Pourquoi ?
Je suis d'accord sur le fait que la lune est insaisissable par les moyens de l'intellect ou de l'esprit discursif. Mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'aucune attitude particulière manifestée ne peut prétendre l'embrasser totalement. Quand le Bouddha montre la fleur, pour reprendre un exemple connu qui est un cas d'espèce (mais il n'est évidemment pas le seul), cette attitude embrasse totalement la "lune", c'est à dire la nature de Bouddha ou le Non-né. Il n'y a rien à ajouter au geste du Bouddha pour que la réalisation de Kashyapa soit plus authentique ou plus profonde. Mais d'une manière générale, la fleur de Kashyapa n'est pas différente du cyprès dans la cour de Joshu ou encore du ploc ploc de la pluie pour le maître Daïto Kokushi.
Ben il me semble que dans toute l'assemblée, seul Kashyapa a réalisé le message du Bouddha lorsque celui-ci a montré la fleur.
Si l'attitude du Bouddha pendant qu'il montrait la fleur avait été comparable à la lune elle-même se montrant parfaitement aux sens* de tous, toute l'assemblée aurait vu la lune directement et toute l'assemblée se serait sur le champs éveillée. Or la clairvoyance de Kashyapa a été nécessaire pour réaliser au travers de la fleur sa véritable nature.
Et puis de toutes façons cette histoire de doigt et de lune n'a de sens que dans le cadre d'une transmission. Notre véritable nature est au delà de la transmission ; au delà de la transmission, il n'y a pas de lune à montrer du doigt.
*Sens : Aptitude à connaître, à apprécier quelque chose de façon immédiate et intuitive. "Larousse"
Si l'attitude du Bouddha pendant qu'il montrait la fleur avait été comparable à la lune elle-même se montrant parfaitement aux sens* de tous, toute l'assemblée aurait vu la lune directement et toute l'assemblée se serait sur le champs éveillée. Or la clairvoyance de Kashyapa a été nécessaire pour réaliser au travers de la fleur sa véritable nature.
Et puis de toutes façons cette histoire de doigt et de lune n'a de sens que dans le cadre d'une transmission. Notre véritable nature est au delà de la transmission ; au delà de la transmission, il n'y a pas de lune à montrer du doigt.
*Sens : Aptitude à connaître, à apprécier quelque chose de façon immédiate et intuitive. "Larousse"
Oui. En tout cas, c'est de lui dont il est question.Jules a écrit :Ben il me semble que dans toute l'assemblée, seul Kashyapa a réalisé le message du Bouddha lorsque celui-ci a montré la fleur.
Pas nécessairement. Suppose que tu assistes à un cours de mathématique avec un théorème que tu sois seul à comprendre dans l'assemblée des élèves présents au cours. Cela voudrait-il dire que si le théorème était vraiment l'expression exacte de ce qu'il décrit, tous les élèves auraient dû le comprendre pareillement ? Evidemment non ; Comme tu le précises : "Or la clairvoyance de Kashyapa a été nécessaire pour réaliser au travers de la fleur sa véritable nature." En d'autres termes, le Bouddha a montré la lune, mais seul Kashyapa l'a vue vraiment. Tous les êtres ne sont pas égaux devant l'enseignement du Dharma. Le soleil brille pareillement pour tous les êtres (il ne fait pas de différence et c'est là sa compassion infinie), mais ceux qui sont à l'équateur le reçoivent bien mieux et plus longtemps que ceux qui vivent aux pôles.Si l'attitude du Bouddha pendant qu'il montrait la fleur avait été comparable à la lune elle-même se montrant parfaitement aux sens de tous, toute l'assemblée aurait vu la lune directement et toute l'assemblée se serait sur le champs éveillée.
