jules a écrit :Perso, je pense que lorsqu'on écrit sur un forum, qu'on s'autorise à le faire, il faut en arriver à l'assumer, sinon on passe son temps à exprimer le fait qu'on ne devrait pas penser ni user de concepts ou d'idées. Cela donne des interventions dans lesquelles tacitement, nous ne faisons que dénoncer par le biais de démonstrations soumises quoi qu'il en soit aux lois de la parole et de la pensée que, ce sont tous les autres qui devraient faire l'effort de se rendre compte que ça ne sert à rien d'user du mental et des concepts. Quand on ne veut vraiment pas user des mots, alors on en use tout simplement pas, et par ce non usage, il ne peut apparaître ni qu'il faut ni qu'il ne faut pas user des mots. Et pour étayer ceci, j'ai la phrase de Ted qui me revient à l'esprit qu'il n'a peut-être pas entendue en ce sens mais que je reprendrai pourtant à mon compte pour la circonstance : Le véritable silence, ne craint pas le bruit. Ce qui pourrait vouloir dire pour moi en l'occurrence : Parler ou rester en silence, si c'est assumé, c'est kif kif. <<metta>>
lausm a écrit :Oui, mais regarde, tout ce dont tu parles, est la combinaison d'objets conceptuels qui nous ont été déjà accessibles, et qu'on recombine au gré de notre imagination.
C'est ça la création, la créativité.
Mais en dessous de ces éléments qu'on recombine, il y a tout ce qui sous tend la pensée : ce qu'on ne peut penser.
Mais quand je lis qu'on pourrait penser à quelque chose qui n'existe pas pour le nier, je trouve juste que ce genre de question, qui peut se comprendre, est aussi en fait totalement inutile, car une fatigue pour l'esprit, juste un truc pour alimenter le moulin à spéculations mentales (et donc quelques pages sur Nangpa!), et que ce n'est pas forcément ce que recommandait notre bon Shakyamuni pour faire avancer la cause du soulagement de la souffrance humaine.
Par essence l'impensable est impensable, je ne parle pas de l'impensable qui est dû au refus d'affronter une réalité, mais juste ce qui nous est insaisissable.
si les hommes ont créé un Dieu au-delà des hommes, si les hommes regardent le Ciel comme ce qui nous embrasse et est impossible à saisir, si on nous parle de la vacuité, de l'espace, de tous ces trucs qui englobent tout et sont au-delà de notre condition humaine, ce n'est pas pour rien.
Et justement, les humoristes souvent enseignent à leur façon, là où certains se prennent méchamment le chou!

Oui, le Bouddha n'a pas recommandé les
prapañca, mais ce dont il est question ici n'a rien à voir avec ça.
Nous adhérons depuis toujours à un soi: c'est pour ça qu'on souffre. Alors qu'est-ce qu'on fait ? On s'attaque à ce soi, cause de nos souffrances (et de celles des autres). Mais si on ne sait pas ce qu'est ce soi, comment le viser juste et lui défoncer la tronche ?
Si le Bouddha avait dit:
Ok les gars, vous souffrez. Vous souffrez à cause d'un soi, mais surtout n'allez pas chercher à savoir ce qu'est ce soi !
On se poserait de sérieuses questions sur la cohérence de sa démarche, non ?
C'est pour ça que Shantideva dit:
Sans connaître l'objet de négation, comment le mettre à mal ?
Voilà l'intérêt de poser la question: c'est quoi ce truc qui me fait souffrir depuis toujours ?
En même temps, s'il était fastoche à découvrir, on serait tous sauvés depuis longtemps, non ?
Alors on peut en avoir une sensation, quand on pense à une situation où quelqu'un nous critique en public, ou quand on nous complimente à tarbasse. Mais cette sensation, là, pas loin du cœur, elle est associée à quoi ?
C'est ça qu'il fait savoir, par la vue juste (
samyak-drishthi), sinon on est paumé; on ne sait pas de quoi on souffre. Alors quant à trouver le remède, bon courage !
Si après on se dit:
Ah tiens, peut-être que les bouddhistes ont raison de chercher à savoir d'où viennent tous leurs malheurs !
Alors on se met à analyser ce que disent les disciples les plus éminents du Bouddha, qui ont été plus loquaces sur le sens définitif des choses, comme Nagarjuna, Aryadéva, Shantideva ou Chandrakirti.
Si après quelques recherches on se dit:
Oh lala, c'est compliqué le Bouddhisme indien ! et qu'on arrête de chercher, on peut avoir seulement discerné un soi (une cible) un peu vague, et s'être appliqué donc à réfuter un soi plutôt grossier. On se dit: Moi ça me suffit ce non-soi, pas la peine de me prendre la tête à chercher plus loin.
Alors, c'est comme avoir peur de la présence d'une araignée dans sa chambre et se rendormir tranquillement après avoir constaté l'absence d'un papillon de nuit. Tôt ou tard, la peur de l'araignée (
dukkha) ressurgira.
Ayant dit tout ça, je sais que tout le monde a ses difficultés sur la voie, diverses et variées, mais Shantideva disait aussi:
Il n'est rien qui ne soit aisé avec de l'habitude. (
Na kimchidasti tadvastu yadabhyasasyam dushkaram), donc si on se dit que ça vaut la peine de chercher ce exactement à quoi notre esprit adhère tacitement depuis toujours en nous trimballant encore et encore d'attraction en répulsion, et qu'on prend le temps de lever le nez des bouquins pour examiner si ça tient la route logiquement et surtout avec ce qu'on vit au quotidien, alors on a des chances de dépasser cette lassitude par rapport aux concepts (qui ultimement s'apaisent dans une perception yogique de notre réalité). Lassitude tout à fait normale puisque des concepts, on en est envahi toute la journée. Dans ce cas-là, ce sont ces
prapañca qui n'ont pas souvent grand-chose à voir avec la réalité, tandis que cerner une cible et y pointer le scalpel de diamant de l'analyse ultime, c'est comme la bonne bouffée d'air frais qu'on commence à sentir avant même que la fenêtre s'ouvre entièrement sur l'horizon. On commence à se dire qu'on a bien fait de persévérer, à son rythme, cool.
Si le silence ne craint pas le bruit, la différence c'est que le bruit peut s'exprimer et occulter le silence, alors que le silence pour s'exprimer et devenir perceptible doit voir le bruit cesser.
J'ai tendance à faire confiance en la logique naturelle et en celle de l'être humain: si quelqu'un n'a pas contemplé le silence, ou pas suffisamment, alors tous ces blablas lui passeront à côté et c'est très bien. Cette personne cherchera à reprendre souffle dans la quête ou la contemplation du silence. Si quelqu'un contemple régulièrement le silence, alors le bruit ne peut plus le submerger au point de le rendre imperceptible. Mais j'imagine qu'il y a des nuances entre les deux et que certains verront toujours le silence au sein même du bruit (un madhyamika dira: et vice versa), que d'autres se perdront de temps en temps dans le bruit, pour mieux retourner au silence, etc...
