas. Donc il n'existe pas ultimement puisqu'on a fait une recherche ultime et on n'a pas trouvé ce qu'on cherchait (autrement dit, si Ted existait ultimement on le trouverait à l'issue d'une recherche ultime).

2) on sort de cette absorption sur cette simple absence et on constate qu'on existe: mais comme on a vu qu'on n'existait pas ultimement, il faut bien qu'on existe d'une manière ou d'une autre: la seule façon d'exister est de manière purement nominale, puisque si ce n'est pas purement nominal, ça doit exister là quelque part sans qu'on le désigne; or ça n'existe pas là quelque part sans qu'on le désigne puisqu'on vient de le chercher là quelque part et qu'on ne l'a pas trouvé.

Selon l'école prasangika (celle de Nagarjuna, Chandrakirti etc.) c'est justement cette alternance entre période méditative (sur la vacuité d'existence indépendante) et période post-méditative (sur l'existence inter-dépendante) qui fait partie du voile cognitif: on aura cette alternance jusqu'au seuil de l'Eveil. Seule la sagesse omnisciente d'un Bouddha est débarrassée de ce voile et perçoit donc en même temps les deux facettes de la réalité; parce que ces deux facettes coexistent dans un contexte général (ontologique).

Qui désigne ? Tout le monde. Le Bouddha lui-même parlait de lui en disant "je" ou des autres en disant "ils" etc.

Sauf que les êtres ordinaires qui n'ont jamais abordé la vacuité ne savent pas qu'ils existent simplement en tant que pures conventions nominales, pour eux, et sans même qu'ils le sachent, les vérités relatives sont des vérités voilées ou obscurcissantes (car elle apparaissent d'une manière et existent d'une autre manière). Tout le monde désigne quelque chose sauf que les êtres ordinaires qui n'ont pas abordé la vacuité ne s'en rendent pas compte et considèrent de manière innée que les choses ne sont pas que de simples désignations et existent là quelque part de manière objective.

D'où l'attachement, la répulsion, les karmas contaminés, la souffrance et tout le tintouin...

Amitié FleurDeLotus
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Pourquoi dire d'un côté que la désignation n'est qu'une convenance, et de l'autre, affirmer par exemple, qu'une graine de pommier ne peut pas donner un oranger ? Si un pommier ne peut pas donner un oranger, alors les différences pré-existent à la désignation non ? :)
ted

Pourquoi, dans une recherche ultime, on dit qu'on ne trouve rien ultimement, alors qu'il y a bien une conscience, même subtile, pour faire ce constat d'absence ?

A moins que le constat d'absence ultime ne soit pas fait par une conscience ? :shock:
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axiste
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Peut-on nommer ce qui est sans risquer de tomber à côté ? L'impression aussi que les choses pré-existent à la désignation qui est comme le doigt vers la lune. oiseau2julie
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
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Dharmadhatu
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ted a écrit :Pourquoi dire d'un côté que la désignation n'est qu'une convenance, et de l'autre, affirmer par exemple, qu'une graine de pommier ne peut pas donner un oranger ? Si un pommier ne peut pas donner un oranger, alors les différences pré-existent à la désignation non ? :)
jap_8 C'est la question la plus difficile, et c'est pour ça que la vue prasangika est difficile: à cause de cette implication mutuelle entre existence nominale et causalité infaillible.

C'est justement parce que les phénomènes ne sont que des conventions nominales qu'ils peuvent fonctionner et interagir: s'ils n'étaient pas de simple conventions nominales, ils auraient une existence en soi, de leur propre côté et donc ne dépendraient de rien: pas plus la cause de l'effet que l'effet de la cause. On pourrait engendrer autant de causes qu'on veut, ça ne changerait rien pour l'effet: soit il serait inexistant pour toujours, soit il aurait toujours existé.