Oui, enfin, ça c'est pour les êtres très doués, bénéficiant d'un karma très favorable et capables, sans recevoir la transmission, d'atteindre l'éveil. Ces cas sont cependant si rares — si tant est qu'ils existent — qu'ils ne font que confirmer la règle que pour s'éveiller, même en une vie, il est préférable, pour ne pas dire nécessaire, de recevoir la transmission. D'autant qu'il ne faut pas s'imaginer que la transmission est nécessairement formelle, je veux dire "rituelle". Quand le Bouddha historique entendit la parabole de la corde ni trop tendue, ni trop lâche, d'un pêcheur qui passait non loin de lui, il y bien eu transmission d'esprit à esprit. Le Bouddha était bien sûr prêt (comme Kashyapa l'était) car c'est bien ça qui importe : être prêt à recevoir la transmission, c'est à dire une information qui va déclencher le processus d'éveil. Cette information est considérée, dans le Mahayana, comme étant le fait du Nirmanakaya. Dans le cas du Bouddha historique, ce pêcheur (sans doute inconsciemment) transmettait un enseignement. On dit donc qu'il incarnait le Nirmanakaya. Mais fondamentalement, Çakyamuni était prêt pour voir la lune (encore que dans cet épisode, il n'avait pas encore eu l'éveil, mais a décidé de changer de pratique, ce qui est une forme d'avancée sur le sentier). Jamais elle ne lui avait été cachée auparavant ; il n'avait simplement pas les yeux (ou les oreilles) pour la voir (entendre) avant cet épisode. Ceci montre l'importance du Nirmanakaya non pas comme un élément extérieur au pratiquant, mais comme l'état de brillance (et donc de Prajna) qui va éclairer l'esprit du pratiquant. Prajna n'est pas extérieure au pratiquant ; elle est la brillance (ou la clarté) du Dhamakaya qui va éclairer le pratiquant (et donc l'éveiller) grâce à une action (par exemple montrer la fleur) qui n'aura pas le même effet (ou sens) pour tous. En d'autres termes, la transmission ne se fait pas d'un maître "extérieur" vers un disciple, mais d'un maître intérieur (qui peut objectivement se trouver à l'extérieur ; et auquel cas, c'est un Nirmanakaya) vers un disciple. Ce "maître" intérieur/extérieur est bien sûr Prajna et Prajna peut user du Nirmanakaya (c'est d'ailleurs le cas le plus fréquent).Et puis de toutes façons cette histoire de doigt et de lune n'a de sens que dans le cadre d'une transmission. Notre véritable nature est au delà de la transmission ; au delà de la transmission, il n'y a pas de lune à montrer du doigt.
Ceci explique pourquoi je m'interroge sur certaines attitudes des maîtres qui cherchent à montrer, par leur manière de se comporter, comme si l'on reconnaissait l'arbre à ses fruits, des attributs de sagesse et de compassion qui n'ont rien à voir avec le Dharma. La Compassion du Nirmanakaya, on l'aura compris, est une sagesse qui émane de Prajna et qui va éclairer l'esprit de l'adepte non pas comme une lampe extérieure mais quand l'adepte aura retourné sa propre lampe vers lui-même. Pour que le Nirmanakaya agisse, pas besoin de faire tant de simagrées. Il suffit que l'élève soit prêt. Les maîtres seraient donc plus inspirés à botter les fesses des rêveurs qui s'extasient en faisant quelques expériences de calme mental plutôt que les encourager à rester calmes et sereins dans cette attitude finalement morbide parce que loin de les éveiller, elle les égare.
Là dessus nous sommes d'accords.Dumè : En d'autres termes, le Bouddha a montré la lune, mais seul Kashyapa l'a vue vraiment.
Mais quand je dis qu'aucun comportement n'est conforme à la lune, cela veut dire que si une personne voit dans ce comportement spécifique (faire tourner la fleur) la lune elle-même, il se trompe. Pour voir la lune dans cette attitude un pas doit être fait, un pas consistant précisément à comprendre que cette attitude n'est encore que le doigt. C'est d'ailleurs le pas qu'a fait Kashyapa et que les autres n'ont pas été en mesure de faire. C'est en ce sens que je dis qu'aucun comportement n'est conforme à la lune (aucune attitude ne peut se conformer pleinement à la lune qui est insaisissable), au mieux ce comportement peut être un habile moyen de montrer la lune, d'évoquer l'insaisissable.
- Dharmadhatu
- Messages : 3690
- Inscription : 02 juillet 2008, 18:07
::mr yellow:: Je pense qu'on est tous d'accord là-dessus: un "maître" qui fait des simagrées est un maître authentique des dharmas mondains, mais certainement pas un maître authentique du Dharma.
Parce qu'au final, qu'est-ce qu'un Maître authentique ? Quelqu'un qui a une certaine maîtrise: une maîtrise de quoi ? de son propre esprit. Faire des simagrées, c'est être complètement à côté de la plaque. D'ailleurs, voir des simagrées là où il n'y en a pas, et ne pas en voir là où il y en a, c'est aussi être à côté de la plaque.
Bref, le disciple a le Maître qu'il mérite et vice versa. Si les deux sont authentiques, alors la voie spirituelle est merveilleuse parce que la voie n'est pas le but, c'est le but qui est la voie (les tantrikas comprendront).

