Non, Huineng ne pointe pas "l'ultime" (qui est une notion propre au Madhyamaka que Huineng ne reprend pas à son compte, et de plus, c'est Shen Xiu qui pointe l'ultime et non Huineng, car Shen Xiu était formé au Madhyamaka et pensait à l'ultime comme à un phénomène non conditionné = miroir et/ou arbre de la Bodhi, alors que Huineng n'avait aucune formation religieuse ou monastique ; il était illettré). Huineng exprime précisément qu'il n'y a pas de Nirvana-Dharma à voir, c'est à dire de Nirvana en tant que phénomène non conditionné et donc qu'il n'y a pas de miroir à nettoyer (Shen Xiu compare le Nirvana-Dharma à un phénomène "pur" par essence, obscurci par les voiles cognitifs ou autres qu'il faut éliminer par la pratique de zazen, c'est à dire exclusivement Dhyana dans le contexte, qui n'a rien à voir avec le zazen de Huineng qui est inséparable de Prajna). Et de fait, l'absence de Nirvana-dharma est l'expérience de la Vacuité du Dharmakaya (c'est la disparition de l'esprit que j'évoquais ailleurs), mais il faut bien se garder de dire que cette vacuité signifie "rien à réaliser" ou encore qu'elle est vide d'existence propre. C'est très exactement voir, au sens de 見 (jiàn), c'est à dire, dans le contexte, au sens du retournement de l'esprit sur lui-même. Mais aussi, voir au sens de 見 (jiàn) permet de voir les phénomènes/dharmas en tant que Samboghakaya, c'est à dire quand le vide est la forme (par exemple, le cyprès dans la cour de Joshu).Jules a écrit :Huineng pointe directement l'ultime.
C'est ce que je fais quand je dis : Il n'y a pas de réalisation, c'est la réalisation.
N'est-ce pas cet ultime qu'il faut parvenir à réaliser au final ? De ce fait quand ce serait réalisé on dirait naturellement : "Il n'y a pas de réalisation, c'est la réalisation" parce que cette assertion pointe l'ultime que nous avons réalisé et qui doit s'imposer comme vue délivrante et que c'est bien la délivrance qu'on cherche dans le bouddhisme
Si, quand tu dis "il n'y a rien à réaliser", tu entends "il n'y a pas de Nirvana-Dharma" (ou de miroir parfait) au sens de Huineng, c'est correct, mais ça devient faux et trompeur quand tu dis qu'il n'y a pas de réalisation et que c'est là la réalisation, car la réalisation de Huineng n'est pas de réaliser qu'il n'y a pas de Nirvana-Dharma à voir au sens de 看 (kàn), parce que là, je suis d'accord, ce nest pas une réalisation, mais la réalisation de la Vacuité du Nirvana/Dharmakaya, et donc une Vue au sens de 見 (jiàn). C'est cette différence sur laquelle j'insiste personnellement, et qui ne semble pas du tout évidente dans le discours que tu tiens depuis ces longs (très longs) échanges. Voir au sens de 見 (jiàn), c'est la réalisation de la Vacuité/Clarté du Dharmakaya et donc du Nirvana "non phénoménal" de Huineng. Par ailleurs, il ne faut surtout pas s'imaginer que la gatha de Huineng est parfaite en l'état. En effet, précisément, Huineng ne pointe que l'aspect Vacuité du Dharmakaya dans sa gatha ; il ne fait pas du tout allusion au Samboghakya, en sorte que Hung Jen, le 5ème patriarche, déclarera que sa Vue (celle de Huineng, donc) était encore imparfaite. En se référant aux tableaux du dressage du buffle, la gatha exprime le 8ème tableau et non le 9ème (lequel est le Samboghakaya), et évidemment encore moins le 10ème (Nirmanakaya). Ceci montre que s'il existe quelque chose d'ultime dans ce domaine, ce n'est certainement pas la gatha de Huineng, puisqu'il manque Samboghakaya et Nirmanakaya.