De plus, parce qu'ils sont vides d'existence indépendante, les phénomènes peuvent interagir mais pas n'importe comment, en effet. Quand on dit que les phénomènes ne sont que des désignations, ils ne sont pas que les noms eux-mêmes, sinon, dit Nagarjuna dans le Vigrahavyavartani (cf. The Dialectical Method of Nagarjuna) on se brûlerait la bouche rien qu'en prononçant le mot "feu".
Il faut donc comprendre le phénomène en tant que simple désignation en dépendance d'une base d'imputation: la base d'imputation d'une graine de pommier n'est pas la base d'imputation d'une graine d'oranger. On peut appeler une souris d'ordinateur "souris" tout en sachant que ce n'est pas une souris dont la base d'imputation (un ensemble de caractéristiques) est différente d'une souris d'ordinateur: manger, dormir, faire ses besoins. Ce que ne fait pas une souris d'ordinateur; c'est pourquoi on sait que c'est un genre de métaphore, mais pas une "vraie" souris.

FleurDeLotus
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Dharmadhatu
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ted a écrit :Pourquoi, dans une recherche ultime, on dit qu'on ne trouve rien ultimement, alors qu'il y a bien une conscience, même subtile, pour faire ce constat d'absence ?

A moins que le constat d'absence ultime ne soit pas fait par une conscience ? :shock:
Si on cherche à son tour ultimement la conscience qui fait ce constat, on ne la trouvera pas: est-elle l'aspect de clarté ? est-elle l'aspect cognitif ? est-elle l'instant T ? l'instant U ? l'instant V ? l'ensemble des instants ? est-elle tel le facteur mental d'analyse ? l'ensemble "cognition + analyse" ? Elle n'est rien de tout ça: elle est donc dénuée d'existence ultime/objective/indépendance/inhérente etc.

Dès qu'on sort de ce constat, on voit bien que la conscience existe, mais comme ça ne peut pas être ultimement, c'est forcément conventionnellement: en dépendance. En dépendance de causes et conditions, de parties successives, d'une désignation conceptuelle.

FleurDeLotus
axiste a écrit :Peut-on nommer ce qui est sans risquer de tomber à côté ?
On risque forcément de tomber à côté justement parce que le phénomène désigné n'est pas (et n'a jamais été) la base d'imputation. Si le phénomène imputé était sa base d'imputation, on ne pourrait jamais désigner "horse" ou "Pferd" ou "ta" ou "canasson" un cheval. Ou encore plusieurs phénomènes (comme une souris d'ordinateur et une souris qui vit dans le placard) ne pourraient pas porter le même nom.
L'impression aussi que les choses pré-existent à la désignation qui est comme le doigt vers la lune.
Oui, c'est tout à fait ça ! jap_8

Vos interventions sont splendides: ça prouve que vous n'êtes pas satisfaits d'une simple explication ni de l'apparence habituelle des choses.

FleurDeLotus
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jules
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Je vois que l’étymologie de désigner c’est : « désigner par quelque trait distinctif »
Donc il y’a bien comme intention propre à la désignation d'étendre la démarche d’investigation de manière à pouvoir objectiver, rendre observable et manifeste. Quant au soi, quant à la conscience, c’est comme si on voulait rendre manifeste l’incapacité de procéder de la sorte comme fait essentiel de l’expérience bouddhique.
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Dharmadhatu
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Jules a écrit :Je vois que l’étymologie de désigner c’est : « désigner par quelque trait distinctif »
:D Oui, et ce que va ajouter la philosophie bouddhiste, c'est que le véritable objet de désignation n'est pas l'"exemple" qu'on nous montre là dehors (le chat noir qui se roule dans l'herbe), mais la concept "chat".

C'est pour ça qu'on peut reconnaître un chat siamois qui se lèche les patounes comme étant un chat, parce qu'il correspond à la généralité "chat" à laquelle on nous a présenté sur la base du chat noir.

Si le véritable objet de désignation n'était que le chat noir en train de se rouler par terre, il nous serait impossible de reconnaître le persan ronflant sur un coussin comme étant un chat.

Même chose pour une voiture, un arbre etc.

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