Parce qu'au final, qu'est-ce qu'un Maître authentique ? Quelqu'un qui a une certaine maîtrise: une maîtrise de quoi ? de son propre esprit. Faire des simagrées, c'est être complètement à côté de la plaque. D'ailleurs, voir des simagrées là où il n'y en a pas, et ne pas en voir là où il y en a, c'est aussi être à côté de la plaque.
Bref, le disciple a le Maître qu'il mérite et vice versa. Si les deux sont authentiques, alors la voie spirituelle est merveilleuse parce que la voie n'est pas le but, c'est le but qui est la voie (les tantrikas comprendront).


apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate
Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.
Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate
Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.
Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Je comprends ce que tu veux dire, mais je ne suis pas d'accord. En effet, si ce n'était pas le cas — si ce comportement n'était pas conforme à la lune —, pourquoi Kashyapa a-t-il vu la lune ? Par ailleurs, le Bouddha, dans son infinie Sapience, ne commet aucune erreur et son attitude est juste par essence. S'il n'avait pas montré la lune, il aurait failli à cela et il n'aurait pas été le Bouddha. En fait, la fleur est la lune. Ce n'est pas seulement un "moyen habile". Il a été vu comme un moyen habile uniquement par ceux qui n'ont pas vu la lune mais qui ont estimé que si Kashyapa a vu autre chose qu'une fleur, alors c'est que le Bouddha aurait usé d'une sorte de stratégie, d'un langage spécifique que seuls les éveillés peuvent comprendre. En fait, ce n'est pas du tout ça (même si d'un certain point de vue, ça peut être aussi compris comme ça). Le Bouddha, c'est comme un soleil qui brille dans toutes les directions sans en privilégier aucune. Il n'use pas de stratégie. Il y a seulement ceux qui le reçoivent et ceux qui ne le reçoivent pas, et sans doute aussi ceux qui le reçoivent "plus ou moins bien".Jules a écrit :quand je dis qu'aucun comportement n'est conforme à la lune, cela veut dire que si une personne voit dans ce comportement spécifique (faire tourner la fleur) la lune elle-même, il se trompe.
Ben non, justement. Le pas est bien de voir la lune et non de considérer que ce geste du Bouddha, cette attitude juste, n'est que le doigt qui montre la lune. Je pense que ton analyse repose sur l'idée que la lune est inaccessible et que, par conséquent, la seule chose accessible n'est que le doigt. Dans la phrase : "Paul mange une pomme", le sens est immédiat. Le sens est contenu dans la phrase et dans ta compréhension des mots agencés de cette manière. Il n'est pas en dehors de la phrase. Au contraire, sans le sens, cette phrase ne pourrait exister. Il existe une maladie neurologique qui te permet de lire sans comprendre le sens des phrases (je n'ai plus le nom de cette maladie mais peu importe). Si j'examine ce que tu es en train de dire et si je le comprends correctement, c'est que, de ton point de vue, c'est la maladie qui est naturelle et que le sens de la phrase est quelque chose de fondamentalement inaccessible. Tu comprends que je ne peux être d'accord avec toi.Pour voir la lune dans cette attitude un pas doit être fait, un pas consistant précisément à comprendre que cette attitude n'est encore que le doigt.
C'est ce que j'avais compris et ce avec quoi je ne suis pas d'accord. J'espère avoir pu te faire comprendre pourquoi je n'étais pas d'accord.je dis qu'aucun comportement n'est conforme à la lune (aucune attitude ne peut se conformer pleinement à la lune qui est insaisissable), au mieux ce comportement peut être un habile moyen de montrer la lune, d'évoquer l'insaisissable.
Je ne peux pas être d'accord avec ça. C'est fondamentalement faux du point de vue Bouddhique. Un maître en Rajayoga, qui est loin d'être un éveillé du point de vue Bouddhique puisqu'il embrasse des vues erronées, maîtrise son propre esprit en ce sens qu'il peut atteindre des états élevés (ou profonds) de samadhi sans jamais connaître l'éveil. Le samadhi n'est pas la Vue au sens Bouddhique.Dharmadhatu a écrit :Parce qu'au final, qu'est-ce qu'un Maître authentique ? Quelqu'un qui a une certaine maîtrise: une maîtrise de quoi ? de son propre esprit.
