Influence de la pratique de zazen sur le fonctionnement cérébral
Maître Deshimaru écrit dans Zen et cerveau : « Par la posture de zazen, nous pouvons ramener le système nerveux autonome à sa condition originelle, normale. La juste tension des muscles réagit sur l’hypothalamus. » Ainsi la posture, la respiration et la mise au repos de l’activité intellectuelle permettent aux structures du proto-soi d’assumer pleinement leur rôle de régulation homéostatique et de rétablir les conditions physiologiques optimales. L’énergie du corps se renforce.
Par ailleurs, dans l’enseignement du zen, il est dit constamment de revenir à l’ici et maintenant, ce que l’on pourrait traduire, avec les termes de Damasio, en disant : revenir à la conscience-noyau, à la conscience thalamique. Maître Deshimaru avait beaucoup insisté sur le rôle du thalamus pendant zazen : « En poursuivant zazen, on peut arriver à un autre mode de fonctionnement. Les excitations [du proto-soi] arrivent toujours dans le thalamus, mais ne sont renvoyées ni dans le cortex frontal [centres d’intégration supérieurs], ni dans le rhinencéphale [siège des émotions]. L’augmentation de la tension dans le thalamus favorise un état de conscience propice à l’intuition ? état hishiryo ? au-delà de la pensée consciente, de la pensée inconsciente. »
Dans le bouddhisme, la conscience profonde est appelée alaya. Cette conscience est toujours changeante et existe grâce à l’interdépendance ; elle est comme le courant de la rivière. Par la pratique de zazen, la conscience alaya devient paisible et peut être aiguillée vers la conscience amala, la conscience cosmique parfaite. Maître Deshimaru insiste sur la relation profonde entre alaya et amala, qui ne peuvent être séparées.
Si nous revenons à la théorie de Damasio sur la conscience-noyau qui se manifeste sous forme de pulsations générées par les changements du proto-soi, on peut se demander ce qui se passe entre les pulsations. Quel est l’état de la conscience à ce moment-là ? Maître Deshimaru écrit : « Quand nous avons conscience de quelque chose, cet état de conscience n’est pas le véritable ego. Il est lié à l’objet par une relation d’interdépendance. Si nous n’avons ni sensation ni pensée, la conscience n’est pas conscience d’objet ; elle ne peut être l’objet, mais elle est exactement comme l’objet. » Ainsi, la conscience-noyau n’est pas le véritable ego, car elle dépend encore de l’objet.
Maître Deshimaru dit enfin : « De la conscience alaya, nous pouvons saisir la véritable, pure, suprême sagesse, ku. C’est la conscience amala, la sagesse transcendantale, de Dieu ou de Bouddha, la plus haute. » Ainsi, on pourrait dire qu’entre les pulsations de conscience-noyau apparaît notre véritable nature, la conscience amala.
Cette conscience-ci, Damasio n’a pas pu la décrire car elle sort du champ de l’investigation scientifique. Néanmoins, sa théorie sur l’émergence des différents niveaux de conscience est très séduisante et s’accorde remarquablement, me semble-t-il, avec notre expérience du fonctionnement cérébral pendant zazen. Cela représente certainement un pas important dans la direction que souhaitait Maître Deshimaru quand il écrivait : « Dans la condition subjective de notre zazen surgit la preuve actuelle de l’harmonie avec toutes les existences de l’ordre cosmique. La science, par la preuve physiologique, doit en apporter la démonstration objective. »
François Lang moine zen professeur de pharmacologie