Non, c'est pire que ça : c'est user d'une stratégie (ou comédie, au sens de l'acteur) pour tromper. Chercher à séduire fait partie de la stratégie. Ce qui est être à côté de la plaque, c'est de ne pas reconnaître ce comportement. Après, ce qui importe, c'est le but d'une telle stratégie. Il n'est pas nécessairement mauvais, bien sûr. Quand le DL dit qu'il souhaiterait revenir en tant que femme séduisante, je ne pense pas une seconde que ce soit pour tromper les gens, mais bien au contraire d'être au plus près d'eux. Cela étant, c'est quand même intéressant de voir que l'on puisse imaginer une stratégie de ce genre pour aider son prochain. Pourquoi pas, après tout (Kannon — Avalokiteshvara — est bien présentée sous des traits féminins en Chine et au Japon). Mais bon, c'est quand même bizarre que le DL évoque cette possibilité.Faire des simagrées, c'est être complètement à côté de la plaque
Dans ce fil, il est question de vraies simagrées. Fort heureusement, il y a des maîtres qui ont des comportements authentiques, mais il sont hélas trop peu nombreux à mon avis. Après, chacun pense ce qu'il veut.D'ailleurs, voir des simagrées là où il n'y en a pas, et ne pas en voir là où il y en a, c'est aussi être à côté de la plaque.
- Dharmadhatu
- Messages : 3690
- Inscription : 02 juillet 2008, 18:07
Dumè a écrit :Je ne peux pas être d'accord avec ça. C'est fondamentalement faux du point de vue Bouddhique.Parce qu'au final, qu'est-ce qu'un Maître authentique ? Quelqu'un qui a une certaine maîtrise: une maîtrise de quoi ? de son propre esprit.

En effet, et si le moindre doute subsistait quant à la transparence de Sa Sainteté, on peut prendre connaissance des études de Paul Ekman (le spécialiste des micro-expressions), cf. en particulier Surmonter les émotions destructrices où Ekman fait part de ses recherches.Quand le DL dit qu'il souhaiterait revenir en tant que femme séduisante, je ne pense pas une seconde que ce soit pour tromper les gens, mais bien au contraire d'être au plus près d'eux.
De la même façon que ça a pu paraître bizarre aux yeux d'Asanga que Maitreya se manifeste devant lui sous les traits d'une chienne à moitié crevée. Tout dépend de la perception qu'on a des choses.Mais bon, c'est quand même bizarre que le DL évoque cette possibilité.
Dans ce fil, il est question de vraies simagrées. Fort heureusement, il y a des maîtres qui ont des comportements authentiques, mais il sont hélas trop peu nombreux à mon avis. Après, chacun pense ce qu'il veut.

Amitié

apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate
Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.
Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate
Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.
Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Effectivement, j'avais pris la "maîtrise de l'esprit" dans un sens restreint car ta phrase initiale ne m'invitait pas à penser au "samadhi de Prajna", par exemple, qui est l'état naturel. Si tu avais simplement dit qu'un maître authentique est celui qui se maintient dans l'état naturel (au sens où l'entendent le Dzogchen et le Zen) alors je ne t'aurais pas repris. Mais tu as corrigé, et c'est correct pour moi. Après, on peut être d'accord ou pas avec l'idée — traduction — de maîtrise. En règle générale, l'idée de maîtrise sous-entend une forme de domination. On retrouve ce mot très souvent dans le Hatha Yoga Pradipika, par exemple, où le Yogi maîtrise son corps et son esprit. Or, il n'y a rien à dominer/maîtriser pour qui est dans l'état naturel.Dharmadhatu a écrit :C'est normal que tu dises et penses cela: parce que ton interprétation de la maîtrise est trop "restreinte" (khyab chung wa diront les Tibétains qui débattent) en évoquant uniquement le samadhi unipointé (d'autant qu'il existe différents samadhis, et que, comme l'indique le Samadhiraja Sutra, celui qui unifie la vue de la vacuité avec la concentration en un point est un samadhi libérateur). Si on interprète la maîtrise au sens large, alors ça joue. On peut interpréter "maîtriser son propre esprit" de mille et une façons, et d'ailleurs, d'aucuns traduisent le mantra du Bouddha Shakyamuni ainsi: "Maîtrise, Maîtrise, la plus grande des Maîtrises..." et je suis personnellement d'accord avec cette traduction.
Le doigt qui montre la lune, c'est quand la fleur n'est pas reconnue pour ce qu'elle est ; c'est à dire pour la lune. Alors, on pense que le Bouddha a bien voulu montré quelque chose avec cette fleur, mais quoi ? Ça, ça signifie qu'on voit le doigt et pas la lune. Mais une fois qu'on reconnaît la véritable nature de la fleur, qui est la véritable nature de Kashyapa, qui est la véritable nature de Bouddha, on réalise que le Bouddha n'a usé d'aucun artifice : il a simplement montré la nature de Bouddha et celle-ci était la fleur. La difficulté est donc de reconnaître la véritable nature de la fleur, car alors on l'assimile à un moyen habile, un doigt qui indique une direction ou quelque chose. C'est un peu comme on le fait avec le Dharma, l'enseignement. On le considère souvent comme la barque qui mène de l'ignorance à l'éveil et à la libération. Sauf que le Dharma, c'est le Bouddha. Je veux dire que le Bouddha n'a pas montré seulement un chemin mais un chemin et un but. S'il n'avait pas montré le but, pourquoi les premiers disciples auraient-ils accepté de le suivre sur le chemin ? Mais tant que nous voyons le chemin sans le but, nous ne voyons que le doigt (et pas la lune). Dans le Zen, c'est la pratique des deux premiers tableaux du dressage du buffle. En un certain sens, on peut dire qu'il n'y a pas de doigt distinct de la lune, mais ce n'est pas une façon correcte de dire les choses car pour les voies graduelles, le chemin est distinct du but. Je veux dire que tous les pratiquants, loin s'en faut, ne sont pas éveillés. Ils avancent à l'aveugle quand ils n'ont pas de maître (ce qui est très aléatoire et dangereux) ou alors guidés par un maître. Mais ils ne sont pas éveillés et donc ne voient pas le but. Voir le but, c'est le 3ème tableau du dressage du buffle. Mais c'est un peu comme le bout d'un tunnel, c'est à dire un point de lumière éloigné. Certes, on sait qu'il y a un but et on le voit — et on réalise qu'on a pas été trompé et c'est le premier sourire de l'éveil —, mais on n'est pas libéré pour autant. La libération, c'est quand on arrive au but.Jules a écrit :"La fleur est la lune"- est le doigt qui montre la lune ?
Les maîtres qui montrent le chemin sont, face à leurs élèves, des guides. Mais en principe, s'ils sont des maîtres authentiques, vivant dans l'état naturel, ils montrent en réalité le chemin et le but. Le problème, c'est que la foi en le maître est telle que l'élève confond souvent l'attitude du maître avec le but à atteindre : si le maître est éveillé (ce qui est supposé), alors son attitude est juste par définition et est donc conforme au but. Si le maître a une attitude bizarre, l'élève va être troublé. Si sa foi est grande, il va tout accepter, c'est à dire les bizarreries éventuelles du maître. Il va se dire que lui, l'élève, n'est pas qualifié pour juger ce qui est bon pour lui et ce qui est mal. Mais si la foi dans le maître est vacillante — ce qui peut arriver et qui arrive souvent —, alors le doute va s'installer et ça devient très compliqué. Pour éviter cela, le maître n'a pas le choix, s'il veut conserver son élève, que d'éviter toute bizarrerie. Il doit donc avoir une attitude exemplaire ; irréprochable. On comprend bien ici pourquoi l'image ou l'attitude du maître est importante : parce qu'elle s'adresse à un public dont la foi est vacillante. Pour capter le public, il faut donc se travestir d'atours divers qui ne correspondent pas nécessairement à l'attitude naturelle, je veux dire à l'état naturel, même si, fondamentalement, pour qui est dans l'état naturel, n'importe quelle attitude reflète l'état naturel.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'on assiste à une sorte de renversement de l'enseignement : à une certaine époque, le maître était incontesté et son attitude pouvait être brutale ou douce, iconoclaste ou au contraire conforme aux rites. De nos jours, d'autant que le Bouddhisme est présent sur tous les continents, avec un public de plus en plus critique, voire méfiant, consommateur... le maître ne peut plus se permettre la moindre excentricité. S'il veut être crédible, il doit composer avec la demande. C'est à mon avis un signe des temps.
A contrario, il existe des maîtres qui, ayant compris cette dérive moderne de l'enseignement, vont au contraire se comporter d'une manière très excentrique. Au point que, plus le maître est excentrique, plus il est respecté. Cette attitude est destinée aux élèves qui ont une fois aveugle (c'est le cas de le dire) dans leur maître. Ce maître-là est à mon avis le plus dangereux, car l'excentricité le pousse parfois à tangenter le crime ou le délit, au sens juridique du terme, quand il n'y succombe pas, tout simplement.
Je suis désolé de revenir sur ce point avec un post un peu long, mais comme c'était le sujet de ce fil, je ne souhaitais pas qu'il soit perdu de vue.